Combien de navetteurs affrontent-ils au quotidien les bandes parallèles éternellement embouteillées du ring de Bruxelles en le vouant aux gémonies ? Mais s’ils prenaient la peine de jeter de temps à autre un coup d’oil au-delà de ses rebords d’acier et de béton, ils découvriraient un paysage ponctué d’écrins de verdure… qui invitent à faire une halte.

9 HEURES, SORTIE 20. LE JARDIN DE ROCAILLE DU DOMAINE PROVINCIAL DE HUIZINGEN.

À cette heure matinale, les visiteurs sont encore rares dans le domaine provincial de Huizingen. Mais les jardiniers s’activent déjà dans le grand parc vallonné qui entoure le charmant château encerclé d’eau qui fut autrefois la demeure de la famille Vaucamps. C’est qu’il faut encore tracer les sentiers dans la prairie fleurie à l’ombre des fruitiers à haute tige, entretenir le petit bois sur la crête, nettoyer les parterres de leur parure hivernale pour faire place aux mille couleurs de l’été…  » Nous sommes très fiers de nos tapis de fleurs « , affirme Danny Avau, responsable des opérations. Ce jour-là, les quelque 40 000 annuelles cultivées directement sur place s’étalent encore en rangées chatoyantes à l’abri des serres, dûment étiquetées, en attendant de rejoindre leurs destinations aux quatre coins du parc.

Le joyau du domaine, c’est toutefois son merveilleux jardin de rocaille, qui part de l’étang du château pour escalader la colline voisine en profitant du spectacle d’un  » ruisseau de montagne « , négociant allègrement un dénivelé de pas moins de 55 mètres ! Pour un peu, on croirait découvrir cent jardinets différents tant le parcours est varié, alternant perspectives, jeux d’eau et végétation luxuriante. N’était le grondement insistant des voitures, l’endroit serait un véritable paradis… un tantinet artificiel, car le ruisseau est en réalité alimenté par une pompe qui recycle inlassablement l’eau qui vient de dévaler la pente, comme le confie Danny.

Aménagé à l’époque de l’Expo 58, ce jardin de rocaille a beaucoup évolué en un demi-siècle d’existence.  » Autrefois, cette zone était entièrement plantée de roses, révèle Danny. Elles ont toutefois peu à peu dépéri à mesure qu’elles épuisaient le sol, et il a donc fallu se résoudre à les éliminer.  » Quant à la forêt d’azalées qui explose au printemps en un (trop) bref feu d’artifice de couleurs avant de retourner à l’état de masse verte uniforme, c’est un ajout ultérieur hérité de l’un des précédents directeurs du domaine. On envisage aujourd’hui de rendre à cette partie du jardin sa forme originale.

11 HEURES, SORTIE 1. L’ARBORETUM DE TERVUEREN

Ce ne sont certes pas les attractions qui manquent à Tervueren : l’incontournable Musée royal de l’Afrique centrale (lire aussi en page 27) et son magnifique parc, le Palais des Colonies… mais pour le coup, halte à l’Arboretum. Au fil de ses collines verdoyantes, on découvre des arbres en provenance des forêts des régions occidentales, orientales et même boréales d’Amérique du Nord, jusqu’à ce qu’une rencontre fortuite avec un Araucaria araucana vous plonge en Amérique du Sud… ou peut-être dans les années 70, joyeuse époque où ce conifère, mieux connu sous son nom familier de  » désespoir des singes « , faisait fureur dans les jardinets semés de gravier. La Promenade Royale est un joli chemin qui serpente à travers bois. D’ici, on peut facilement couper à pied vers La Warande, ce domaine de 205 hectares que l’archiduchesse Isabelle fit ceindre, au début du XVIIe siècle, d’un mur de briques pour isoler ce qui était à l’époque son terrain de chasse privé. En son centre, le Zevenster marque la croisée de treize chemins.

13 H 30, À HAUTEUR DE LA JONCTION AVEC L’A12 BOOM-ANVERS (SORTIE MEISE). LE JARDIN BOTANIQUE NATIONAL

 » Assez curieusement, notre Jardin Botanique national est beaucoup plus réputé à l’étranger qu’à l’intérieur de nos frontières, souligne Koen Es, scientifique de son état. Il compte même parmi le top 20 mondial, avec une superficie comparable à celle des célèbres Kew Gardens londoniens.  » Impressionnant, le vénérable institut est aussi installé sur la scène de l’un des épisodes les plus étranges et les plus mystérieux de toute l’Histoire de Belgique. Au c£ur même du domaine se dresse le château de Bouchout. À l’avant, les pièces donnent sur la cour intérieure en U de la sombre bâtisse néogothique. À l’arrière, au-delà des douves, le parc paysager étale ses 92 hectares de verdure. C’est ici que la princesse Charlotte, s£ur de Léopold II, est décédée le 19 janvier 1927 à presque 87 ans, isolée du monde et rongée par la folie.

La vie de Charlotte ressemble à un roman des s£urs Brontë. D’une grande beauté et promise à un bel avenir, la jeune princesse devient rapidement le jouet d’événements sur lesquels elle n’a aucune prise. Son mariage déjà passablement malheureux avec l’archiduc Maximilien d’Autriche tourne au drame lorsque le couple accepte la couronne du Mexique. Très rapidement, leur empire s’effondre comme un château de cartes et Maximilien meurt exécuté par les révolutionnaires. Est-ce parce qu’elle affiche déjà les premiers signes de sa folie à venir que sa famille se résout finalement à la confiner au château de Bouchout ? Pour cacher une grossesse illégitime, comme le prétendent les mauvaises langues ? Toujours est-il que Charlotte n’a pas 40 ans lorsqu’elle prend ses quartiers à Meise, entourée d’une poignée de domestiques triés sur le volet qui la protègent soigneusement des regards indiscrets, pour un long et silencieux exil qui ne se terminera qu’à sa mort, près d’un demi-siècle plus tard.

Après la Seconde Guerre mondiale, le grand domaine pratiquement à l’abandon ouvre ses portes au Jardin Botanique national, dont le site bruxellois est devenu trop exigu. Fondé avant même la création de la Belgique, l’institut est surtout connu du grand public pour ses serres tropicales, mais ses jardins extérieurs sont tout aussi surprenants. À ne pas rater : l’ancien potager du château, dont les murs abritent aujourd’hui des plantes qui demandent un microclimat relativement doux, le jardin des herbes aromatiques avec sa superbe serre ancienne qui préfigure celles de Laeken et enfin le jardin des plantes médicinales.  » On croit souvent à tort que les médicaments sont fabriqués par des procédés purement chimiques, alors que l’immense majorité d’entre eux est encore et toujours produite à base de plantes, explique Koen Es. Seule une infime minorité est strictement synthétique. « 

Le Jardin Botanique a encore mille et une autres histoires à raconter, comme celle de ce séquoia de Chine, un véritable fossile vivant que les spécialistes ont longtemps cru éteint… jusqu’à ce jour de 1943 où un scientifique chinois a aperçu, par le plus grand des hasards, un paysan qui se promenait avec une branche encore bien vivante : quelques exemplaires avaient survécu dans une région montagnarde isolée ! Avant de pénétrer dans les serres, on longe un champ de plantes sauvages où poussent des orchidées indigènes, des bleuets et même le brome des Ardennes, la seule et unique plante endémique dans notre pays (qui n’existe donc nulle part en-dehors de nos frontières).

 » Ici, chacun de nos pas correspond à un bond dans le temps de deux millions d’années, s’enthousiasme Koen Es. La serre de l’évolution retrace la conquête progressive de la terre ferme par le règne végétal, il y a 450 millions d’années. On traverse ici d’étranges forêts du Carbonifère, passant des fougères géantes dont se régalaient les dinosaures aux cyprès puis aux premières éminences florales, timides encore, qui allaient s’avérer par la suite une incroyable réussite évolutionnaire : aujourd’hui, les plantes à fleurs représentent environ 80 % de la végétation terrestre ! Tout au bout du long couloir vitré se trouvent les derniers-nés de l’évolution végétale, ces graminées dont l’apparition n’est qu’à peine antérieure à la nôtre.

Dans la serre tropicale : une sansevière. Mais pas n’importe laquelle : l’exemplaire conservé à Meise, ramené d’Afrique il y a plus d’un siècle parce qu’il présentait une mutation unique, est ni plus ni moins que l’ancêtre commun à toutes celles du pays ! Multipliée d’une façon que l’on pourrait qualifier de miraculeuse, la variété aux couleurs mutantes est aujourd’hui presque aussi étroitement associée à la Belgique que le drapeau tricolore… Dans la serre désertique, arrêt devant une welwitschia, un autre végétal à l’esthétique discutable qui a pour particularité de ne produire que deux feuilles tout au long de sa vie et d’être extraordinairement résistant, ce qui lui a valu en afrikaans le nom de tweeblaarkanniedood ( » deux-feuilles immortelle « ).

Un dernier détour par l’institut où s’affairent des scientifiques mais aussi des dessinateurs botaniques qui réalisent avec une précision de copiste des illustrations de toute beauté ? Par sa bibliothèque, son herbier de réputation mondiale (qui rassemble une impressionnante collection de plantes séchées originaires d’Afrique Centrale mais aussi une série de spécimens très anciens en provenance d’Amazonie), sa banque de graines qui permet de conserver pendant un siècle ou plus les semences d’espèces rares et précieuses ? La tentation est grande… mais, sur le ring, le trafic commence déjà à s’intensifier à l’approche de l’heure de pointe.

16 H 30, SORTIE 13. SUR LES PAS DE BRUEGHEL L’ANCIEN

La petite église de Sint-Anna-Pede, célèbre parce qu’elle apparaît sur La Parabole des Aveugles (1568), est le point de départ de la Bruegelwandeling (promenade avec Bruegel). Au travers des neuf reproductions de Bruegel l’Ancien (1525 – 1569) qui figurent le long du trajet, on découvre comment l’artiste est parti d’éléments réels pour laisser ensuite libre cours à son imagination, ponctuant le Pajottenland de rudes crêtes montagneuses ou invitant les vagues de la mer du Nord à l’endroit où aurait dû se trouver la maison communale de Dilbeek. La légende raconte que c’est dans l’une des granges qui bordent le parcours qu’ont été peintes Les Noces Paysannes (1562). C’est évidemment impossible à vérifier… mais pourquoi ne pas y croire, après tout ? Pourquoi bouder son plaisir ?

On peut ensuite bifurquer vers Leeuw-Saint-Pierre pour aller admirer la superbe roseraie du château Coloma. Ou s’enfoncer encore un peu plus dans le Pajottenland pour rejoindre le château de Gaasbeek et son grand parc verdoyant qui attire le week-end tant de Bruxellois en quête d’air pur. Trop de monde ? Juste en face, les jardins du petit château de Groenenberg sont tout aussi agréables… De Gaasbeek, la route n’est plus très longue jusqu’à Hal et Huizingen : et voilà la boucle bouclée !

PAR JAN HAEVERANS

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