La garde-robe de Lady Gaga et la renaissance de la maison française Thierry Mugler, c’est lui. Mais aujourd’hui, c’est un nouveau job en tant que directeur artistique de Diesel qui accapare Nicola Formichetti.  » Ce sera géant ! « , annonce-t-il.

Dans le loft new-yorkais de Nicola Formichetti, gigantesque et lumineux, trône un banc immense. Mais c’est devant celui-ci, par terre, que l’homme s’assied pour notre entretien. Une réminiscence, sans doute, de ses quelques années passées avec ses parents – un père pilote italien et une mère hôtesse de l’air japonaise – à Shizuoka, une préfecture de la banlieue de Tokyo, dans un pays où il est de coutume de prendre place à même le sol pour discuter. Ou tout simplement, une manière pour lui d’afficher sa coolitude… Le créateur n’est pas seulement obsédé par la culture pop, la jeunesse et le style, il façonne lui-même l’air du temps, tout en l’incarnant. C’est ainsi qu’en tant que styliste de Lady Gaga, il est parvenu à transformer l’artiste en avatar de Madonna, version XXIe siècle.

Se sentant plus londonien que parisien, c’est dans la capitale britannique que Nicola Formichetti a débuté sa carrière, à la boutique fashion The Pineal Eye et à la rédaction du magazine Dazed & Confused, bible du style. A Paris, son rôle de directeur de la création chez Mugler, entre 2010 et le début de cette année, avait suscité quelques avis partagés. Mais aujourd’hui, le trentenaire redouble d’enthousiasme face à ce nouveau défi qui s’offre à lui : passer du  » petit  » Mugler, élitiste et sous-financé, au géant du denim Diesel, une enseigne puissante et populaire qu’il a la charge de redynamiser. Il se dit  » super excited « , il le répétera une cinquantaine de fois durant notre courte conversation…

En cette matinée à New York, Formichetti nous raconte que la collaboration avec Diesel est le résultat d’une suite de rencontres avec Renzo Rosso, le patron de la griffe.  » Nous étions en contact depuis quelques années déjà, mais la décision est tombée en avril dernier. Pour moi, le choix était évident. Il y a trente-cinq ans déjà que Renzo a créé un méga-label. Et depuis, il n’a cessé de repousser les limites du secteur. Ma mission est claire : aller de l’avant tout en respectant le passé et l’ADN de la marque. J’ai commencé par redémarrer le système. Switch off, and go ! On éteint et on rallume… C’est très simple en fait « , résume-t-il en souriant. Au loin on entend soudain des aboiements.  » Doggies ! « , s’écrie un Formichetti fou de joie. Deux doigts sur les lèvres, il siffle un bon coup et deux chiots d’appartement s’élancent en notre direction. Ces Loulous de Poméranie ont droit à des coussins de l’artiste Yayoi Kusama, rien que ça… et à leur propre compte Twitter ! Il faut dire que le créateur est des plus actifs sur les réseaux sociaux. Il est sans cesse sur Twitter et Instagram. Et sous ses ailes, Mugler s’était montré particulièrement actif dans le monde numérique. Avec des avant-premières, des scoops et une vision participative des plates-formes. C’est d’ailleurs sur Facebook que Formichetti a découvert sa muse principale pour cette maison parisienne – Rick Genest, l’homme entièrement tatoué en squelette…

Une machine aussi gigantesque que Diesel se laisse-t-elle déconnecter et reconnecter si facilement ?

Tout est allé de soi. Nous voulions que cela se passe ainsi et le moment était idéal pour le faire. Je crois que Renzo voulait attirer une clientèle plus jeune. C’est pour ça qu’il a fait appel à moi.

Aviez-vous des affinités avec Diesel au départ ?

Personnellement, j’ai toujours suivi cette marque. Renzo adore les idées un peu folles, ce qu’il fait est toujours intéressant. Diesel a, de tout temps, représenté bien plus que des vêtements. Les anciennes pubs sont incroyables. C’est ce qui m’a interpellé : elles parlent de ce qui se passe sur notre planète plutôt que d’annoncer l’arrivée d’un nouveau jeans.

Vous pourriez devenir l’Oliviero Toscani de Diesel, à l’image de ce virtuose de la communication controversé, qui a marqué les esprits dans les années 90 avec ses campagnes pour Benetton ?

J’aime ce que Toscani fait. Il est tout simplement étonnant. Mais il faut quand même se rappeler que nous sommes d’abord une entreprise de mode. Bien sûr, nous impliquons l’actualité sociale dans notre communication mais en fin de compte tout est question de look et d’attitude. Je ne souhaite pas approfondir davantage cette question.

Avez-vous un plan ambitieux pour Diesel ?

Et comment ! Un très gros plan, ambitieux et fou. Pour moi, Renzo est resté un enfant sa vie durant et en cela je lui ressemble. Quand nous sommes en réunion, nous élaborons sans cesse des projets plus incroyables les uns que les autres, tandis que les collègues se disent  » Oh my God ! « .

Un exemple, peut-être, d’une de ces folies ?

Il y en a tellement et je ne peux rien dire encore. Nous voulons simplement faire ce que personne n’a essayé avant nous. Notre fantaisie est sans limites. Certaines pistes deviennent réalité, d’autres, non. Nous ne reculons devant rien.

Comment se passe votre relation avec Renzo Rosso ?

Il me soutient. Ce qui me faisait défaut chez Mugler. Il me dit :  » Tu veux faire des choses un peu folles, commençons par tout organiser comme il faut.  » Je suis super-content de pouvoir compter sur une personne comme lui aujourd’hui. Content d’être totalement libre, plus fou que jamais et d’être en mesure de faire un travail intéressant. Je sens que Diesel est prêt à prendre des risques, à vraiment tout risquer. C’est ce que nous allons faire : on va tout changer. Et ce sera géant ! Vraiment ! Super-emballant ! Pour moi aussi d’ailleurs. Parce que je pourrai toucher un plus grand public et parce que je pourrai enfin voir, je l’espère, des gens en rue portant des vêtements que j’ai conçus. Ça ne m’est jamais arrivé avec Mugler, ni avec d’autres d’ailleurs.

Même pas avec Uniqlo, cette enseigne urbaine parmi les plus puissantes au monde et pour laquelle vous êtes consultant en tant que fashion director ?

Je ne crée pas pour Uniqlo : je collabore d’une autre manière avec ce label de mode… Mais revenons à Diesel, j’adorerais lancer la collection entière tout de suite, là, maintenant. Mais avec une grande marque, on apprend la patience. Tout doit d’abord être mis au point. Peut-être que je vieillis, que je mûris aussi. Parfois j’avais un trop-plein d’énergie. Avec Lady Gaga, il nous arrivait de concrétiser une idée et de la montrer d’emblée. Tout de suite et partout. Chez Diesel c’est différent, c’est plus réfléchi.

Vous avez pourtant lancé le redémarrage de Diesel, quelques semaines à peine après votre engagement, via la plateforme blog tumblr… Il faut dire que vous avez été parmi les premiers professionnels de la mode à avoir mesuré l’importance des réseaux sociaux.

Je n’étais pas si précoce en la matière ! J’ai commencé par Myspace. Je me souviens de mon premier compte Hotmail. J’essaie de tout faire moi-même sur les réseaux sociaux. Il faut être authentique car, quand vous trichez, les gens s’en rendent compte. J’aime partager, bâtir avec d’autres. Internet est un outil pour faire de nombreuses connaissances, c’est magnifique ! J’ignore cependant de quoi sera fait l’avenir. Chaque jour, l’opinion que j’en ai change. J’aime les magazines, c’est de là que je viens. Mais, souvent, ces revues papier n’arrivent plus à suivre. Le numérique prend de plus en plus de place. Et là je veux être de la partie ! Je suis convaincu que la presse écrite existera toujours. Mais le numérique deviendra au moins tout aussi important. C’est déjà évident aujourd’hui.

On vous annonce déjà chez Diesel, avec une collection capsule, dès novembre prochain…

Un hommage à l’histoire de Diesel avec une partie en denim et une autre en cuir. Il s’agira d’une petite collection basée sur un vieux patchwork fait à la main que j’ai découvert lors d’une de mes visites aux ateliers. Je voulais réaliser un premier pas  » intime  » avant de présenter une collection entière, en mars prochain.

Vous vous y voyez déjà ?

Ce sera dans un lieu très particulier, pas simplement à Paris ou à Milan. Un show gigantesque, Homme et Femme réunis. Ce sera super-emballant, je le répète. Je tiens à ce que les vêtements que je suis en train de créer deviennent aussi importants que les visuels ou l’image du label. Et il en sera ainsi.

Il est donc encore possible d’innover et surprendre dans le secteur du denim ?

Et comment ! On s’en rend compte sans cesse chez Diesel…

Avec votre frère, vous avez déjà une marque propre, Nicopanda, ainsi qu’un restaurant situé dans votre ville natale, au Japon. Vous rêvez d’un empire à votre nom ?

Je l’ai déjà ! Certes, je travaille le plus souvent sur commande mais c’est parce que j’adore bosser avec d’autres gens, tout simplement.

PAR JESSE BROUNS

 » Je pourrai enfin voir des gens en rue portant des vêtements que j’ai créés.  »

 » Avec une grande marque, on apprend la patience. Avec Lady Gaga, il nous arrivait de concrétiser une idée et de la montrer d’emblée. Tout de suite et partout.  »

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