Un terrain de jeu pour adultes. Voilà comment PieterJan Mattan qualifie son loft new-yorkais. Après avoir fait ses armes chez Arne Quinze et Fab.com, le jeune Belge a créé Bezar, joli souk de design en ligne.

S’ il ne sert à rien de le chercher sur Facebook,  » l’égout d’Internet « , son compte Instagram vaut le coup d’oeil. Une partie de ping-pong sur la table de la cuisine ? Un tipi dans le salon ? Des invités sautant sur un trampoline ? Oui, toutes ces photos ont été prises dans son loft à Tribeca.  » Un terrain de jeu éclectique pour adultes, comme se plaît à le décrire PieterJan Mattan. Beaucoup d’intérieurs ludiques paraissent cheap, alors qu’il est justement plus fun de jouer aux grands enfants dans un cadre sérieux. On peut par exemple balancer un coussin piqué à Air France dans un fauteuil Moroso à 5 000 dollars. Ou collectionner les consignes de sécurité des avions. J’en ai déjà plus de mille. J’adore le branding des compagnies aériennes. Mon rêve le plus fou serait d’ailleurs de concevoir de A à Z l’identité visuelle de Brussels Airlines.  » Pour illustrer son propos, l’homme sort sa bible, un épais bouquin réunissant les styles graphiques de la quasi-totalité des lignes aériennes, et pointe la maquette d’avion XL qui surplombe la table de sa cuisine.

SOUK VIRTUEL

PieterJan Mattan a d’ailleurs déjà accumulé pas mal de miles. Il vit et travaille depuis trois ans à New York. Malgré le simple vitrage et les conduites d’eau de plus de 175 ans, il se sent à l’aise dans cette ancienne usine de parapluies.  » Cette ville dégage une atmosphère fantastique pour les créatifs, s’émerveille-t-il. Je bosse pour une startup de design amusante. Ça se voit à mon intérieur, non ? J’aime les objets rigolos, les formes graphiques, les gadgets. Je trouve que tout cela s’intègre bien dans ce bâtiment de grès typiquement new-yorkais. En Flandre-Occidentale, ça ne passerait pas.  » La déco de ce directeur créatif originaire de Roulers provient en effet à 100 % de Bezar, le bazar en ligne dédié au design qu’il a créé l’année dernière.  » On pourrait le comparer à un souk ou un cabinet de curiosités online, sauf que les pièces sont triées sur le volet. Nous proposons une sélection pleine de fantaisie de meubles haut de gamme, d’estampes originales et d’accessoires cool. Les articles sont l’oeuvre aussi bien de jeunes réalisateurs que de valeurs sûres. La plate-forme travaille également avec des boutiques éphémères, qui ne restent sur le Net que quelques jours. Nous lançons quotidiennement six nouvelles marques. Le rythme est donc soutenu, mais nous devons continuer à titiller l’intérêt des internautes avec des nouveautés.  »

THE ARNE FACTORY

Dans son entourage, personne n’aurait pu deviner que PJ viendrait vivre outre-Atlantique à l’âge de 25 ans. Sa mère est professeur de gymnastique, son père, couvreur. Et son frère est un ancien prof de tennis reconverti en fabricant de systèmes d’alarme.  » J’étais en latin-grec, mais cette orientation ne m’intéressait pas du tout. A l’école, tout le monde savait que je faisais du graphisme. C’est moi qui réalisais les flyers pour annoncer les soirées. J’ai conçu toute l’image d’un magasin de meubles local en échange d’objets design. A 18 ans, j’avais déjà fondé mon entreprise, SÜSA, pour pouvoir facturer mon travail. Sans le savoir, je comptais parmi mes clients un des investisseurs derrière Quinze & Milan. Je ne connaissais pas cette marque de mobilier courtraisienne, et encore moins Arne Quinze. Mais j’y ai bossé à partir de 2007 comme graphiste puis comme assistant d’Arne. La société était alors en plein essor. Dans cette ancienne usine de tapis, on se serait cru dans The Factory d’Andy Warhol : Arne s’occupait d’art, d’architecture et de design, de préférence tout ça à la fois.  » PJ Mattan a ainsi signé des identités visuelles pour Arne Quinze et par la suite pour Quinze & Milan : catalogues, livres et présentations à l’international.  » Nous nouons de nombreux partenariats pour le mobilier, notamment avec Eastpak et la Fondation Andy Warhol. Quinze & Milan a par exemple ressorti la Brillo, la boîte emblématique de Warhol, non plus en carton, mais sous forme de pouf.  » Le journaliste new-yorkais Bradford Shellhammer n’y est pas resté insensible et a interviewé le jeune homme sur ces collaborations remarquables.

ABSOLUTELY FABULOUS

En 2011, PJ Mattan, devenu entre-temps consultant créatif pour Louis Vuitton et Diesel, écrit spontanément à Bradford Shellhammer pour lui demander s’il n’a pas par hasard une chambre en location à New York, car il doit y séjourner pendant un certain temps. Coup de chance, le journaliste venait de créer la boutique de design en ligne Fab.com et de déménager dans un nouvel immeuble.  » Pendant quelques mois, j’ai pu louer son ancien appartement au 52e étage. Très vite, il m’a confié qu’il cherchait un directeur artistique pour superviser l’identité visuelle de l’e-store et m’a offert le job. C’est ainsi que, du jour au lendemain, j’ai pénétré, en tant que spécialiste du branding, le milieu new-yorkais des startup Internet, un secteur qui attirait énormément d’investisseurs. Chez Fab.com, je me suis chargé de tous les aspects de l’expérience de marque, de la première visite sur le site Web à la newsletter quotidienne, en passant par les publicités et les événements, et jusqu’aux couleurs des boîtes d’expédition. En peu de temps, l’entreprise a rencontré un succès phénoménal. J’ai beaucoup appris, car j’ai soudain eu trente personnes sous mes ordres. En Belgique, je n’aurais dirigé qu’une petite équipe de deux créatifs. A son apogée en 2012, Fab.com écoulait un article toutes les 20 secondes. Le site a définitivement changé la façon dont on achète et vend le design. Au bureau, nous avions une carte de l’Amérique sur laquelle de petites lampes s’allumaient chaque fois qu’une commande était placée en ligne. Je peux vous assurer que ça clignotait sans arrêt.  »

CHANGEMENT DE CAP

Fab.com s’est développé bien trop vite au niveau mondial jusqu’à devenir l' » Amazon du design « . En 2013, la cyberboutique s’était enlisée dans un fatras désordonné et sans âme de 100 000 produits, de qualité et de prix divers. Bradford Shellhammer quitta le navire fin 2013, suivi par PJ Mattan à l’été 2014. Six cents personnes ont été licenciées.  » Il y a un an, nous avons lancé ensemble Bezar. Il en est le CEO, je suis le global creative director. Le site est en ligne depuis mars dernier. Les affaires vont assez bien, nous travaillons déjà avec quinze personnes. Nous avons tiré les leçons de Fab : nous surveillons beaucoup plus notre sélection. Curieusement, alors que notre startup n’existe que depuis quelques mois, les gens ont l’impression que nous sommes présents depuis bien plus longtemps. Nous inspirons la confiance, et c’est toujours bon à prendre.  »

En dépit du tipi dans le salon et du trampoline dans le hall, le loft de PieterJan Mattan met lui aussi en confiance, tout comme le caractère aimable du jeune Belge, à la fois ambitieux, accueillant et, curieusement, assez discret.  » Je peux m’éclater comme un enfant dans mon appart, mais je m’habille très sobrement. Je n’ai absolument rien d’un snob du design ou d’un hipster, je mets presque toujours les mêmes vêtements. J’ai vingt tee-shirts blancs, vingt tee-shirts noirs, un jeans, un costume et quelques chemises. Vous ne trouverez pas grand-chose de plus dans ma garde-robe. Bradford Shellhammer, en revanche, revêt chaque jour du neuf pour aller au bureau. Je m’intéresse plus à ce qui se passe autour de moi qu’à ce que l’on porte.  » Un petit tour du côté de son fil Instagram, et tout s’explique.

www.bezar.com

PAR THIJS DEMEULEMEESTER

 » C’est plus fun de jouer aux grands enfants dans un cadre sérieux. On peut par exemple balancer un coussin piqué à Air France dans un fauteuil Moroso à 5 000 dollars.  »

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