Inaugurée en 2000, la Tate Modern est plus que jamais le musée de Londres dédié à l’art contemporain. Elle en offre au public un panorama éclairé entre 1900 et 2007. Des toiles de Picasso aux toboggans métalliques de Carsten Holler, c’est un carrousel de grands noms, à quinze minutes de Waterloo Station.

Un quart d’heure après être descendu de l’Eurostar, quel plaisir que de tomber sur la Tate Modern ! Sûrement pas par hasard car le plus moderne des musées londoniens demeure un but de voyage. Sur la rive droite de la Tamise vient s’échouer une vague de critiques sur les musées dépositaires d’une nouvelle culture de masse réductible à une simple promenade culturelle. Son public de consommateurs d’art picorants est accusé d’avoir tout oublié deux heures après sa visite. Faux ! A la Tate, il y a de quoi maintenir l’attention en éveil et éduquer le néophyte. Le bâtiment lui-même tient de l’£uvre. Imaginez un torrent de surfaces délimitant un carrousel de l’art contemporain. Ce bâtiment fait fantasmer jusqu’aux artistes qui vibrent rien qu’à la perspective d’être exposés dans l’une de ses anciennes cuves à mazout, avec en fond sonore le ronronnement de l’antique transfo électrique.

Il y a sept ans, en bouclant le chantier de la Tate, leur plus grand projet à ce jour, les architectes bâlois Jacques Herzog et Pierre de Meuron reconvertissaient avec panache la Bankside Power Station, une ancienne centrale électrique. Cette belle au jus dormant ne procède ni d’une restauration respectueuse façon Orsay de Paris ni d’une création façon Guggenheim de Bilbao. En pays britannique, les deux Suisses ont opté pour le changement dans la retenue. Amusant si l’on pense aux architectes locaux, de Foster à Rogers qui, dans des registres différents, ont l’expressivité high-tech facile…

La Tate Modern, elle, n’a même pas de façade. Sa grande cheminée d’origine a été jugée suffisamment voyante par les deux architectes. Ne tutoie- t-elle pas le clocher de la cathédrale Saint-Paul de l’autre côté de la Tamise ? Entre les deux rives, le Millenium Bridge dessiné par Norman Foster a été placé dans l’axe du dôme de la cathédrale et de la cheminée de la centrale. Cette usine à watts a été conçue en 1947 par sir Giles Gilbert Scott, père, entre autres, des célèbres cabines de téléphone écarlates. Achevée en 1963, la centrale a conservé son allure austère de mausolée de pierre flanqué d’une grande cheminée. En 1981, parce qu’elle polluait, la bâtisse fut fermée. Du travail bien fait si l’on considère que son transformateur d’origine carbure toujours aujourd’hui !

îuvres d’art et vue panoramique sur la ville

Les salles du musée réparties sur trois étages ont été construites ex nihilo. Les finitions de la Tate n’ont pas été faites par-dessus la jambe. Les visiteurs s’asseyent sur des fauteuils Pad de Jasper Morrison inclinés en arrière,  » comme des sièges de BMW « , disait-il il y a sept ans. Même quand il y a du monde, on reste au calme tellement l’espace est vaste. Herzog et de Meuron se sont déchaînés. Mais à leur manière. Le jour, à voir la Tate de loin, on croirait presque qu’il n’y a pas eu de budget pour l’extérieur, à part ce toit parallélépipédique de 524 panneaux de verre qui filtrent la lumière du jour et s’illuminent la nuit. A l’intérieur, quand le regard est saturé par la force des toiles ou des sculptures, on peut se reposer l’£il d’une vue panoramique sur la ville.

Une muséographie singulière

La Tate Modern se singularise aussi dans la muséographie de ses collections permanentes. En quatre ailes, au troisième et au cinquième étage, les £uvres sont présentées par thèmes et non chronologiquement ; Question et action, Poésie et rêve, État du flux, État et objet. Pour éviter la confusion des genres, les choix de présentation sont expliqués à la Tate par différents spécialistes. Le visiteur est aussi incité à s’arrêter devant les £uvres charnières de son siècle. On découvre assez facilement, et sans qu’on nous parle comme à des spécialistes ou à des idiots, tous les  » ismes «  du xxe siècle : cubisme, surréalisme, futurisme… Les précurseurs et ceux qui les suivent sont distingués. Des créateurs sont  » mis en regard  » comme on dit dans les musées. Au cinquième étage, la zone média interactif donne des repères en images. Celui qui préfère lire dispose de catalogues. Pour 2 livres sterling (environ 3 euros), le prix d’une entrée pour les expos temporaires, un vidéoguide nous met au parfum. L’entrée des collections permanentes, elle, est gratuite. Car cette Tate Gallery a été voulue comme un booster pour tout ce côté de la ville, repulpé au niveau culturel, immobilier et, on l’espère, humain, dans ce quartier qui accélère notre entrée dans le xxie siècle.

Guy-Claude Agboton

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