Barbara Witkowska Journaliste

Le très hype magazine londonien  » Wallpaper*  » lui a décerné l’Award du  » Best Shoe Designer « … Pierre Hardy déploie aujourd’hui tout son art : il booste ses propres collections de chaussures pour Homme et Femme, vient de lancer une ligne de sacs et poursuit sa fructueuse collaboration avec la prestigieuse maison Hermès. Portrait d’un créateur archi-doué.

Son travail personnel puise l’inspiration dans les grands classiques de l’architecture, du design et de l’art conceptuel. Pour l’été 2007,  » Memphis  » est la ligne la plus pertinente. Elle évoque l’esprit rigoureux mais pimenté d’une pointe d’humour du grand architecte et designer italien Ettore Sottsass et du Memphis Group. Les sandales conjuguent des plates-formes très épaisses et des talons aiguilles aux lignes bien affirmées. Le cuir noir, vert émeraude, gris, rose ou jaune s’anime d’une résille imprimée en noir ou en argent. La ligne  » Atomium  » est un clin d’£il à l’art cinétique de Pol Bury et, plus particulièrement, à la célèbre fontaine-sculpture qui fascine les visiteurs des Jardins du Palais-Royal, à Paris. Les sphères métalliques se meuvent tout doucement, poussées par la force de l’eau, tandis que leur surface polie reflète à merveille les jeux de nuages dans le ciel. Chez Pierre Hardy, les mini-sphères, réunies en grappes, se posent sur de ravissantes sandales, habillées de cuir noir ou métallisé, couleur argent ou cuivre. Les modèles plus  » classiques « , eux, interprètent des valeurs plus intemporelles et toujours très chères au créateur parisien : graphisme ultrapointu, simplicité et pureté des lignes, rigueur de la construction, talons vertigineux, confort inégalable et une palette chromatique très serrée ; classique, mais déclinée dans des nuances d’une grande subtilité.

Quant à l’Homme, il pourra arpenter les trottoirs, chaussé d’élégants basiques, revus dans de bonnes proportions et redessinés avec des lignes plus stylisées.  » La mode masculine est moins une histoire de créations débridées que de sélections, note Pierre Hardy. Il s’agit de proposer les bons classiques au bon moment « . Ses richelieus, derbies, boots, mocassins et baskets se caractérisent par des lignes simples et évidentes. Le choix des coloris est minimaliste : du blanc, du beige, du rouge et du noir. Peu d’effets de matières, de jeux de coutures ou de détails anecdotiques. L’essentiel, tout simplement.

Face à l’engouement pour ses collections de chaussures, Pierre Hardy a été titillé par la création d’un sac : un modèle  » conceptuel « , très graphique, dépourvu de rivets, de fermoirs et de logos joue sur le contraste. Contraste entre un dessin vigoureux, sans concessions, et la souplesse des matières. Contraste entre les volumes affirmés et la légèreté des modèles. Contraste entre la couleur de la matière et la couleur du biais qui souligne tous les contours. Une rigueur parfaitement maîtrisée qui débouche, au bout du compte, sur une grande sensualité.

Une longue complicité avec Hermès

Hermès a fait appel au talent de Pierre Hardy en 1990. Depuis lors, la collaboration se développe dans la plus parfaite harmonie. Pour commencer, Pierre Hardy se voit confier la mise sur pied d’un département tout neuf dans la prestigieuse maison parisienne, celui des chaussures féminines.  » Hermès, au départ, ce n’est pas un univers féminin, explique Pierre Hardy. On n’est pas dans une maison de couture, on n’est pas dans l’immatériel et dans l’évanescent. Le défi consistait à faire passer cette idée de solidité et de matérialité, mais de façon légère. Le challenge m’a beaucoup plu, car, d’une part, j’aime et je respecte l’univers Hermès et, d’autre part, j’apprécie les contraintes.  »

La chaussure de sport Quick, signée d’un  » H  » sur le côté, est l’une des premières et des plus célèbres créations de Pierre Hardy pour Hermès. Best-seller de la griffe de luxe, elle a été par la suite imitée, copiée et réinterprétée à l’infini. Parmi les pièces fortes de l’été 2007, épinglons cette sandale ultraféminine en crocodile qui emprunte un détail au territoire masculin d’Hermès : les trois brides sont bouclées par le fermoir du  » sac à dépêches  » en version mini. Ou encore cette mule en veau et bois laqué, fabriquée au Vietnam qui allie le savoir-faire du cuir et la technique asiatique millénaire du bois laqué. Superbes elles aussi : la ballerine en chèvre velours, équipée d’une bride qui s’enroule autour de la cheville et la sandale en veau nubuck, caractérisée par sa découpe gréco-romaine et ses longs rubans de cuir à nouer autour du mollet.

En 2001, Pierre Hardy est nommé, aussi, directeur de création pour les collections de bijoux précieux.  » Pour moi, le bijou, c’est la quintessence du superflu, sourit-il. Il est essentiel, car on en a toujours besoin. Il a une fonction, mais pas d’usage. J’ai voulu rendre cette gratuité efficace, désirable.  » Comment ? En transformant les formes brutes, symboles de la maison Hermès, en objets précieux, tout en les rendant faciles à porter, dépourvus d’ostentation et empreints d’une touche sport évidente. Les archives d’Hermès sont une source d’inspiration inépuisable. Les codes, tels la chaîne d’ancre, le mousqueton des bottes d’équitation ou encore le clou de forge se prêtent à de multiples interprétations.

En 2007, les bracelets s’inscrivent dans la nouvelle ligne  » Les Géants  » et sont proposés en version XXL, aux proportions surdimensionnées et inhabituelles. Tel le bracelet Aléa, par exemple, réalisé avec les différents maillons conçus par Hermès et devenus des classiques. Le bracelet Chaîne d’Ancre est modernisé grâce à ses maillons géants et une fermeture invisible. Le sautoir Arabesque enchaîne des sections de chaînes simples, doubles ou triples à des variations d’anneaux, sur le thème de l’éperon. Pour répondre à la demande masculine, grandissante, Pierre Hardy a imaginé ce bracelet pour Homme, inspiré du modèle Chaîne d’Ancre. Un seul maillon en bronze s’invite par surprise au sein d’une collection de maillons en argent satiné.

Une discipline… très artistique

Comment le créateur procède-t-il pour assumer ses multiples engagements et gérer un emploi du temps surchargé ? La réponse est simple : grâce à la discipline. La discipline légendaire des danseurs. Un père prof de gym, une mère prof de danse… Pierre Hardy excelle, en effet, durant toute sa jeunesse, comme danseur de modern jazz. Déjà, il apprend à jongler avec les horaires, car, en même temps et entre deux mesures, il suit des cours de peinture et de dessin à L’Ecole normale supérieure des arts plastiques, à Paris. Une décision radicale mettra un terme à sa vocation.  » Je suis trop hédoniste et trop paresseux pour mener une vie de peintre, une vie de solitude « , lâche-t-il. Plus tard, à l’âge de 30 ans, il abandonnera également la danse.  » C’est une vie de douleur, on vieillit mal. J’avais envie de trucs plus communicants, plus légers et plus dynamiques.  » La création de chaussures, par exemple. Pierre Hardy a une fascination pour cet objet qui se doit, à la fois, d’assurer une démarche confortable et de souligner la silhouette avec élégance.

L’expérience accumulée au fil des ans s’avérera très utile dans son travail de styliste. Peut-on rêver mieux que la danse pour approcher la perception du corps et sa tenue, ainsi que la physionomie du pied, sa cambrure, sa flexibilité et ses tensions ? Pour commencer, Pierre Hardy dessine, pendant quatre ans, les collections de chaussures Christian Dior. En 1990, il commence l’aventure avec Hermès. En 1999, il lance sa propre griffe. Depuis 2001, il élabore, en collaboration avec Nicolas Ghesquière, les collections de chaussures Balenciaga. En 2003, il a ouvert la boutique dont il rêvait depuis longtemps. Elle est blottie dans le cadre merveilleux des Jardins du Palais-Royal, à Paris. Et les plus belles femmes du monde poussent régulièrement sa porte : Nicole Kidman, Madonna, Kate Moss, Uma Thurman, Demi Moore et tant d’autres…

Un Award  » Wallpaper*  » et un livre

Le travail de Pierre Hardy, tellement personnel, singulier et moderne, a été récompensé en 2006 par l’Award  » Best Shoes Design « , octroyé par  » Wallpaper* « . Chaque année, le très sélect magazine londonien distingue ainsi les talents les plus percutants dans le domaine de la mode et du design. Quant à l’éditeur Bernard Chauveau, il vient de consacrer un livre à Pierre Hardy. Intitulé  » Success is a job in Paris « , il figure dans la collection  » Les Cahiers « , dédiée aux figures marquantes du design et des arts décoratifs et dont l’originalité réside dans l’approche inédite du travail de l’artiste à travers une seule pièce qui détermine son style. Le choix s’est porté sur l’escarpin à bout ouvert, dessiné en 1999 et reconduit, depuis lors, dans chaque collection. L’ouvrage est truffé de multiples esquisses, dessins inédits et photos qui dévoilent les coulisses du processus créatif de Pierre Hardy. Il s’accompagne d’un texte érudit et sensible, signé par le critique d’art Eric Troncy.

Carnet d’adresses en page 102.

Barbara Witkowska

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