Chaque année, c’est le même scénario qui se répète : vers la fin mai, une petite loupiote s’allume dans ma tête pour me rappeler que la fête des pères approche.  » Pas de stress, intervient aussitôt mon  » Ça  » freudien, tu as encore tout le temps pour dénicher le petit cadeau qui fera de toi le fils parfait.  »

Je laisse donc filer les jours, rasséréné par ces pensées enrobées de sucre et de miel. Mais le samedi matin, jour J-1, au sortir d’une nuit peuplée de cauchemars où un  » tribunal des fils indignes  » m’a plusieurs fois condamné à l’exil au… Père-Lachaise, je regrette amèrement d’avoir, une fois de plus, cédé aux sirènes du laxisme. Résultat : comme à Noël, comme à la veille de la plupart des anniversaires de mes proches, je me retrouve au pied du mur, disposant de 24 heures chrono pour mettre la main sur ce satané présent.

Tandis que l’angoisse grimpe dans les tours, je me vois déjà le lendemain expliquer tout penaud au téléphone – la lâcheté m’aura évidemment incité à éviter une confrontation directe – que  » tu comprends, entre le travail et les enfants, je n’ai pas eu le temps… Mais je pense beaucoup à toi, tu sais, et ce n’est que partie remise. Promis, juré, craché ! « .

Ce foutu  » Ça  » tente bien de me convaincre que le pater ne m’en voudrait même pas de faire l’impasse, qu’il a de toute façon passé l’âge pour ce genre de fadaises et que je ferais mieux de profiter de cette journée ensoleillée. Mais cette fois-ci, je ne me laisse pas embobiner, d’autant que le gendarme de ma conscience, l’intransigeant  » Surmoi « , est sorti entre-temps de sa torpeur pour me faire la leçon : les rituels ne sont pas là pour faire tapisserie. Ils nous construisent et nous structurent autant qu’ils nous distraient ou nous agacent. Bref, rater un de ces rendez-vous liturgiques, c’est un peu comme louper une marche sur l’échelle identitaire, et du même coup ouvrir la porte à toutes les dérives. Bigre ! Pas question d’errer dans le néant d’un  » Moi  » en perdition, la vie est déjà suffisamment compliquée comme ça…

J’enclenche donc sans tarder la moulinette aux bonnes idées. C’est là que ça se corse. La fête des pères entre dans la catégorie des célébrations intermédiaires. Symboliquement importante, elle ne justifie pas qu’on se saigne comme on le ferait pour une communion ou un mariage. Mais elle ne se contente pas non plus de l’accolade qu’on donne à un(e) collègue qui vient de dire adieu à ses 30 ans. Il faut donc trouver quelque chose d’original et de modeste.

Pas simple ! Surtout quand on a un père méticuleux comme un huissier. Il a tout le bougre : une belle auto, une boîte à outils toute neuve, des CD en veux-tu en voilà… Après avoir écarté les cadeaux gadgets, genre clé USB ventilateur, je passe rapidement en revue les classiques. La bouteille de vin ? Non, c’était son cadeau de Noël. La cravate ? Elle fait son come-back mais il n’en porte jamais, lui l’enfant de mai 68.

L’heure tourne et toujours rien à l’horizon. J’entrevois déjà une année de pénitence quand mes yeux tombent sur ma fille en train d’en découdre avec un bloc de terre glaise. Bon sang, mais c’est bien sûr ! La voilà l’idée de génie : une sculpture  » home made  » ! C’est créatif, régressif et éthique… Autant dire le must à l’aune bobo. Pas de temps à perdre, je retrousse mes manches. Il me reste la nuit pour réaliser mon chef-d’£uvre… Papa, fais de la place sur ton bureau !

Laurent Raphaël

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