Difficile d’échapper à la propagande : depuis plusieurs semaines déjà, nous sommes matraqués de petits coeurs. Un rappel souvent jugé trop sirupeux, qui a d’ailleurs pour certains un arrière-goût amer…

Tout le monde ne voit pas la Saint-Valentin du même oeil. Alors que ces dames se réjouissent généralement de passer un moment charmant, de surprendre l’être cher avec un présent raffiné et désirent secrètement qu’il aura prévu la même chose, la majorité de ces messieurs redoutent cet événement qui résonne à leurs oreilles comme un devoir. Voire une corvée. Mars et Vénus, clap 14. L’humoriste Paul Dewandre, qui a fait de cette thématique le succès de ses one-man-show (1), a compris depuis longtemps la cause de ce décalage :  » C’est parce qu’on ne se sent pas aimé pour les mêmes raisons. Si elle se réjouit des petites attentions quotidiennes, lui, recherche la confiance et la valorisation que sa moitié pourra lui donner.  » Or, au début d’une relation, le mâle joue la carte du parfait gentleman : il laisse des mots doux, ouvre la portière de la voiture, s’occupe de sa chérie en public…  » Mais il le fait comme pour un entretien d’embauche, observe l’humoriste. Une fois qu’il est casé, c’est bon, il arrête.  » Ce qui explique que les filles comptent tant sur la Saint-Valentin. S’il n’est plus aux petits soins à chaque instant, leur chouchou peut au moins l’être une fois l’an. D’où une attente réelle… et finalement légitime. Pour Jean-Claude Kaufmann, sociologue spécialiste du couple, qui vient de publier Un lit pour deux (2), le 14 février est une compensation symbolique :  » Comme pour les autres rituels collectifs que sont les anniversaires, la femme espère qu’elle ne sera pas oubliée. Si c’est le cas, c’est terrifiant pour elle ! Dans la même veine, le cadeau routinier – chaque année un invariable ballotin de pralines – est également déplorable. Le problème, c’est que son compagnon le ressent : souvent, il a l’impression de ne pas être à la hauteur…  »

Si initialement cette date dédiée aux tourtereaux fut bénie par la gent masculine – un bouquet suffisait à rattraper les manques des mois écoulés -, elle l’oppresse désormais. Baudouin, 45 ans, dans une histoire qu’il admet lui-même compliquée, confirme :  » C’est un jour pourri : on se doit de réussir la Saint-Fleuriste. C’est une fête d’obligation, du non-spontané. Ce ne serait pas mal qu’il y ait moins de pression autour de l’événement…  » Mais c’est plutôt l’inverse qui est observé.  » Plus l’homme fait d’efforts, plus sa partenaire semble en réclamer davantage, souligne le sociologue. Idéalement, il faudrait que la Saint-Valentin ne soit plus synonyme de frustration ou de déception. Les hommes a priori ne sont pas contre les attentions, mais c’est vrai qu’ils aspirent à une vie plus simple, plus tranquille au niveau conjugal.  »

QUESTION DE TIMING

Pour éviter cette spirale infernale et cette contrainte (non dite) de devoir faire mieux chaque année pour prouver son attachement indéfectible, certains font preuve de finesse.  » J’ai toujours fêté cela, mais jamais à la date officielle, explique Aleksandar, 37 ans. En juin ou en octobre, j’offre quelque chose, en précisant bien « Bonne Saint-Valentin ». Histoire de surprendre. Mais il est vrai que j’ai dû prendre le temps d’expliquer au départ que j’étais original et que je ne voulais pas être un mouton. Mais comme ça, le jour fatidique, je n’ai pas la pression, on ne fait rien de spécial. Elle sait que je pense à elle, mais je choisis quand je veux lui témoigner mon amour.  »

On en connaît aussi qui se retranchent derrière l’excuse numéro un : l’aspect trop commercial du concept.  » Je lui ai bien précisé que je trouvais cet événement complètement gnangnan et trop consumériste, explique Laurent, 38 ans, en couple depuis cinq ans. Quand on aime, on n’attend pas cet instant pour le montrer. Elle m’a compris, mais elle est triste si on ne fait pas au moins un bon repas à deux, à la maison, ce soir-là.  » Radin, Laurent ?  » En aucun cas elle ne pourrait me traiter de la sorte : je la couvre d’or et de diamants. La preuve, je viens de lui offrir un beau livre de cuisine !  » D’autres ressentent ces réjouissances comme une mascarade. Pouria, 42 ans, marié depuis sept ans, a célébré sa dernière fête des amoureux à 17 ans.  » J’ai un problème avec les choses factices : je déteste le faux vieux, les faux Chanel, la fausse modestie… Dans une société de plus en plus formatée, économiquement et culturellement mondialisée, le 14 février symbolise tous ces « faux ». C’est creux, importé et insignifiant. L’amour, c’est tout le temps, ou pas. J’achète quelque chose de beau et je le lui offre… trois jours plus tard, pour son anniversaire.  » Même arrière-goût mitigé pour Nicolas, 38 ans, célibataire. Si à l’adolescence ce rendez-vous romantique représentait pour lui une sorte de Graal, il a perdu de son éclat après une année passée aux Etats-Unis.  » J’ai goûté à l’avalanche sucrée de bons sentiments nappés de glaçage rose bonbon : là-bas, tout le monde reçoit des cartes et des petits mots. Hyperglycémie affective caractérisée.  » A 25 ans, il troque le cadeau contre un  » top resto pour impressionner sa belle  » et reconnaît lui-même que cela lui confère une certaine fierté. D’un cliché à l’autre, il termine désabusé :  » Je préfère passer la soirée à faire la fiesta avec un bon groupe d’amis et ma compagne, plutôt qu’aux chandelles. Trop de pression tue le plaisir et la spontanéité. Si Valentin avait su que ce serait au profit des fabricants de cartes et des fleuristes, pas sûr qu’il aurait opté pour le martyre. Un peu comme le Nouvel An, les fêtes sur commande, ce n’est pas mon truc.  »

VOUS AVEZ DIT ARNACoeUR ?

Nicolas est loin d’être le seul. Selon Paul Dewandre, une étude américaine a montré que 90 % des personnes qui achètent un cadeau à l’avance sont des représentantes du sexe dit faible, alors que 90 % des gens qui choisissent un présent à la dernière minute sont des mecs.  » Il suffit de voir la file chez les fleuristes le 14, à 19 heures : uniquement des gars en manque d’inspiration « , s’amuse le spécialiste qui affiche vingt-deux ans de mariage et peut donc être pris au sérieux côté conseils.  » Il suffirait que ces messieurs comprennent que leur moitié fonctionne comme un jardin qui demande un entretien quotidien, propose-t-il. Il ne faut pas qu’ils cessent de travailler une fois le contrat signé.  » D’ailleurs, ceux qui l’ont capté prennent visiblement plus de plaisir à célébrer leur amour conformément au calendrier.  » Quoique rebelle au plus profond de mon âme, insoumis aux diktats commerciaux, je dois avouer mon inconditionnel enthousiasme pour la Saint-Valentin, raconte Sébastien, 40 ans. Il s’agit vraiment d’une opportunité incontournable d’étonner sa femme. Entendons-nous bien : quand j’aime, j’aime passionnément, en mesurant chaque jour la chance qui est mienne de partager ma vie avec une personne d’exception. Je ne peux pas me priver d’exprimer ma reconnaissance, de lui dire combien elle est belle ou de faire apparaître sur son visage le sourire qui m’apporte tant d’apaisement. Lorsque vient le 14 février, l’occasion se prête à d’autres surprises. Pas parce que tout le monde le fait, mais parce qu’il y a dans mon coeur une fille à célébrer, source d’émotion, d’équilibre et de bien-être. Et tout cela est bien trop fragile pour être ignoré.  » Sous les traits de Sébastien se cache probablement le prince charmant dont rêvent en secret toutes les belles du royaume. Un chevalier prévenant. Celui qui la regardera encore avec les yeux de la passion, même au saut du lit, même après vingt ans de vie commune, même si elle a grossi.

LA PARODIE DU BONHEUR

La meilleure manière d’éviter la contrainte de cet incontournable du calendrier est probablement de s’y préparer toute l’année, d’être vigilant au quotidien.  » Et de la toucher le jour J avec une petite surprise, pour montrer que vous la cernez bien. Plus c’est personnel, mieux c’est, affirme le spécialiste de Mars et Vénus. Par contre, gaffe aux initiatives telles qu’un week-end en tête-à-tête. Certaines adorent mais pas toutes. Ça peut faire un flop total. Principalement parce qu’il y en a qui préfèrent tout préparer, anticiper, et ça les ampute d’une partie de leur plaisir.  » Pour faire mouche, il faut donc bien connaître son alter ego… et ses petits travers. Laurent, 38 ans, a parfaitement saisi ce point essentiel :  » Je m’adapte aux circonstances. Si je suis avec quelqu’un qui y accorde peu d’importance, je ferai un petit geste. Si ma chérie, au contraire, trouve cette date cruciale, je marquerai le coup. J’essaie toujours de sortir des sentiers battus – pas de resto, pas de roses – et je cherche quelque chose qui la rende heureuse. Comme un bouquin épuisé en magasin qu’elle cherchait désespérément, une paire de lunettes identique à celle perdue…  » Le secret de ce trentenaire ? Faire des listes de cadeaux –  » Je suis assez attentif aux envies de mes proches pour avoir des idées au moment opportun.  »

Pas de panique toutefois si vous espériez trouver dans cet article une botte secrète pour un présent last minute. Jean-Claude Kaufmann vous vient en aide. Primo, évitez le piège du consumérisme : n’allez ni chez le fleuriste, ni chez les marchands de chocolats. Privilégiez plutôt  » un clin d’oeil qui permettra d’installer un microrituel amoureux. Souvent il y a un décalage entre le rêve absolu de la liaison et la vie quotidienne, qui en est très loin. Il est important de rêver… mais pas trop fort. Un petit détail peut enclencher un vrai processus. Pensez à une chose qui va améliorer la relation, comme la promesse d’une attitude, d’un comportement que l’autre souhaite. Engagez-vous avec précision. Par exemple à faire la vaisselle du petit déjeuner le dimanche. C’est très réalisable et cela entraînera sûrement une évolution positive dans le futur, puisque c’est un engagement à long terme. Je crois énormément aux petits pas.  » Et si finalement, plutôt que de considérer cette fête comme une besogne, vous la voyiez comme un élan romantique, une façon de sortir de la grisaille, du train-train journalier ? Sans prise de tête. Juste pour vibrer. Ensemble. C’est tout.

(1) Les hommes viennent de Mars, les femmes de Venus 2, en tournée dans toute la Belgique francophone en mars prochain. http://mars-venus.fr

(2) Un lit pour deux, par Jean-Claude Kaufmann, éditions JC Lattès, 200 pages.

PAR VALENTINE VAN GESTEL / ILLUSTRATIONS : CAROLE WILMET

 » Si Valentin avait su que ce serait au profit des fabricants de cartes et des fleuristes, pas sûr qu’il aurait opté pour le martyre.  »

 » Quand vient le 14 février, l’occasion se prête à d’autres surprises. Pas parce que tout le monde le fait, mais parce qu’il y a dans mon coeur une fille à célébrer.  »

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