Epargnée lors de la Seconde Guerre mondiale, Cracovie a conservé intacts les vestiges glorieux de son passé florissant. Le coeur de la Pologne se tourne obstinément vers l’avenir, celui de la créativité et d’une consommation haut de gamme.

Cracovie s’articule le long de la Vistule, rivière aux bordures nettes, curieusement peu investie par les chalands mais qui offre d’élégantes croisières fluviales et estivales. On découvre très vite son architecture miraculeusement préservée et unique. Chaque bâtisse ancestrale s’est érigée sur la structure d’une autre maison, plus ancienne encore. Les fresques baroques y recouvrent des peintures gothiques elles-mêmes superposées à des vestiges de décorations romanes. L’histoire y est partout palpable.

Siège d’un diocèse depuis le XIe siècle, ravagée par les Tatares plusieurs fois au XIIIe siècle, reconstruite au XIVe siècle, la ville fut la résidence des rois de Pologne et la capitale du pays, du XIVe au XVIe siècle. Après les destructions des Tatares au XIIIe siècle, la ville érigea la place du Marché, la plus ample en son temps. Le vaste espace carré de 4 hectares, leg du Moyen Age, offre une enfilade de bâtiments magistraux et d’hôtels particuliers datant du XIVe ou XVe siècles, d’églises somptueuses et bondées, de stands ployant sous les colifichets, poupées russes ou gadgets japonais. Le soir, les concerts de chants baroques ou de musique folklorique embrasent les esprits. La vodka de bison noyée dans le jus de pomme coule à flots. On découvre le Polonais sous un angle altier, celui d’un bon vivant obstiné.

La Halle aux Draps (Sukiennice) au coeur de la Grand-Place est un marché couvert créé au XIIe siècle et redessiné au fil des époques. Incendiée en 1555, elle fut rebâtie dans le style Renaissance et ses arcades abritent désormais des cafés d’inspiration viennoise ou des échoppes recelant de véritables trésors touristiques : mascotte en bois, colliers d’ambre et d’argent, céramique, verreries.

La ville, ce n’est pas un secret, est religieuse, à l’image du pays. Plus de 80 % de la population est ici catholique pratiquante. Témoin, les familles endimanchées, engoncées dans des costumes sombres et chemises immaculées, qui se répandent dans les lieux de culte. Témoins aussi, ces grappes de bonnes soeurs et de curés aux visages frais évoluant nonchalamment le long des rues pavées.

Sur la Grand-Place encore, l’église Notre-Dame (kosciol Mariacki) ne désemplit pas. Simples touristes et fidèles s’y mêlent, allument un cierge et admirent les magnifiques plafonds turquoise aux dorures baroques. Erigée au XIIe siècle et détruite lors des invasions tatares, l’église a subi trois reconstructions successives avant de refleurir au XIVe siècle comme une des plus belles plantes sacrées du pays. Toutes les heures sont distillées, depuis cette  » tour de guet « , les quatre notes du  » Hejnal « , mélodie atrophiée, entonnée à la trompette en souvenir d’une sentinelle qui sacrifia sa vie en tentant d’alerter la cité assoupie d’une approche des Tatares. Hommage au légendaire garde musicien interrompu au milieu d’une mesure, la gorge transpercée par la flèche d’un ennemi plus prompt que lui, ce Hejnal, symbole de Cracovie est désormais joué des quatre faces de la tour en direction des points cardinaux et retransmis une fois par jour à la radio nationale.

Preuve s’il en faut que Cracovie palpite en rythme, on surprend de vaillants hommes-orchestres, troubadours, accordéonistes ou clarinettistes de rue qui sévissent en tous lieux. Sur le parvis de Notre-Dame, un apprenti rocker gratte sa guitare électrique tandis qu’à quelques enjambées, un groupe en costume local, tresses gracieuses et serre-tête joliment piqueté de marguerites présente une  » Danse des canards  » orientalisée. Il y a aussi le martèlement des sabots sur le pavé, la scansion des grelots de cuivre. Sur les calèches fringantes, des touristes frileux traversent, vibrant d’émotion contenue, la Grand-Place et ses environs.

Fièvre acheteuse

Dans les rues adjacentes à la place du Marché, dont les artères éminemment commerçantes de Florianska et Szewska, déambulent de belles Polonaises. Distillées au rez-de-chaussée d’immeubles d’inspiration gothique ou Renaissance, dans des tons terre de Sienne ou rose Méditerranée, les grandes chaînes françaises ou suédoises se succèdent, entre des McDonald’s au faciès consciencieusement ravalé. Les ruelles camouflent des cours intérieures accessibles via des passages étroits, quasi invisibles si l’on n’y prête attention. Ces mini-galeries associent en vrac magasins de sports et autres  » skate shops  » branchés (Puma, Salomon ou encore Nike), tatoueurs rock’n’roll et restaurants à la décoration joliment surannée. En sous-sol, des  » discothèques « , d’authentiques caves transformées en bars-tavernes, s’époumonent à toute heure.

Entre deux emplettes, les badauds se pressent dans des bars esthétisants pour y engloutir des chocolats chauds et mousseux. Ou s’engouffrent chez Empik (5, Rynek Glowny, 2, Ul. Sienna), sorte d’équivalent local de la Fnac, glorifié par un ascenseur intérieur en fer forgé. Au 2e étage, à proximité des stands de disques, ils échouent, heureux dans un café cosy et boisé, le  » Piks « , aux sièges de velours émeraude. On y sert les imparables pretzels, des pâtisseries meringuées et un remarquable expresso.

L’art s’affiche

La culture, ancienne ou contemporaine, a pignon sur rue dans la ville. De 1890 à la Première Guerre mondiale, Cracovie voit fleurir le mouvement artistique et littéraire  » Jeune Pologne  » (Mloda Polska). L’Art nouveau aux contours sinueux s’y impose, tandis que l’entre-deux-guerres voit éclore des courants réalistes ou avant-gardistes. Après la Seconde Guerre mondiale et jusqu’en 1955, le réalisme socialiste occulte les tendances parallèles.

Parmi les multiples  » espaces de repos  » au cachet d’antan et aux allures divinement torturées, notons Jama Michalika, restaurant et galerie d’art, une autre combinaison dont Cracovie est friande. Inchangé depuis le siècle dernier, ce café littéraire Art nouveau est orné de caricatures, marionnettes en bois et guignols désuets. Ses tables couvertes de dentelle, ses lampes juponnées, ses sièges moelleux et ses vitraux gothiques tranchent sur le style contemporain des boutiques voisines. On y retrouve d’éloquents modèles de décoration populaire : des crèches baroques en papier doré, dont les toits en coupole sont recouverts d’écaille et qui rivaliseront, sur la Grand-Place à Noël, avec d’autres constructions enveloppées d’aluminium aux reflets moirés.

Depuis les années 1960, l’affiche est considérée en Pologne comme une discipline de choix. La jeune génération d’artistes polonais se distingue particulièrement dans les arts graphiques au sens large. Ses travaux sont exposés dans le cadre d’événements temporaires ou mis en vente dans des galeries d’art privées. Citons en vrac la galerie Jan Mleczko (Ul Jana 14), qui propose dessins et caricatures des grands humoristes polonais, la galerie Jan Fejkiel (Ul Grodzka 25), possède les meilleures gravures de la ville, ou encore la galerie Plakatu (Ul Stolarska 8/10), spécialisée dans l’affiche et le poster.

Dans la série art moderne, mais favorisé cette fois par le mécénat, notons le geste louable du cinéaste polonais Andrzej Wajda qui permit, en cédant les 340 000 dollars (environ 347 000 euros/14 millions de francs) d’un prix qu’il avait remporté à Kyoto en 1987, de faire ériger le Manggha Museum of Art and Technology, véritable temple du savoir-faire et de l’art au pays du Soleil-Levant. Création futuriste de l’architecte japonais Arat Isozaki, ce bâtiment beige rosé à la coiffe grise, gracieusement ondulée capte le regard, sur l’autre rive de la Wisla.

Tourisme Schindler

Le dimanche, un saut s’impose au marché aux puces place Nowy, à Kazimierz, le quartier juif, situé au sud-est de la colline du Wawel, là où s’érige le château royal détruit par un incendie et reconstruit au XVIe siècle dans le style Renaissance.

Au marché, cuirs patinés et fourrure de seconde main, éternels pretzels, oeufs frais, cakes au chocolat et chocolats au citron sont stockés en vrac, souvent posés à même la pierre. L’éclectisme et les pépiements de rigueur exaltent, sous un rayon de soleil flatteur, une indéniable joie de vivre. Le long de la place sont alignés des bistrots branchés.

Spielberg et son film  » La Liste de Schindler  » a attiré l’attention du monde sur la communauté juive de Cracovie. Sans ce  » tourisme Schindler « , Kazimierz sombrait progressivement dans l’oubli. Ce fut le cas dans les années 1980 où le quartier, dépecé, était encore considéré comme périlleux. Le secteur s’est vidé de sa substance lorsque sa population fut expropriée vers le ghetto juif, dès le 21 mars 1941, solution temporaire avant la déportation finale dans les camps de la mort en 1943. Ce ghetto ayant été entre-temps dévasté, Spielberg s’est replié pour son film sur le site de Kazimierz, le camp de travail de Plaszow et l’ancienne usine de céramique d’Oscar Schindler, rare vestige du quartier d’origine. On y fabrique aujourd’hui des composants électroniques.

Les synagogues ont été, dans ce chaos, miraculeusement préservées. Celle d’Izaak, transformée aujourd’hui en musée historique, est la plus vaste de la ville. Il y a aussi la Vieille Synagogue, bâtiment de style Renaissance partiellement détruit par les nazis et aujourd’hui restauré, qui abrite le musée d’Histoire des juifs de Cracovie. Le nombre de juifs orthodoxes recensés dans la ville demeure faible, environ 200. Mais de nombreux Polonais, émigrés notamment à Chicago, reviennent régulièrement rendre un culte à la terre meurtrie.

Emmanuelle Jowa

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