Aujourd’hui même s’ouvre à Bruxelles une des plus importantes galeries d’Europe consacrées au design italien du XXe siècle. Weekend vous fait découvrir en primeur quelques pièces rares, fraîchement sorties des réserves.

P our Anne Autegarden, Bruxelles, par son statut de capitale de l’Europe, s’imposait comme le lieu idéal pour ouvrir, Galerie 146, un espace consacré au design italien du xxe siècle. Après vingt années passées à partager son temps entre la Belgique et Milan, cette femme de tête concrétise son rêve en collaboration avec le galeriste parisien Philippe Rapin.  » La véritable explosion du talent, de la griffe italienne, de ce que Umberto Eco appelle  » une philosophie, voire une idéologie du design  » éclate après la Seconde Guerre mondiale, explique-t-elle. Relativement isolés depuis l’émergence du fascisme dans leur pays, les créateurs transalpins ont vécu la fin de cette époque de plomb comme une libération. Il n’en reste pas moins qu’un travail de pionnier avait déjà été réalisé durant l’entre-deux-guerres.  » Et on peut remonter plus loin encore… Dès sa création, en 1908, Olivetti engage des architectes pour s’occuper non seulement de la ligne des produits mais aussi de l’aménagement des ateliers, de la décoration intérieure et de la ligne publicitaire. L’entreprise poursuivra plus tard dans cette voie en lançant deux machines à écrire portatives présentes dans toutes les anthologies du xxe siècle : la Lettera 22 de Marcello Nizzoli en 1950 et, en 1969, la Valentine de Ettore Sottsass Jr et Perry King. Déjà actif dans les années 1930, Nizzoli appartient à la même génération que Franco Albini, Carlo Mollino ou Gio Ponti, le fondateur de la fameuse revue d’architecture et de design  » Domus « , dont le premier numéro date de 1928.

La fin des années 1940 est caractérisée par l’émergence d’une industrie italienne de l’ameublement. Les petits ateliers des artisans grandissent et poussent comme des champignons dans la région de Meda, dans la périphérie milanaise. Qui plus est, la reconstruction du pays aidant, ils se voient confier la construction de nombre d’immeubles qu’il s’agit de meubler dans un style cohérent avec leur architecture moderniste. Ces meubles n’existant pas sur le marché national, les architectes deviennent designers. Pour un bâtiment réalisé en un exemplaire unique, ils peuvent développer des mobiliers et des objets qui vont se vendre aux quatre coins de la planète. Le design italien est alors véritablement sur les rails de son succès.

En 1951, la 9e triennale de Milan propose un salon spécial sur le thème de la  » forme de l’utile « . On utilise alors de moins en moins le bois au profit du plastique, de l’acier et de la mousse polyuréthane. On dessine même des fauteuils et des canapés qui s’inspirent des sièges de voiture, avec un mécanisme permettant de régler leur inclinaison. Au milieu des années 1950, le plastique triomphe. Kartell, qui s’illustre aujourd’hui encore û notamment via la griffe de Starck û, est fondé en 1949. A cette époque, la marque est connue pour ses presse-citrons ou… boîtes à ordures. Qui dit plastique dit légèreté, un concept qu’on retrouve dans le mobilier, notamment avec les chaises empilables dont les deux premières apparaissent au cours des années 1960 : la Selene de Vico Magistretti et la 4860 de Joe Colombo, deux autres architectes designers très importants.

Comme la société occidentale tout entière, le design italien connaîtra ses golden sixties et sa période contestataire. Celle-ci prend forme en 1966 déjà avec la création du Superstudio et de l’Archizoom, deux groupes qui possèdent un temps leur propre revue. Ils prônent un design radical exigeant  » la non-réalisation des créations  » ! Un des temps forts ? L’édition en 1971 de la table basse Quaderna, dont le revêtement en aggloméré est illustré d’un motif de grille régulière. L’industrie ne s’arrête pas pour autant. En 1972, Artémide fait appel à l’Américain Richard Sapper pour créer la lampe Tizio, un des plus grands succès en son genre.

En 1981, Ettore Sottsass, architecte, designer et, plus encore, penseur conclut cette période de remise en question :  » Durant ces dix à quinze dernières années, nous avons travaillé en Italie de manière conceptuelle. Nous avons réalisé peu de choses et peu de produits. En revanche, nous avons réfléchi, écrit, discuté… Je crois pourtant que tout cela ne nous a pas mené bien loin.  » Bien avant ce constat, Sottsass s’est inscrit dans une nouvelle dynamique. En 1976 û il a bientôt 60 ans û, il fait partie du studio Alchimia avec de jeunes architectes comme Alessandro Mendini, Michele de Lucchi ou Andrea Branzi. C’est dans ce studio que sont alors exposés des exemplaires uniques et des prototypes de nouveaux meubles, comme le fauteuil bariolé Proust, signé Mendini. Le 11 décembre 1980, Sottsass, de Lucchi et quelques autres se réunissent chez le premier. Ils écoutent la chanson de Bob Dylan  » Stuck inside of mobile with the Memphis blues again « . Le 18 septembre 1981, la première exposition vente de Memphis ouvre ses portes à Milan, présentant 52 mobiliers, lampes et objets. Une nouvelle culture était née, générant bien plus que des objets : de l’émotion.

Ce sont des reflets tangibles de cette course étourdissante au travers du xxe siècle italien que proposent Anne Autegarden et Philippe Rapin. De leurs explorations péninsulaires ressortent, bien entendu, des pièces connues, signées et référenciées dans les ouvrages d’anthologie et catalogues d’expositions ou de musées, à la condition qu’ils ne soient pas en réédition permanente. D’autres pièces, produites de manière plus confidentielle, souvent non signées, sont aussi disponibles. Et cet assortiment remarquable permet de porter un regard neuf et différent sur toutes ces créations.

Jean-Pierre Gabriel

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