A une époque, la saison touristique à Coxyde était marquée par un grand meeting aérien. Du 2 au 4 août prochain, l’aviation sera à nouveau à l’honneur avec Fly In, dont le coup d’envoi sera donné cent ans jour pour jour après le début de la Première Guerre mondiale.

Un dimanche ensoleillé de mai. Un biplan de couleur orange vif roule sur le tarmac de la base aérienne de Coxyde. Pour les connaisseurs, il s’agit d’un SV-4 (année de conception : 1933), un avion légendaire conçu pour l’entraînement et produit par le fabricant belge Stampe & Vertongen. Aux manettes se trouve le commandant retraité Johan De Block, surnommé Beaker. Ce dernier est aussi la cheville ouvrière du club local, West Aviation. La tentation est grande de grimper dans la carlingue pour aller voir d’en haut à quoi ressemble le Westhoek. Mais pour faire son baptême de l’air dans ce type d’aéronef, il faudra revenir en août prochain, lors du Fly In. Le SV-4 sera alors accessible, comme une centaine d’autres modèles historiques. Jusqu’il y a peu, le prestigieux meeting aérien de Coxyde attirait jusqu’à 80 000 spectateurs, chaque été, pour admirer les prouesses des Red Arrows, des Thunderbirds et de la Patrouille de France, des as de la haute voltige. Mais l’événement fut supprimé, pour raisons économiques.  » À la Défense, on regarde aussi à la dépense, confirme l’adjudant Philippe Desmyttere du service des relations publiques de cette base ouest-flandrienne. Faute de personnel et de moyens financiers, un tel spectacle est actuellement impossible.  » L’administration communale de Coxyde, l’Office du tourisme de Coxyde-Oostduinkerke et le West Aviation Club ont donc trouvé une alternative s’appuyant sur le riche passé de la région, et plus particulièrement sur le rôle qu’elle a joué dans la Grande Guerre, et mis au pied cette nouvelle manifestation.

LE BAPTÊME DU FEU

En Flandre, le terrain d’aviation de Coxyde est surtout connu pour sa 40e escadrille d’hélicoptères, une composante de l’armée belge de l’air spécialisée dans le sauvetage en mer à l’aide de ses Sea King Mk-48 – des faits héroïques racontés dans la série et le film flamands Windkracht 10. Mais la plupart des gens ignorent qu’en réalité, ce lieu a été l’un des premiers champs d’aviation de Belgique et qu’il était déjà utilisé début 1915. L’aviation en était encore à ses débuts… C’est en effet le 17 décembre 1903 que les frères Orville et Wilbur Wright se lancent dans la conquête du ciel en effectuant un premier vol motorisé de 260 mètres dans les dunes de Kitty Hawk, en Caroline du Nord. Cinq ans plus tard, le baron Pierre de Caters, premier Belge à obtenir son brevet d’aviateur, réalise avec succès son vol inaugural. Ses performances inspirent alors d’autres pionniers, notamment le chevalier Jules de Laminne, Jan Olieslagers, Jules Tycks et même une femme, l’actrice et cascadeuse tournaisienne Hélène Dutrieu, surnommée  » la flèche humaine « . Bien vite, les dirigeants prennent conscience du potentiel des aéronefs, en premier lieu dans la reconnaissance, jusqu’alors cantonnée à l’utilisation de ballons ancrés au sol. Le ministère français de la guerre est le premier à acheter, en 1909, une série d’appareils destinés à des missions d’observation. D’autres pays européens lui emboîtent le pas, notamment la Belgique qui crée la Compagnie des aviateurs, au début des années 10. Les candidats pilotes doivent être âgés de moins de 35 ans, célibataires, officiers en activité et déjà en possession d’un brevet civil.

À peine un an après sa création, c’est le baptême du feu pour l’aviation militaire : le 4 août 1914, l’Allemagne envahit la Belgique. Après des combats acharnés, les hommes se replient derrière l’Yser, un obstacle naturel dans le Westhoek. En inondant les polders entre la ligne de chemin de fer Dixmude-Nieuport et le fleuve, les soldats réussissent à arrêter l’offensive ennemie. La force aérienne allemande avait déjà effectué des bombardements en Afrique du Nord en 1911. Elle récidive en janvier 1915, en pilonnant les positions belges à Dunkerque. Du coup, notre état-major se rend compte que les avions offrent bien plus de possibilités que la reconnaissance. Les appareils belges sont dès lors équipés de mitrailleuses.

LA FLEUR AU FUSIL

Pour implanter le premier terrain d’aviation de Coxyde, dans les années 10, trois prairies furent choisies, à côté de la ferme Ten Bogaerde, une importante dépendance de l’abbaye cistercienne des Dunes (1138). Au fil des siècles, l’abbaye et ses dépendances ont beaucoup souffert des conflits militaires, mais les façades extérieures des imposantes granges sont encore debout, et le reste du complexe a été très élégamment restauré. En 2004, la commune a d’ailleurs racheté la ferme et l’a transformée en centre culturel, qui comprend notamment une salle d’exposition dans l’ancienne église abbatiale.

Au départ, les infrastructures du champ d’aviation étaient particulièrement sommaires : des baraques et des tentes étaient censées abriter les aéronefs et le personnel. Le premier appareil qui tenta d’y atterrir – un Farman – heurta les peupliers qui bordaient le site et s’écrasa. À partir de mars 1915, trois escadrilles belges décollaient déjà du site. Plus tard, des unités françaises et britanniques y furent stationnées. Comme la ferme Ten Bogaerde n’était située qu’à 10 km de la ligne de front, elle essuyait souvent les tirs ennemis. En 1916, un nouveau terrain d’aviation fut donc aménagé aux Moëres, un village de l’entité de Furnes.

Étant donné que le paysage tout autour de Ten Bogaerde n’a pratiquement pas changé en cent ans, on peut facilement y imaginer des récits de guerre. À gauche du portail du site, les champs se coloreront de vermillon pour les festivités de début août. Pour cela, trois kilos de graines de Papaver rhoeas ont été semées en avril dernier. Des dizaines de milliers de fleurs formeront ainsi le plus grand champ de coquelicots de Flandre. Ces  » poppies « , comme on les appelle outre-Manche, symbolisent la Première Guerre mondiale au Royaume-Uni et dans les pays du Commonwealth. Dans son poème In Flanders Fields, le médecin et poète canadien John McCrae a immortalisé ces corolles rouges fragiles qui ont courageusement continué à fleurir sur les champs de bataille, en dépit de la mort et des destructions.

PLUS DE 1 000 JOURS

Ce champ de coquelicots est une idée de Marc Vanden Bussche, le bourgmestre de la localité, qui travaille depuis dix ans sur son livre Leven en dood, Bachten de Kupe tijdens de Groote Oorlog (Vie et mort – Bachten de Kupe pendant la Grande Guerre), où il décrit la vie quotidienne dans sa région pendant cette période effroyable.  » Coxyde et ses environs ont joué un rôle crucial dans le conflit. Un jour, j’ai vu à Saint-Pétersbourg une plaque commémorative proclamant « Nous avons tenu tête aux Allemands pendant 900 jours ». Eh bien, chez nous, on pourrait en dire autant, sauf que nous leur avons résisté 1 200 jours, précise le maïeur. C’était une époque terrible : nous étions bombardés depuis la mer et les airs, et par-dessus l’Yser. Les Allemands se sont servis de la Grosse Bertha, un obusier d’une portée de tir de 15 km. Nieuport a été complètement rasée et environ 2 000 habitants se sont réfugiés dans un quartier de notre ville baptisé le Petit Nieuport. Plus les gens étaient proches de la ligne de front, plus vite ils étaient évacués. Des familles entières ont été séparées, beaucoup d’enfants ont été recueillis à Paris et dans des colonies de vacances en Normandie. Quatre ans plus tard, certains ne comprenaient plus leurs parents.  » D’autre part, la seule parcelle du territoire national qui échappait encore à l’Occupation – quelques communes rurales endormies où le tourisme côtier n’en était encore qu’à ses balbutiements – devint le centre de la Belgique durant cette période.  » On y voyait souvent la famille royale. Elle résidait à cinq kilomètres d’ici, dans l’avant-dernière villa avant la frontière française, désertée par ses propriétaires. Comme la reine Élisabeth l’écrit dans son journal intime : « Nous nous sommes installés comme des coucous dans le nid d’autrui ». Elle et le roi Albert y recevaient des hommes politiques, des dignitaires et d’autres têtes couronnées.  »

L’armistice a été suivi par une période de reconstruction. Les hommes de métier les plus recherchés ont pu rentrer en premier chez eux. Le projet de transformer Ten Bogaerde en un terrain d’aviation civile dans les années 30 n’a pas été concrétisé. La base actuelle de Coxyde se situe à l’est de Ten Bogaerde. En octobre 1940, les troupes d’occupation allemande ont commencé à construire le champ d’aviation, ouvrant ainsi un nouveau chapitre mouvementé de l’histoire aéronautique de la localité…

Cet été, le Fly In permettra de revenir sur la période mouvementée de 14-18 avec la reconstitution d’un village faisant découvrir au visiteur ce que les habitants de la région ont vécu à l’époque. Une soixantaine d' » acteurs  » participeront à une reconstitution historique palpitante.

www.flyinkoksijde.be/fr

PAR LINDA ASSELBERGS / PHOTOS : FRÉDÉRIC RAEVENS

Les champs se coloreront de vermillon pour les festivités.

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