Avec érudition et drôlerie, Juliette Nothomb nous livre chaque semaine ses recettes, tours de main et réflexions culinaires. Tout un art, brodé à petits points avec un humour bien de famille.

Je garde une dent (ce qui, pour une cuisinière bon teint, est somme toute logique) contre un Italien qui se targuait d’être un fin gastronome… voilà bien un personnage aussi imbu de lui-même qu’un croûton l’est d’huile de friture (na !).

On m’avait demandé de concocter un petit repas fin pour ce Monsieur et, stimulée par l’adrénaline du défi et la crainte de décevoir, je me mis en quatre pour en jeter plein la vue à mon honorable convive. Voici le menu que je créai sur son autel et que j’annonçai verbalement à la tablée :

Mousse de rucola (roquette), tuile de parmesan

Couronne de mousse de sole et saumon, sauce bisque

Lingot de mousse de mûres sur fond croustillant

La modeste chef vint recueillir en tremblant l’avis de son hôte de marque qui d’abord se récria. Le premier et les autres se récrièrent de satisfaction au souvenir ému des mets si délicieux et hors du commun qu’ils venaient de déguster. Déjà, l’orgueil et l’autocomplaisance bouillonnaient en moi comme un ragoût odorant. Je ronronnais intérieurement comme un gros matou repu et heureux… jusqu’à ce qu’une légère et polie remarque sortît de la bouche de l’invité d’honneur :  » Mais si je peux me permettre, troppo  » mousse « … « . Et voilà ! In cauda venenum…

Ô rage, Ô désespoir, malgré mon apparent flegme britannique, en moi le b£uf bourguignon appétissant s’était métamorphosé en philtre empoisonné.

Pourtant, quand j’y réfléchis, la coupable et surtout l’idiote, c’était bien moi. N’importe quel cuisinier sait parfaitement que lorsqu’il compose un menu celui-ci doit proposer des plats évitant monotonie, préparations et ingrédients similaires. Et pourtant, je le revendique en toute lucidité : mon menu n’était ni une aberration diététique ni une faute de goût. Simplement, en l’annonçant comme un aboyeur dans une soirée huppée, je ne me suis pas rappelé la délicieuse remarque de Tonton William,  » what’s in a name « , lorsque Romeo se lamente de ce que sa Juliette s’appelle Capulet et non van de Calcijde… sous n’importe quel autre nom, une rose ne sentirait-elle pas tout aussi bon ? Ma rose à moi, mon menu, ne péchait que l’intitulé. l’eussé-je nommé comme suit :

Crème de rucola, tuile de parmesan.

Couronne de mousse de sole et saumon, sauce bisque.

Cheesecake aux mûres sur fond croustillant.

… mon onctueux gaillard en eût eu le (fin) bec cloué, non ?

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