Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

Il suffit de deux heures de voiture, cap au nord. De Big Apple, on peut pousser une pointe jusqu’à Woodstock, cette bourgade paisible de l’Etat de New York qui porte le nom du mythique festival de l’été 1969. qui eut lieu, en fait, à Bethel, une centaine de kilomètres plus loin. Balade nostalgique à la recherche des détonations soniques Peace & Love.

Ils sont persuadés d’y être arrivés, de fouler le saint des saints, maisà  » Il y a beaucoup de gens qui viennent à Woodstock, entrent dans ma boutique et me demandent où s’est passé le festival. Je suis bien obligée de leur dire qu’il s’est en fait déroulé à deux heures de voiture d’ici « , s’amuse Marsha Fleisher, la propriétaire de Loominus, une adresse chic du centre de la petite ville.

Le nom de Woodstock est resté gravé dans les mémoires, tout simplement parce que Michael Lang avait imaginé y tenir son rassemblement de  » l’âge du verseau « . Mais pour cause de manque d’espace et aussi de méfiance des habitants envers ce délire hippie, l’organisateur du festival a dû décamper à Bethel (au sud-ouest, dans l’Etat de New York également). C’est là et bien là qu’il a fini par dénicher les pâturages d’un fermier assez culotté pour accepter trois jours  » de musique et d’amour  » flanqués d’un casting musical gratiné : Jimi Hendrix, Janis Joplin, les Who, Sly Stone, etc. Un OK qui généra, à la mi-août 1969, cette gigantesque fête – un mythe en 2009 – à la boue et aux décibels glorieux et le plus grand bouchon automobile de l’histoire des Etats-Unis (*).

A Woodstock-village habita toutefois une génération de musiciens dont le plus notable fut Bob Dylan.Il y débarque en juillet 1965 avec femme et enfants, fatigué des constantes sollicitations de Greenwich Village, quartier bohème de Manhattan, où il réside. On peut d’ailleurs toujours s’amuser à repérer sa maison sur Camelot Road, à Byrdcliffe, un large bazar en bois de onze chambres, d’accès strictement privéà Tout comme Big Pink, la maison rose, où il enregistra des trésors avec les musiciens du Band.

Karma caméléon

On peut boucler le mini-trip à Woodstock – le vrai et le faux – en une longue journée ou se laisser aller à un week-end, de préférence en automne, quand la gangue de verdure se charge de couleurs fauves. En quittant New York, en voiture, cap au nord, on franchit le spectaculaire pont George Washington qui nargue l’Hudson en surmontant les hautes rues de Manhattan pour se poser sur le New Jersey.

Après deux heures de voyage. On entre dans Woodstock, 6 000 âmes, par des routes en lacet verdoyantes – rousses incendiaires en automne – menant aussi à une succession de  » petites maisons dans la prairie « . L’église presbytérienne donne le ton des matières : du bois clair, très XIXe siècle.

La balade à pied dans la Mill Hill Road principale annonce, elle, une autre couleur spirituelle : zen- orientale. Bonne occasion de vérifier sa dose de karma : au-delà des objets de culte festivalier tels que tee-shirts Woodstock délavés et posters Peace & Love glacés , on trouve de quoi ravir une troupe de bonzes : répliques variées de bouddha, tapisseries népalaises authentiques, luminaires tibérains en papier de riz, tissus orangés pour dalaï-lama amateurà

Au Landau Grill, ce pub local qui vénère le Woodstock Burger, on rencontre deux bikers eux aussi rescapés des sixties . Pas la peine de se faire un film, mieux vaut humer l’odeur des vinyles vintage du Music Shop et, contre une offrande d’une poignée de dollars, s’offrir des 33-tours qui datent de juste avant le déluge, les années 1960-1970à Avec un peu de chance, on peut aussi y croiser Levon Helm, notable résident local, batteur dans The Band.

Colonie utopique

A quelques tours de roue, se dresse le Karma Triyana Dharmachakra, monastère construit en hommage à un sage tibétain. L’imposant ensemble de bâtiments s’ouvre, deux heures par semaine seulement, aux visiteurs de passage. Mais aux âmes ferventes, le centre charitable offre un menu très varié de cours, séminaires, workshops, jusqu’à l’intégrale XXL : une retraite de trois ans et trois mois. Il est absolument nécessaire de s’inscrire – et de payer son écotà – au préalable.

Entretenant un rapport étroit entre l’environnement et le cérébral, Woodstock se développe, il y a un siècle, sur le modèle de communauté artistique utopique. Ralph Whitehead, l’un de ses instigateurs, imagine un mode de vie qui tranche singulièrement avec la (sur)production industrielle du début XIXe siècle, encourageant et supportant artistes, céramistes, peintres, architectes et musiciensà Son héritage se découvre aujourd’hui dans la Byrdcliffe Colony, un vaste domaine de 6 km2 au c£ur des montagnes Catskills, à quelques encablures de forêt au-dessus du centre woodstockien. Un chapelet de chalets rustiques pour des créateurs qui ne le sont pas, avec la possibilité de visiter les ateliers – sur rendez-vous – et de s’inscrire aux workshops, comme ceux d’Aston  » Robot  » Ellis, multi-instrumentiste vétéran de la scène jamaïcaine.

Pâturages psychédéliques

A ce moment des déambulations, fin d’après-midi, on peut encore regagner la Grosse Pomme – avec vue nocturne garantie inoubliable en approchant Manhattan – ou alors prendre un logement champêtre à Woodstock. Les plus nostalgiques prendront le volant pour gagner Bethel. Après quasi deux heures de route sinueusement campagnarde, apparaissent les champs célestes qui résonnèrent de Sly Stone, Hendrix et Janis Joplin. Max Yasgur, le propriétaire du lieu – et immortalisé dans le film Woodstock – est mort en 1971 mais son esprit est bien vivant dans le plantureux musée interactif construit à l’endroit de la scène originale. Un opus moderne en bois mettant à l’honneur The Story Of The Sixties And Woodstock. On se plonge donc au c£ur de cette folie douce que fut le rassemblement d’août 1969. Offrant au mini-trip hippie les parfums d’un indémodable voyage historiqueà

(*) Pour tout savoir sur l’historique festival de Woodstock, lire Le Vif L’Express qui y consacre, cette semaine, un dossier.

Philippe Cornet

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