AMI Paris a pris ses quartier à Bruxelles: rencontre avec son fondateur Alexandre Mattiussi

La marque française AMI célèbre en 2025 ses 15 ans d’existence. Et s’offre une boutique au Sablon, à Bruxelles. Rencontre exclusive avec son fondateur, Alexandre Mattiussi.

Un soir de juin, pendant la semaine de la mode masculine, l’horizon parisien vire soudain au gris très sombre. Alexandre Mattiussi a choisi de faire défiler son label AMI Paris en plein air, sur la place des Victoires, à deux pas de son imposant siège.

La place, un cercle parfait, est fermée à la circulation. Les mannequins défilent en boucles autour de la statue équestre de Louis XIV. Le Boléro de Ravel résonne dans les haut-parleurs. Le public est tout autour, encerclant le catwalk, sur ces chaises étroites et peu confortables souvent utilisées pour les défilés. Trente secondes à peine après le dernier passage, un orage d’une rare violence éclate sur Paris. Pluies diluviennes, rafales de vent.

Alexandre Mattiussi porte un gilet rouge, couleur signature d’AMI Paris

Les spectateurs se précipitent pour trouver refuge sous un porche ou dans un café. Une scène apocalyptique, mais aussi un moment inoubliable. Aujourd’hui, en cette journée d’automne sèche et ensoleillée, Alexandre Mattiussi, rayonnant dans un pull rouge vif – sa couleur signature -, contemple cette même place.

15 ans de maison

De son bureau, il aura bientôt vue sur une nouvelle boutique de sa marque. « Un projet très personnel, dit-il. Parce que la place des Victoires est un peu devenue ma maison. » Il fera lui-même la sélection. « Ce sera vraiment ma boutique. » De la main, il désigne un gigantesque œuf en verre, en équilibre périlleux, sur une chaise en bois. C’est une œuvre de l’artiste suédois Tarik Kiswanson, qui a remporté avec elle le Prix Marcel Duchamp.

Coup d’oeil sur la boutique du Sablon

« Cette œuvre est fantastique, s’amuse le créateur. Mais aussi un cauchemar. Car elle est terriblement fragile. Impossible d’avoir un chat ou de recevoir des enfants. On n’est jamais tranquille. Pour l’instant, elle est ici dans mon bureau. Et tout le monde doit garder cinquante centimètres de distance. Je rêve de pouvoir m’en débarrasser dans mon nouveau magasin. »

Dans notre métier, le “je” n’existe pas vraiment. Tout est travail d’équipe

Le prétexte pour notre rendez-vous est une autre boutique, plus proche de chez nous. Alexandre Mattiussi vient de s’installer pour la première fois en Belgique, au Sablon à Bruxelles. Il vient d’y ouvrir le 97e point de vente d’AMI. « Ouvrir dans un nouvel endroit, dans un nouveau pays, est évidemment toujours agréable. Mais on a plus d’affinités avec certaines villes qu’avec d’autres, assure-t-il. Avec Bruxelles, je suis dans mon élément. Je suis trop content. »

Dans la boutique bruxelloise, on peut découvrir les collections homme et femme

Sur les traces de Billy Elliot

Il se sent à l’aise dans notre capitale, tout en reconnaissant ne pas très bien la connaître. « J’y viens un peu plus souvent ces derniers temps, grâce à une bonne amie bruxelloise, poursuit-il. Et maintenant que nous y avons un point de chute, j’ai envie d’y aller encore plus. Je trouve Bruxelles plus relax que Paris. J’aime l’humour des Belges. Et puis les gens sont chics. »

Qu’il y ait beaucoup de Français, ajoute-t-il, est un atout commercial, car ils connaissent déjà la marque. « L’un de mes tous premiers clients, dès la première saison, était une boutique bruxelloise. » Pour le Sablon, l’arrivée d’AMI est une bonne nouvelle. La place, connue pour ses antiquaires, ses chocolatiers et ses restaurants, est en pleine montée en gamme. Hermès y prévoirait – murmure-t-on dans le petit cénacle de la mode – également une nouvelle boutique.

Situation parfaite pour la nouvelle boutique au milieu des restaurants et des antiquaires du Sablon

Avant de monter à Paris, Alexandre Mattiussi a grandi en Normandie. « J’étais un garçon créatif, raconte-t-il. Je dansais, je chantais, je dessinais. Je montais tout seul des petites pièces de théâtre. » La danse était sa passion, le ballet classique en particulier. « Dans mon village, j’étais le seul danseur. Un peu comme Billy Elliot, isolé à la campagne, sourit-il. À 14 ans, j’ai découvert l’existence du concours d’entrée à l’école de danse de l’Opéra de Paris. Et les centaines de garçons qui affluaient de partout pour tenter leur chance. Je n’ai pas réussi le concours, parce qu’à ce moment-là, cela ne m’intéressait déjà plus. »

Dans l’ombre d’Hedi Slimane

De la danse, il gardera pourtant le goût du spectacle, de la pluridisciplinarité. « Je suis designer, mais je fais aussi des défilés et des shootings, argumente-t-il. Je suis ici avec toi maintenant. Dans une heure j’ai un fitting et ensuite une réunion pour un nouveau flagship store à Séoul. J’adore ça. On touche à tout. » Adolescent, il aimait déjà la mode, instinctivement, sans vraiment savoir ce que cela signifiait.

« J’étais fasciné par Jean Paul Gaultier, par Thierry Mugler, ces grands créateurs français que je voyais souvent à la télévision, détaille-t-il. J’ai eu la chance d’avoir envie de mode. Car la chance, et les opportunités, n’arrivent que lorsque l’envie est là. J’ai aussi eu la chance d’être toujours soutenu par ma famille dans mes décisions. Vouloir étudier la mode à Paris était un choix bien différent de celui des autres adolescents de mon entourage. »

En quelques années, la ligne Ami de Coeur est devenue très populaire

Après l’école de mode vinrent les premiers emplois : Dior, Givenchy, Marc Jacobs. « Chez Dior, je travaillais dans le studio d’Hedi Slimane. Mais je ne l’ai jamais rencontré, bizarrement, regrette-t-il. J’étais assistant designer. Je travaillais sur une seconde ligne. Nous faisions des croquis, que l’on envoyait à Hedi. Puis ils revenaient – barrés, annotés ou griffonnés. C’était assez amusant. Une période formidable. »

Le sens du collectif

Il raconte qu’il n’a rencontré Slimane en personne qu’il y a trois ans seulement, dans le lobby du Mercer Hotel à New York. « Je lui ai fait un signe de loin. Il était là, seul, en train de manger des pâtes en toute simplicité. J’ai trouvé ça fascinant. Je suis passé trois fois devant lui, en me disant : waouh, je dois savourer ce moment. Il ne se reproduira jamais. Hedi est quelqu’un d’invisible, de très discret, dont j’admire la culture du mystère.

En vraie fan, il poursuit: «Je trouve fascinant qu’il parvienne à maintenir cela dans un monde qui ne tourne qu’autour de la représentation et de l’image. Où l’on ne fait que parler, parler, parler. Je pense d’ailleurs que nous devrions tous un peu moins parler. Moi y compris. Mon travail devrait se suffire à lui-même. »

Le petit coeur sur la A, c’est ainsi qu’Alexandre signait quand il était plus jeune

Alexandre Mattiussi reconnaît avoir appris le métier sur le tas, dans les grandes maisons qui l’ont accueilli. Après Dior, il passe cinq ans chez Givenchy, sa « plus grande école ». C’est là qu’il comprend le fonctionnement d’une maison de mode.

C’est aussi à cette époque qu’il ressent le besoin d’exister en tant que créateur sous son nom propre. De s’exprimer, seul. « Lorsqu’on est l’assistant d’un directeur artistique, on vit forcément dans son ombre, admet-il. Je voulais parler à la première personne. Ou plutôt : à la première personne du pluriel. Car dans notre métier, le « je » n’existe pas vraiment. Tout est travail d’équipe. »

Entre cuisinier et chef d’orchestre

Son mantra est connu, il le distille au fil des interviews qu’il donne depuis la création d’AMI. « Je crée des vêtements que j’aime porter moi-même. Et que les gens aiment porter. C’est une chance extraordinaire. Le fruit de mon travail existe réellement, dans le quotidien des autres. J’aime les vêtements. Je n’ai pas l’ambition d’être innovant ou provocateur. Je ne chercher pas à faire partie de la grande histoire de la mode.»

Il se voit comme un homme pragmatique. «Je consomme les vêtements comme je mange. C’est vital. J’ai besoin d’un pull, d’un pantalon, d’un manteau. Dès qu’une pièce m’est trop éloignée, elle devient moins crédible, moins authentique, moins sincère. C’est là-dessus que je veille. »

En tant que créateur, il avoue travailler comme cuisinait sa grand-mère. « Des ingrédients simples, toujours la même base. Bien sûr, les épices, les couleurs, les proportions changent. Tantôt un peu plus, un peu moins, un peu plus long, un peu plus court, plus chaud, plus froid. Je suis au turbin chaque jour, comme un chef qui cuisine et sert ensuite son menu. Ma relation au vêtement est très simple, vraiment très simple. »

Le roi du basique

Plus le temps passe, plus il épure son propos. « Après 15 ans, je reviens à l’essentiel : le manteau camel, le pull rouge, le pantalon gris, la bonne sneaker blanche, la chemise parfaite en popeline bleu clair. Touva se jouer dans les détails. Par exemple (il tend le bras) la longueur de ma manche. Est-ce que je la veux à hauteur du bas du pouce. Ou plutôt à celle du haut des doigts ? »

La course à la nouveauté à tout prix, ce n’est pas vraiment son truc. C’est avant tout un homme de basiques. « Le pull actuellement en boutique, je l’ai conçu il y a un an. Et je le trouve toujours beau. Mais je sais que mon jugement reste subjectif. Ce que je trouve laid peut être superbe pour quelqu’un d’autre. Parfois, certaines pièces connaissent un franc succès. Et je me dis : j’aurais préféré qu’elles se vendent un peu moins. »

De la danse, je garde le goût du spectacle, de la pluridisciplinarité. Je suis designer, mais je fais aussi des défilés et des shootings

Le sens du détail

Il cite en exemple une sneaker, la Mirage. Elle s’arrache littéralement. « Nous en vendons beaucoup, à notre grande surprise. Moi, je trouve cette chaussure pas tout à fait aboutie. La prochaine version, que je présenterai en janvier, est bien meilleure. Plus équilibrée, plus confortable. Avec une meilleure semelle, de plus jolis lacets. Rien n’est jamais gravé dans le marbre. Mon rôle, en tant que designer, directeur artistique et fondateur de ma maison, est de dire oui ou non. Ou attendons encore un peu. Je dirige l’orchestre. J’ai neuf cents personnes autour de moi qui travaillent en partant du principe que je les guide. C’est, sans aucune prétention, une lourde responsabilité. »

Il y a quinze ans pourtant, il a commencé seul. « Un peu plus tard, nous étions deux, trois, puis cinq, puis dix. Au siège, nous sommes aujourd’hui 350. Si l’on compte le personnel des boutiques, nous approcherons les mille avant le prochain défilé, en janvier. » L’entreprise a explosé après le Covid, dit-il. « Nous avons multiplié notre business par dix. Cela ne va pas de soi. Il faut nourrir une telle croissance. Cela prend du temps. »

Un coeur qui buzze

La ligne homme d’AMI représente toujours environ 80 % du chiffre d’affaires. Même si la ligne femme, elle, croît plus vite. « Il y a encore beaucoup de place pour se développer. C’est pourquoi je prends mon temps. Mon homme et ma femme sont meilleurs amis, frère et sœur, amants. C’est une seule histoire, avec les mêmes matières, les mêmes couleurs. Je fais toujours mes fittings homme et femme ensemble. »

La croissance d’AMI est en partie due à un logo : un A majuscule surmonté d’un cœur. La signature qu’il utilisait enfant. Alexandre Mattiussi tend la main vers son stylo et dessine encore une fois le A sur une feuille. « Regarde. C’est ainsi que je signais mes dessins, mes poèmes, mes premières lettres d’amour. » Les quatre ou cinq premières années, la marque n’avait pas vraiment de logo. « Puis j’ai pensé qu’un logo facilement reconnaissable serait sympa. Nous avons tenu une réunion. Un chat ? Un chien ? J’ai vu les petits cœurs que j’avais griffonnés distraitement dans mon agenda. C’était là. »

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Des envies de cinéma

Il a fallu quelques saisons pour que la ligne Ami de Cœur séduise. Elle n’a désormais rien à envier au crocodile de Lacoste ou au joueur de polo de Ralph Lauren. « Les gens sont fous de notre logo. Il y a d’innombrables copies au marché de Clignancourt, à Marrakech, en Thaïlande, en Tunisie. En réalité, c’est génial, c’est une chance. »

Alexandre Mattiussi parle sans retenue. De son dîner, la veille, avec l’actrice Fran Drescher. Il sort son téléphone et montre une vidéo qu’elle lui a envoyée. Des projets cinéma qu’il soutient avec AMI. Des actrices et acteurs qu’il a fait défiler, parmi lesquels Charlotte Rampling, Vincent Cassel et Isabelle Adjani. De ses futurs débuts en tant que réalisateur d’un long métrage. « Je bosse dessus. Mais dans l’industrie du cinéma, tout va beaucoup plus lentement que dans la mode, assure-t-il. Tu dessines un pull, tu as un prototype trois jours plus tard. Faire un film, ça prend des années. J’y arriverai parce que j’en ai envie, et cela me semble naturel. Mais c’est encore un peu tôt pour en parler. On verra. »

Merci maman


Même s’il fait cela depuis quinze ans, pour lui, l’histoire s’écrit encore au jour le jour. « Je ne suis sûr de rien, confie-t-il. Je vis au rythme des battements de mon cœur. La mode est vulnérable, délicate, émotionnelle. Elle n’est rien d’autre pour moi que le reflet d’une société en mouvement. Tu seras influencé par ce qui se passe dans le monde, ou dans ta vie, ou par le temps qu’il fait dehors. Un jour, peut-être, on dira qu’il existe un style AMI, un « esprit » AMI. Ce n’est pas à moi de le dire. »

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Même si tout passe, Alexandre Mattiussi est certain que nos vêtements imprègnent nos mémoires. « Tu te souviendras toujours du pull que quelqu’un portait la première fois que tu l’as embrassé. Et c’est beau, très beau. » Il y a peu, dans une interview, il affirmait que la mode pouvait être un métier nuisible, voire dangereux. Il ne le dirait plus aujourd’hui, reconnaît-il.

« Parce que cela sonne prétentieux. Finalement, dans la mode, nous sommes extrêmement privilégiés. Nous faisons ce que nous aimons. Dire que la mode est nuisible, c’est se poser en victime. Alors que c’est justement ta responsabilité de trouver des solutions pour éviter que ça ne tourne mal. Oui, il faut faire attention. Il faut se protéger, trouver du temps pour soi. » Y parvient-il ? « Ce week-end, j’emmène ma mère à Marrakech. Cela fait un moment que nous ne sommes plus partis ensemble. Je l’ai appelée hier soir juste pour lui dire : maman, fais tes valises. »

Alexandre Mattiussi, en bref

  • 1980 Naissance d’Alexandre Mattiussi, qui grandit en Normandie.
  • 2000 Il étudie la mode à l’École Duperré à Paris et trouve un emploi comme designer homme pour la ligne 30 Montaigne chez Dior. Ensuite, il devient premier assistant chez Givenchy, où il reste cinq ans.
  • 2010 Il lance AMI Paris, tout en travaillant encore pour la ligne homme de Marc Jacobs.
  • 2012 Première boutique AMI dans le Marais à Paris.
  • 2013 Il remporte le Grand Prix de l’ANDAM.
  • 2015 Boutiques à Tokyo et Hong Kong.
  • 2017 La marque lance la ligne AMI de Cœur, avec le logo cœur.
  • 2018 AMI présente pour la première fois des vêtements pour femmes.
  • 2025 AMI Paris ouvre à Bruxelles, 97e point de vente de la marque.

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