Arrêter de « marcher comme un canard » en talons, un signe d’émancipation pour la Japonaise

« Les Japonaises marchent comme des canards », assène « Madame » Yumiko, qui voit là un héritage de la tradition du kimono. Son métier: leur apprendre à se mouvoir haut perchées, une manière discutable de les aider à s’affirmer dans une société très masculine.

« Les Japonaises marchent comme des canards », assène « Madame » Yumiko, qui voit là un héritage de la tradition du kimono. Son métier: leur apprendre à se mouvoir haut perchées, une manière discutable de les aider à s’affirmer dans une société très masculine.

« Elles se dandinent les pieds en dedans, avec leur postérieur qui ressort comme si elles étaient pressées d’aller au petit coin », décrit cette ancienne danseuse de 48 ans, qui a fondé il y a tout juste un an l’Association japonaise des talons hauts. « C’est épouvantable! », s’offusque-t-elle. « Les Chinoises ou les Coréennes n’ont pas ce problème », assure celle qui se fait appeler « Madame ».

Madame et ses élèves
Madame et ses élèves© afp

Et de blâmer les traditions vestimentaires du Japon avec ses kimonos et accessoires parfois inconfortables. « Les femmes qui portaient des sandales japonaises avançaient en traînant les pieds, pieds qui étaient tournés vers l’intérieur des cuisses ».

« C’est ancré dans la manière de marcher des Japonaises », poursuit-elle, « pourtant aujourd’hui peu d’entre elles portent des kimonos ». Le style occidental s’est progressivement imposé à partir de la fin du XIXe siècle, mais ce n’est que depuis la bulle financière des années 1980 que les hauts talons sont réellement devenus à la mode.

Parmi les élèves, Takako Watanabe, 46 ans, confirme ce constat: « Nous savons nous mouvoir en kimono, nous incliner avec déférence, mais nous sommes incapables de marcher avec des hauts talons », déplore cette hypnothérapeute de profession qui nourrit de fous espoirs en suivant de tels cours. « Cela nous aidera peut-être à séduire un bellâtre », lance-t-elle.

Japan High Heel Association
Japan High Heel Association© afp

Formation et diplôme d’instructrice

Les tarifs pratiqués ne sont toutefois pas à la portée de tous: 400.000 yens, soit plus de 3.000 euros pour douze séances réparties sur six mois.

Massage des orteils, exercice de tension des pointes de pieds, déambulation pieds nus… le programme a déjà séduit 4.000 apprenties avides d’élégance, avec à la clef, pour chaque participante choisissant de passer un examen, un diplôme d’instructrice pour escarpins.

Le concept fait des adeptes dans tout l’archipel, se vante « Madame ».

Tantôt adulés, tantôt honnis voire interdits, les talons existent depuis des millénaires, on en trouve la trace sur des fresques de tombeaux égyptiens datant de quelque 4.000 ans avant Jésus-Christ. « Nous voulons que les Japonaises prennent confiance en elles », argue « Madame » Yumiko, en avocate autoproclamée de la cause féminine. « Beaucoup sont trop timides pour s’exprimer. Dans la culture japonaise, les femmes ne sont pas censées se mettre en avant ».

Si elles le font avec des talons, peut-être alors leurs homologues masculins leur accorderont-ils l’attention qu’elles méritent, plaide « Madame ».

L’effet des talons sur les hommes

Tout dépendrait donc de la hauteur desdits talons? Une étude publiée en 2014 par un chercheur de l’Université de Bretagne-Sud abonde en ce sens en démontrant que les hommes sont plus prompts à se montrer avenants selon que leur interlocutrice porte des talons de 0,5 cm ou de 9 cm.

Arrêter de
© afp

Au risque de faire hurler les féministes, Ayako Miyata, secrétaire de l’Association japonaise des hauts talons, 44 ans et 15 paires d’escarpins dont des modèles de grande marque à 800 euros, tient un discours similaire: « C’est un élément incontournable pour qu’une femme moderne éprouve fierté et confiance ».

Si ailleurs elles sont de plus en plus nombreuses à se rebeller contre ces diktats de la mode, les Japonaises continuent souvent à s’y plier, influencées par les « modèles » que constituent certaines starlettes féminines (jeunes et jolies) très soucieuses de leur apparence. « Absurde! », rétorque la Japonaise Mitsuko Shimomura, une journaliste spécialiste de la question des droits des femmes. « Il n’y a aucun rapport entre talons hauts et pouvoir des femmes », selon elle.

En Grande-Bretagne, une pétition lancée en mai pour interdire aux entreprises la possibilité d’obliger leurs salariées à porter des talons hauts a recueilli plus de 140.000 signatures. Le Parlement britannique en a pris acte début juin et pourrait débattre de la question prochainement. La pétition a été lancée par une jeune standardiste licenciée pour être venue au travail sans talons hauts.

Julia Roberts à Cannes en mai 2016
Julia Roberts à Cannes en mai 2016© Reuters

Pendant ce temps-là, en mai, Julia Roberts montait les marches du festival de Cannes pieds nus, un an après une mini-polémique sur la Croisette à ce sujet…

Mais Madame Yumiko, fervente admiratrice du Roi Soleil qui aimait se hausser dans la France du XVIIe siècle sur des talons de 12 cm, coupe court à toute accusation éventuelle de sexisme: « Les hommes aussi devraient porter des talons, pour parader majestueusement comme Louis XIV ».

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