Christian Wijnants, directeur artistique de Maison Ullens : « Nous n’utilisons que la crème de la crème »
Christian Wijnants est désormais directeur artistique de Maison Ullens, la marque de luxe belge fondée par la globe-trotteuse Myriam Ullens de Schooten. « L’idée est de créer des vêtements que vous porterez toute votre vie. »
Voyageuse et collectionneuse d’art, Myriam Ullens de Schooten nous montre un petit sac en cuir alors que nous entamons notre discussion. «Regardez comme il est beau, et facile à transporter, s’enthousiasme-t-elle. Plus votre sac à main est grand, plus vous y mettez de choses. Un petit modèle oblige à n’emporter que l’essentiel.» A ses côtés, Christian Wijnants renchérit: «L’amour du cuir, surtout en association avec la maille, a toujours été dans l’ADN de la marque.» Depuis le milieu de l’année dernière, le créateur anversois occupe le poste de directeur artistique de Maison Ullens. Une nouvelle qui vient d’être officialisée. Il suit dès lors les traces de Haider Ackermann et Véronique Leroy entre autres. Sa première collection complète pour la marque de luxe belge est prévue pour l’automne, mais l’on peut déjà distinguer sa griffe dans la collection actuelle.
Le label est spécialisé dans des pièces idéales pour arpenter le monde. Ici, pas de casual chic, mais du casual très, très chic. Cuir d’agneau, soie et cachemire de la meilleure qualité. «J’ai beaucoup voyagé, raconte sa fondatrice. Je faisais ma valise 300 fois par an. Mais mon mari trouvait que mes tenues laissaient à désirer quand nous prenions l’avion. J’étais toujours mal à l’aise et les vêtements que j’avais prévus sortaient froissés de mes bagages. C’est comme ça que j’ai eu l’idée de lancer une petite ligne «voyage». En 2010, c’était chose faite.» Aujourd’hui, Maison Ullens emploie trente collaborateurs et a ouvert des boutiques à Paris, New York et Aspen. La Belgique ne compte pas encore de magasin, mais des négociations sont en cours pour ouvrir un pop-up à Anvers, probablement pour septembre.
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Double face
A l’instar de Myriam Ullens, la clientèle de Maison Ullens est très aisée et se déplace fréquemment. Avec son mari, le baron Guy Ullens de Schooten, l’entrepreneuse vit entre Verbier, une station de ski suisse huppée, et Lasne, dans le Brabant wallon. Les Belges ne sont pas nombreuses parmi ses clientes. «Ces dernières sont très fidèles, observe la septuagénaire. Elles viennent à Paris chaque saison, avec leur compagnon, et passent une heure ou deux à essayer. Elles ont un lien avec la marque allant bien au-delà de «Je veux ce cardigan, emballez-le».»
Parmi les best-sellers de Maison Ullens, on retrouve des tricots réversibles, tissés en double épaisseur avec un fil de soie et de cachemire. «Vous pouvez ainsi opter pour du caramel en journée et du noir le soir, explique Christian Wijnants. C’est une technique rare, car difficile à réaliser. Mais la finition est exceptionnelle.» Et la Lasnoise de souligner l’importance d’une qualité irréprochable: «Tout est produit en Italie, dans un atelier avec lequel nous travaillons depuis des années. Cette flexibilité est l’essence de notre Maison. Elle permet de voyager avec moins de bagages.» Interview du duo gagnant.
Quand vous êtes-vous rencontrés?
Christian Wijnants: Il y a un an. Mais nous nous parlions depuis un certain temps, par Zoom.
Myriam Ullens: A cause du Covid, mon mari et moi nous sommes retrouvés coincés en Suisse. Nos premiers échanges ont eu lieu en ligne, mais le courant est tout de suite passé, comme si nous nous connaissions depuis des années. On se comprend mutuellement, ce qui est plutôt rare dans la mode. Je lui ai demandé de bousculer la marque, pour nous libérer de certains blocages et rajeunir nos collections. Ma génération ne doit pas être notre seul public.
C.W.: Nous avons commencé par échanger des idées. Je ne suis pas là pour imposer ma vision des choses, mais pour inspirer et écouter l’équipe. Nous travaillons en harmonie. J’ai déjà collaboré avec d’autres maisons de couture, même si une marque comme Maison Ullens est évidemment un rêve pour un créateur comme moi, passionné par la maille. Les ateliers, les tissus, les techniques: nous n’utilisons que la crème de la crème. Je dois souvent faire des compromis pour mon propre label parce que le tissu, par exemple, est trop cher. L’aspect financier joue évidemment aussi un rôle ici, mais il pèse tout de même moins lourd.
Quels sont les défis majeurs pour un label aujourd’hui?
M.U.: Etre reconnu. Même avec les moyens dont nous disposons, nous ne pouvons pas rivaliser avec la puissance des grands groupes de luxe. Nous devons convaincre les clients potentiels que nous offrons de la qualité et qu’ils ne regretteront pas leur achat.
C.W.: Les défis sont nombreux et de nouveaux apparaissent fréquemment. Inflation, prix de l’énergie, retards de livraison. Beaucoup de marques reviennent de Chine en Europe. C’est une bonne chose, mais aussi un problème. Il n’y a pas assez de place dans les ateliers, et les petites marques s’écroulent. Certains ferment un jour par semaine pour économiser de l’énergie ou produisent plus vite pour répondre à la demande, au détriment de la qualité. Le marché est devenu beaucoup plus complexe qu’il y a cinq ans.
Vous avez lancé votre e-shop en octobre dernier. Pourquoi était-ce important pour Maison Ullens?
M.U.: Il est trop tôt pour tirer des conclusions. L’e-shop attire surtout un public américain, ce sont des clientes qui connaissent la marque et savent quelle taille commander.
C.W.: Ce sont souvent des clientes qui sont tombées sous le charme d’une pièce en boutique et qui regrettent ensuite de ne pas l’avoir achetée. Un e-shop peut être une bonne vitrine, même si la situation est un peu différente dans le segment du luxe. C’est plutôt un bonus. 5% de notre chiffre d’affaires chez Christian Wijnants provient de notre e-shop. Nous pourrions aller jusqu’à 10 ou 15%. Mais cela ne deviendra jamais notre seul point de vente.
M.U.: Les médias sociaux jouent aussi un rôle plus important, car on peut y raconter une histoire. Cela peut donner envie aux femmes de se rendre en boutique. Sur l’e-shop, il n’y a que des photos.
La durabilité gagne en importance. Quelles mesures avez-vous déjà prises?
M.U.: Nous utilisons ou réutilisons les matières que nous avons en stock. Nous sélectionnons des fils naturels certifiés et traçables autant que possible. Et nous rachetons aussi les surplus de groupes de luxe comme LVMH, car nous n’avons pas besoin de 600 mètres d’un tissu, mais seulement de 100 mètres.
C.W.: L’idée est de créer des vêtements que vous porterez toute votre vie. Et je ne parle pas seulement des manteaux en cuir, mais aussi des tricots. Ce sont des pièces qui vont durer vingt ou trente ans. Quoi de plus durable? Le design, lui aussi, est intemporel. Nous ne suivons pas les tendances, nous nous demandons plutôt si la collection plaira toujours dans quelques années.
Quels sont vos rêves?
M.U.: Développer davantage Maison Ullens, tout en restant une marque exclusive. Nos clientes n’aiment pas les logos et ne veulent pas voir apparaître des boutiques Maison Ullens dans chaque ville. Je veux également voyager davantage avec mes petits-enfants, voir comment ils grandissent et trouvent leur propre voie. Dans le monde dans lequel nous vivons, il est difficile de savoir où nous serons dans dix ans. Je suis donc déjà heureuse d’être ici aujourd’hui, en bonne santé.
C.W.: Je suis très ambitieux, mais je ne réfléchis pas vraiment à ce que je veux faire demain, dans quinze jours ou dans cinq ans. Comme Myriam, je suis heureux d’être encore dans la mode aujourd’hui, après vingt ans. Pouvoir poursuivre cette vocation, dans de bonnes conditions et avec une équipe heureuse, c’est mon rêve. Il est vrai que dans la mode, nous attendons beaucoup de nos collaborateurs. Il est crucial d’être reconnaissant envers les personnes qui ont aidé votre marque à grandir, même lorsque le succès devient étourdissant.
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