Barbara Witkowska Journaliste

Silhouettes souples et fluides, mousselines vaporeuses, mailles caressantes, palettes chromatiques chatoyantes, patchworks innovants… Le style de ce jeune créateur bruxellois, anversois d’adoption, s’impose avec évidence dans l’univers de la mode.

Carnet d’adresses en page 178.

ç a y est ! Après plusieurs saisons de création dans la discrétion, Christian Wijnants sort de l’ombre et présente son premier défilé, à l’Espace Wagram à Paris. Riche, éclectique et abouti, il a été construit autour de deux thèmes et sources d’inspiration : un classique du cinéma français et l’£uvre des dadaïstes. Dans la première partie, on replonge dans l’atmosphère de  » L’Eté meurtrier  » (1983). Christian a beaucoup aimé ce film de Jean Becker découvert un peu par hasard, puis a croisé une fille qui avait le même look qu’Isabelle Adjani. Le scénario du défilé a pris rapidement forme. Les mannequins (uniquement des copines d’Anvers) évoluent dans une ambiance torride et moite. Les cheveux bouclés qui collent, les peaux gorgées de soleil et de chaleur brillent légèrement, les gestes sont souples et félins.

On est face à une féminité sensuelle mais naturelle, forte mais pure. Les matières fines, légèrement translucides, telles les mousselines, les soies et les cotons indiens virevoltent autour des hanches et des cuisses, coulent généreusement sur la poitrine et la taille. La maille aérienne, un superbe coton d’Egypte, est tricotée en  » S « . Sur le corps, elle forme des plis et des drapés du plus bel effet. Les pantalons de harem ou les pantalons à étages, composés de plusieurs pièces de mousseline, de par leurs jeux de transparences, donnent une démarche nonchalante, un brin lascive. Les coloris û des blancs, des jaunes, des ocres, des roses et des bleus û se juxtaposent, se superposent, se bousculent et se chahutent pour offrir, en finale, des silhouettes polychromes et ensoleillées, très estivales.

Petit à petit, des graphismes forts et vigoureux entrent en scène. Il ne s’agit pas d’imprimés, mais de patchworks et d’applications, à l’aspect sophistiqué et très travaillé. Lors de l’élaboration de ces modèles, Christian pensait aux peintres et aux écrivains dadaïstes. Il aimait bien cette idée de la spontanéité due au hasard, de la création surgie des tripes, exempte de réflexion. Les cercles, les triangles, les diagonales et les obliques ressemblent à ces  » gribouillis  » qu’on dessine inconsciemment quand on téléphone et qui se font écho de ces  » arts premiers  » qui nous fascinent chez les Africains ou les Sud-Américains. Les couleurs sont chaudes et fortes. Les tons ensoleillés se marient avec des bruns profonds ou des bleus canard intenses. Il y a aussi ce thème vert, associé à du gris et de l’argent, inspiré d’une peinture de Hans Arp (1887-1966).  » Je fonctionne souvent comme ça, note Christian Wijnants. Un tableau, un film, une seule photo, peuvent inspirer toute une collection. La mode, très liée aux tendances du moment, impose pas mal de restrictions et de limites. L’art, en revanche, offre plus de libertés.  » Ce premier défilé fut un vrai succès. L’assistance, très nombreuse, a chaleureusement applaudi les créations. La presse française s’est montrée très enthousiaste et a défini le jeune Belge comme  » un talent à suivre « .

Né à Bruxelles, il y a vingt-sept ans, Christian Wijnants déménage, après le bac, à Anvers pour étudier le stylisme. Certes, il est très attaché à la capitale, mais il a  » envie de mode  » et la mode, ça se passe à Anvers. Diplôme en poche, il s’installe à Paris pendant six mois et s’initie au métier chez Angelo Tarlazzi. Curieusement, la Ville lumière ne le fascine pas. Il n’a pas, non plus, d’atomes crochus avec la mode  » bourgeoise  » de Tarlazzi. Son stage terminé, il regagne Anvers avec joie. Ici, tout s’enchaîne rapidement. Christian remporte le prix Christine Mathijs (créé par Dries Van Noten en hommage à sa collaboratrice, décédée, et destiné à récompenser les jeunes créateurs), suivi d’une offre d’engagement chez Dries Van Noten lui-même. Une offre pareille, on ne la refuse pas. Christian demande juste de la postposer, car ses journées sont entièrement consacrées à la préparation d’une collection pour le Festival à Hyères. Il est tellement bien inspiré qu’il décroche, haut la main, le Grand Prix du Jury. Ensuite, il regagne donc les ateliers de Dries Van Noten. Pendant une année bien remplie, Christian s’occupe de la maille, des imprimés, des broderies, de la maroquinerie, des chaussures et s’initie au fonctionnement d’une grande maison. En 2003, il vole de ses propres ailes et dessine, pour l’été, sa toute première collection, inspirée d’un voyage à San Francisco. Les silhouettes, un peu hippie et baba cool, s’enroulent dans des étoffes arachnéennes aux couleurs fraîches de l’arc-en-ciel. Dans une collection suivante, il emprunte l’atmosphère en noir, blanc et rouge, observée dans les tableaux de Breughel. Pour l’hiver 04-05, il imagine un environnement nostalgique, illustré par des robes d’inspiration indienne, aux formes familières et rassurantes.

Pour présenter les collections, il loue un showroom à Paris, dans le Marais, où il invite ses clients. Ce contact direct est appréciable. Les temps sont frileux. Il faut beaucoup de patience et de force de persuasion pour qu’un client accepte de  » vendre  » un jeune créateur. Cela dit, une fois que la confiance et la complicité s’installent, la collaboration se fidélise et s’établit à long terme. Christian vend les trois quarts de ses collections au Japon. Il a aussi des points de vente isolés à Paris, à Anvers, à Vienne, à Stockholm, à Copenhague, à Moscou, au Liban et à Hongkong.  » Aujourd’hui, les boutiques pointues veulent des exclusivités. C’est parfois difficile à gérer, reconnaît Christian Wijnants. Cela dit, s’occuper de tous les côtés du métier à du bon. J’évolue, j’apprends beaucoup. Je profite aussi de mon expérience chez Dries Van Noten, une société très bien structurée. Nous avons gardé d’excellents rapports et si j’ai des questions tactiques ou stratégiques, je peux toujours lui demander conseil.  » Une boutique à son nom propre ? Ce n’est pas dans l’ordre des priorités. Ce serait plutôt un souci en plus. Bien ancré dans la réalité et gardant les deux pieds sur terre, Christian estime que la quantité de boutiques est plus que suffisante. De surcroît, il ne se sent pas encore vraiment capable de créer tout un univers, susceptible de remplir une boutique. Une boutique est, aussi, synonyme d’une clientèle réduite, très ciblée. Or son ambition vise une clientèle large. Il voudrait habiller la génération de sa mère, les  » quinquas « , les copines de sa s£ur, les trentenaires et ses jeunes amies de 20 ans.

Boosté par cette première réussite importante, Christian exploite la dynamique du succès et vient de présenter, le 27 février dernier, son second défilé : hiver 05-06. Cela dit, il garde la tête froide et malgré son jeune âge témoigne d’une grande maturité :  » Je suis content, car mon ascension s’est effectuée très doucement. Certains de mes confrères ont été propulsés au sommet très vite, aujourd’hui ils connaissent de grandes difficultés. Je suis plus raisonnable. Je n’ai pas de dettes, pas de poids sur les épaules, pas de stress, aucun compte à rendre à personne. J’aimerais poursuivre dans cette voie-là : continuer à mon rythme, organiser des défilés et avoir de plus en plus de clientes.  »

Barbara Witkowska

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