Comment le luxe de seconde main est devenu le marqueur de statut ultime
Qu’il semble loin, le temps où seconde main était synonyme de second choix. Si cela fait déjà belle lurette que des consommateurs conscientisés y voient une manière de se composer une allure durable, depuis quelques années, le secteur est aussi le terrain de jeu favori des mordus de luxe.
Lesquels ne s’offrent ainsi pas seulement des pièces couture à prix (plus) accessible mais bien aussi un excellent retour sur investissement. Voyez plutôt: neufs, avec leur logos métallisés encore clinquants, certains vêtements et accessoires, aussi chers et « chics » soient-ils, ont un rendu quelque peu parvenu. Un mocassin Prada élimé juste ce qu’il faut ou un cachemire Loro Piana dont les coudes et l’encolure accusent un port assidu, par contre? Vous tenez-là deux des essentiels du vestiaire old money, la toile ayant récemment décidé que pour avoir l’élégance de celles et ceux dont la richesse est non seulement colossale mais aussi générationnelle, il fallait oser l’usé.
Et c’est là que le marché du luxe de seconde main, longtemps boudé par les marques, entre en jeu. Une robe Dior à 489 euros, des mocassins Gucci à 368 euros : à La Marelle, un dépôt-vente parisien, les clients se bousculent. D’ailleurs, Christelle Leclercq, la dirigeante, n’a pas le temps de lâcher ses portants pour expliquer à l’AFP que « tout le monde vient, vraiment, il n’y a plus de snobisme par rapport à la seconde main (…) d’autant que, dans le luxe, il n’y a pas de soldes ». Mais dans son magasin, les décotes sont en moyenne de 70%, assure-t-elle.
Elena Castello, costumière dans le cinéma, ne fréquente pas les magasins vintage, préférant chiner ses pépites (un top Versace, une robe Yves Saint Laurent Rive Gauche, un corset Vivienne Westwood) « dans des vide-greniers, des brocantes ou sur Vinted », raconte-t-elle à l’AFP. La quadragénaire n’achète pas de luxe neuf car elle n’en a « pas les moyens » et qu’elle « considère qu’aujourd’hui, ce n’est pas la même qualité » qu’auparavant.
Pour Christelle Leclercq aussi, l’élan créateur a quitté les grandes maisons de couture: « Il faut dire aux gens que concernant Chanel, Vuitton ou Balenciaga, il vaut mieux acheter en seconde main. Les matières sont plus belles et les pièces vieillissent mieux », estime-t-elle.
« Progression remarquable »
Sur Vinted, l’offre de luxe de seconde main connaît « une progression remarquable », se réjouit Cécile Wickmann, directrice sénior luxe de la plateforme, auprès de l’AFP. Ce marché, au niveau mondial, « aurait atteint un poids de 45 milliards d’euros en 2023, avec une progression de 4 à 6% sur un an », chiffre-t-elle, s’appuyant sur une étude du cabinet de conseil Bain & Company.
Les marques de luxe les plus prisées sur la plateforme lituanienne sont Louis Vuitton, Chanel et Gucci, révèle-t-elle, avec toutefois « un fort attrait pour Hermès, Dior, Saint Laurent et Prada ». Ce marché qui « n’existait pas en 2009 », a connu une « une vraie accélération » au moment du Covid-19, analyse pour l’AFP Bernard Osta, directeur financier de la plateforme de revente de luxe Vestiaire Collective.
Le prix est un facteur important pour expliquer l’essor du luxe de seconde main, mais les consommateurs accordent aussi « une importance grandissante au développement durable » depuis la pandémie, dit-il.
Selon lui, ces achats s’effectuent pour les deux tiers en boutique, le reste en ligne.
Démocratisation
Acheter sur une plateforme ou dans un magasin vintage, « ça devient un peu plus réaliste, un peu plus faisable pour certaines personnes qui jusque-là n’imaginaient pas être clientes chez Chanel », estime Fabienne Lupo, fondatrice du salon Reluxury, dédié au luxe de seconde main, qui se tiendra à Paris en novembre. Cette démocratisation permet à ces nouveaux consommateurs « d’entrer par la seconde main et, ensuite, de devenir des clients du neuf », explique Mme Lupo.
Certaines grandes maisons ont bien saisi l’opportunité, comme le groupe Kering (Gucci, Saint Laurent) qui a investi dans Vestiaire Collective en 2021.
En outre, chiner est devenu « très tendance », rappelle Mme Lupo, et la seconde main est une évidence pour le luxe dont les valeurs intrinsèques sont « la qualité, la réparabilité, la transmission, l’héritage, le patrimoine, la pérennité ».
Sans contrefaçon, le luxe de seconde main?
Pourtant, une majorité de marques restent circonspectes face à ce nouveau marché.
Sollicitées par l’AFP, la plupart n’ont pas souhaité réagir. La seconde main, pour la mode, « c’est un peu plus compliqué, surtout pour les grands noms car leur métier, c’est la nouvelle collection, la création », explique Mme Lupo.
Mais surtout, la grande crainte du secteur, c’est la contrefaçon.
En 2023, Bernard Arnault, patron de LVMH, reconnaissait : « On se concentre sur la première main », expliquant cependant garder un œil attentif sur le risque de « vente de faux ». Selon Mme Lupo, « pour l’instant, les grandes maisons accompagnent, mais ne sont pas proactives. Elles laissent le business à des plateformes, des revendeurs », qui, eux, gèrent la question de l’authenticité.
Ainsi Vinted et Vestiaire Collective traquent en ligne les contrefaçons via des équipes et des algorithmes et proposent de faire authentifier certains produits, notamment de luxe, dans des centres.