La K-pop (et son raz de marée dans la mode) expliquée aux parents

Scha Alyahya, Awich et Ralina Sha au défilé Louis Vuitton. © SDP

Jisoo, Jimin, Jennie, J-Hope et Hyein… De Dior à Chanel en passant par Vuitton, les stars de la pop coréenne font bouger la planète mode. Décryptage.

Il semble parfois que la fascination de l’industrie de la mode pour la K-pop ne connaisse aucune limite, et inversement. Presque tous les labels entretiennent aujourd’hui une relation privilégiée avec au moins un «global brand ambassador» sorti d’une fabrique de divertissement sud-coréenne, pour propulser la marque en question vers de nouveaux sommets. Les membres des groupes Black Pink et BTS, entre autres, font vibrer les Fashion Weeks chaque saison. Des centaines d’adolescents hurlants se tiennent alors avec des pancartes et des drapeaux derrière des barricades devant les grands défilés de Paris ou de Milan, dans l’attente de leurs idoles.

Jimin pour Dior Homme, hiver 23-24
Jimin pour Dior Homme, hiver 23-24 © SDP

Lorsqu’en janvier dernier, nous avons publié une vidéo de la star de BTS, Jimin, entouré d’une demi-douzaine de gardes du corps, arrivant au défilé Dior dans une tente place de la Concorde, à Paris, celle-ci a obtenu près de 10 000 «likes» et 900 commentaires. Des «OMG! OMG!» dans toutes les variantes, pour une poignée de sceptiques «jamais entendu parler». Ce clip a depuis été vu près de 90 000 fois. Le Sud-Coréen, ambassadeur de Dior au niveau global, était vêtu de la tête aux pieds d’une tenue de la nouvelle collection de la marque.

« Pour les marques de luxe, l’association de la K-pop permet d’attirer l’attention d’un public jeune, difficile à atteindre. »

Presque aussi populaire, avec 6 000 likes et 666 commentaires: cette photo que nous avons prise de Felix, du boys band Stray Kids, fin avril, juste avant un défilé Louis Vuitton à Séoul, sur un pont au-dessus du fleuve Han. Ce soir-là, nous ignorions que ce jeune blond élégant, vêtu d’un jeans délavé, était une superstar, bien qu’il ait une certaine aura. Felix, comme Jimin, est officiellement lié à plusieurs marques de luxe. En 2021, il a participé à une campagne pour la griffe italienne Etro et représente aujourd’hui le lunetier Gentle Monster.

Hyein, du groupe NewJeans, qui est, à 15 ans, la plus jeune ambassadrice mondiale de Vuitton jamais nommée, était aussi au premier rang ce soir-là dans la capitale coréenne. L’ancienne top et actrice de Squid Game, HoYeon, était présente, elle aussi, en tant qu’égérie de cette maison de luxe.

Kimchi, Squid Game et pop music

La K-pop n’est toutefois pas un phénomène neuf et son histoire d’amour avec la mode ne date pas d’hier, même si l’agitation n’a jamais été si intense. Le genre est apparu comme un dérivé local de la J-pop, la musique pop japonaise préfabriquée qui était considérée comme la norme en Asie ces cinquante dernières années. Aujourd’hui, c’est la K-pop qui donne le ton au Japon.

Jennie (Blackpink) pour Chanel.
Jennie (Blackpink) pour Chanel. © SDP/ inez & vinoodh

Celle-ci est dominée par des «agences de talents» puissantes et parfois impitoyables, des maisons de production qui transforment de jeunes ados en pop stars, pas toujours sans bavure. SM Entertainment a été la première en 1995 et reste la plus importante. Ses concurrents, YG Entertainment et JYP Entertainment, ont été créés deux ans plus tard. Il a fallu une dizaine d’années pour que la K-pop franchisse les frontières de l’Asie. D’abord avec des performances solos comme BoA et Rain, suivis par des groupes de filles comme Girls Generation, qui a fait une tournée des stades américains en première partie des Jonas Brothers, en 2009. En 2012, la chanson Gangnam Style de PSY a été visionnée plus d’un milliard de fois sur YouTube!

Scha Alyahya, Awich et Ralina Sha au défilé Louis Vuitton.
Scha Alyahya, Awich et Ralina Sha au défilé Louis Vuitton. © SDP

Les médias internationaux glorifiaient alors à tout bout de champ le «soft power» de la Corée du Sud, une gigantesque «hallyu» (ou vague coréenne) de culture pop locale qui allait bientôt inonder le monde. Avec les hits des groupes de K-pop, mais aussi avec des séries comme Squid Game et des films comme Parasite et Old Boy. Ou encore en cuisine, à travers le culte du kimchi et autres aliments fermentés, et en beauté, avec des produits tels que les sérums au ginseng et les masques pour le visage. La mode sud-coréenne, en revanche, n’a jamais décollé en dehors de l’Asie.

La poignée de labels et de créateurs qui défilent à Paris et à New York, généralement financés par des conglomérats industriels comme Samsung, sont restés jusqu’à présent assez confidentiels, à l’exception de Gentle Monster mentionné plus haut. C’est peut-être une raison supplémentaire pour laquelle l’histoire d’amour entre la K-pop et la mode européenne est si intime. Cette relation a débuté il y a une dizaine d’années, vers 2012, quand Jeremy Scott a habillé le groupe 2NE1.

Haerin pour Dior
Haerin pour Dior © SDP

La Chine vacille

On pourrait s’attendre à ce que, pour asseoir leur réputation, des maisons comme Chanel, Burberry et Saint Laurent se tournent vers la Chine, avec une population d’environ 1,4 milliard d’habitants, et vers des célébrités de là-bas, plutôt que vers la Corée du Sud, qui compte un peu moins de 52 millions d’habitants. L’empire du Milieu est le principal marché d’exportation du secteur du luxe, en alternance avec les Etats-Unis. Mais les choses ont changé depuis la pandémie, lorsque la Chine s’obstinait à fermer toutes les frontières.

L’industrie du divertissement sud-coréenne est quoi qu’il en soit plus internationale que celle de la Chine. Le fait que les hits de K-pop soient appréciés de Manitoba à Liège s’explique par le fait qu’ils ont souvent bénéficié de la collaboration d’auteurs-compositeurs et de producteurs occidentaux, en particulier scandinaves. Il s’agit ainsi essentiellement de musique pop universelle. Les boys et girls bands chinois, ainsi que les professionnels qui tirent les ficelles dans les coulisses, se concentrent surtout sur le marché local, qui en soi est déjà énorme. En outre, la Corée du Sud est également moins risquée. Le régime chinois n’aime pas les idoles adolescentes.

Johnny Suh chez Thom Browne
Johnny Suh chez Thom Browne pendant la Fashion Week de New York. © GETTY IMAGES

Et certainement pas les Xiao Xian Rou (ou «petite viande fraîche»), ces influenceurs très populaires, principalement des garçons, qui font la promotion de maquillage, de sacs à main et de lingerie. Dès 2021, les hommes «efféminés» ou ayant «une autre apparence anormale» ne sont plus autorisés à apparaître dans les programmes télé, sur ordre du gouvernement. Le ministère de l’Education souhaite que les garçons redeviennent de «vrais» hommes. Une situation loin d’être idéale pour les entreprises de luxe, qui dépendent de la bénédiction du gouvernement pour opérer en Chine. Le contraste avec la Corée du Sud, où les idoles sont utilisées pour promouvoir le pays, est saisissant.

Koki pour Louis Vuitton.
Koki pour Louis Vuitton. © SDP

Grève aux Etats-Unis

Et l’Amérique dans tout ça? Le secteur du luxe y a longtemps travaillé avec Hollywood, beaucoup moins avec l’industrie musicale, hormis quelques rappeurs. Mais l’importance de l’industrie cinématographique et télévisuelle américaine a diminué et la grève des scénaristes et acteurs qui la paralyse actuellement n’arrange pas les choses. De nouveaux films sortent, mais ils ne font plus l’objet d’une promo. Il n’y a donc pas de tapis rouges, ni de covers de magazines, occasions majeures pour les marques de luxe d’associer leurs robes et bijoux aux stars. En attendant que le conflit soit résolu, la K-pop est un vivier bienvenu pour les talents populaires.

La Corée du Sud est aussi tout simplement un marché crucial pour le secteur du luxe. Les Sud-Coréens dépensent plus d’argent dans ces produits que quiconque: 295 euros par habitant, contre 255 euros aux Etats-Unis, 190 euros au Japon et 50 euros en Chine. Par ailleurs, la banque US Morgan Stanley estime que les Sud-Coréens représentent 10% ou plus des ventes de marques comme Prada, Bottega Veneta, Burberry et Moncler. A noter également: pour la première fois cette année, les salaires au pays du Matin calme seraient en moyenne plus élevés qu’au Japon. Ce n’est pas si mal pour cette nation autrefois frappée par la pauvreté et qui n’est devenue une démocratie qu’à la fin des années 80. Avant 1988, ses habitants n’étaient même pas autorisés à quitter le pays.

J-Hope pour Louis Vuitton
J-Hope pour Louis Vuitton © SDP

Pour les marques de luxe, l’association avec la K-pop permet d’attirer l’attention, sans investir massivement dans la publicité traditionnelle, en Corée du Sud, mais aussi dans le reste du monde, d’un public jeune, difficile à atteindre. C’est ainsi que les labels restent pertinents. Pendant les Semaines de la mode, l’industrie examine en permanence l’Earned Media Value ou «valeur médiatique acquise» des apparitions de célébrités lors des défilés. La venue de l’acteur et pop star coréenne Eunwoo Cha au défilé masculin de Dior en juin a valu 7,6 millions d’euros de EMV, selon la plate-forme de marketing d’influence Lefty.

Il est ainsi devenu l’influenceur le plus bankable de la Fashion Week homme à Paris, suivi par Jimin (5,06 millions) aussi chez Dior, et les membres du groupe NCT (4,32 millions) chez Louis Vuitton et Loewe. A Milan, l’entièreté du top-5 a été occupé par les membres d’Enhypen (7,5 millions) et NCT (4,2 millions), chez Prada et Dolce & Gabbana. Lors de la Semaine parisienne de la femme, Rosie de Blackpink a été l’influenceuse la plus importante, avec 9,3 millions pour Saint Laurent. Sa comparse Jisoo a représenté à elle seule 45% de l’EMV total de la maison joaillière Cartier l’an dernier, avec 12 posts et 24 stories. A New York enfin, en février, toute l’attention se portait sur Johnny Suh, le rappeur de NCT né à Chicago, qui a fait ses débuts dans le monde des Fashion Weeks chez Thom Browne.

Taeyeon pour Louis Vuitton (c) SDP © SDP

La T-Pop triomphe

Le pays du Matin calme fait des émules, à l’instar de la Thaïlande, qui possède aussi une culture pop florissante et une obsession nationale pour les produits de luxe. Chez Dior, Eunwoo Cha, cité plus haut, était en termes de chiffres l’invité le plus important. Mais quiconque regarde l’applaudimètre devant la tente qui abritait le show, ou simplement les ados derrière les barricades, ne peut que constater que les émissaires les plus populaires de la maison française venaient tout droit de Bangkok cet après-midi-là: Mile et Apo de la série KinnPorsche, un succès planétaire. Un autre signe à l’horizon: Balenciaga a annoncé une nouvelle de taille début août: après avoir collaboré avec des célébrités telles que Justin Bieber et Nicole Kidman dans le passé, la griffe a nommé pour la première fois ses propres égéries. La première était sans grande surprise l’actrice française Isabelle Huppert.

Mais le deuxième nom cité était PP Krit Amnuaydechkorn, ou PP Krit pour les fans: un chanteur, acteur et top thaïlandais qui compte près de 4 millions de followers sur Instagram. Le magazine professionnel WWD estime qu’en Thaïlande, un marché émergent clé pour l’industrie, un total de quelque 4,2 milliards d’euros sera dépensé en produits de luxe cette année. En mars, la plate-forme de marketing d’influence Lefty a indiqué que la K-pop et les séries thaïlandaises allaient désormais s’affronter. Cela s’annonce passionnant.

Jisoo pour Dior
Jisoo pour Dior © SDP / Pascal Le Segretain

K-pop: le guide

Cinq groupes à suivre.

—BLACKPINK Le girls band prédominant a visité plusieurs stades européens lors de sa dernière tournée mondiale. Selon le South China Morning Post et d’autres sources, Lisa et Frédéric Arnault, héritier de LVMH, seraient en couple, ce qui, si c’est vrai, serait la cerise sur le gâteau de l’alliance entre le luxe et la K-pop.

—BTS Le boys band au sommet est officiellement en break pour que ses membres puissent se concentrer sur leur service militaire obligatoire − et sur leurs carrières solo.

—NEWJEANS Les nouvelles princesses de la K-pop ont pris la première place des Billboard Charts cet été avec Get Up, qui s’est mieux vendu aux Etats-Unis que la bande originale de Barbie. Black Pink négocie actuellement des prolongations de contrat avec son manager YG Entertainment. En cas d’échec, rien ne s’opposera plus à la conquête du trône par NewJeans.

—LE SSERAFIM Peut-être le meilleur groupe de filles du moment, qui s’est produit lors de l’after party suivant le défilé Louis Vuitton à Séoul.

—STRAY KIDS Ce boys band a vu le jour en 2018 durant une série de télé-réalité. Sur les neuf membres, huit restent, dont Felix et Hyunjin, l’ambassadeur mondial de Versace. Stray Kids était en tête d’affiche du festival de musique Lollapalooza, à Paris, il y a quelques semaines.

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