La mode japonaise, une avant-garde beaucoup copiée mais peu rentable

Défilé de la marque motonari ono, août 2015, Tokyo © Reuters

La Semaine de la mode à Tokyo s’est ouverte lundi sur le défilé d’un couturier américain, signe selon les observateurs de l’absence sur la scène internationale des griffes japonaises pourtant à la pointe du streetwear.

Plus de cinquante maisons de couture présentent leurs collections sur six jours, avec un coup de projecteur particulier sur les matières, de la toile de jean à la soie tissée main.

« Il ne manque pas de couturiers de talent au Japon », souligne Akiko Shinoda, directrice des affaires internationales de la Japan Fashion Week Organization, qui organise les défilés. « Malheureusement, de nombreux créateurs de mode et maisons de textile sont encore quasiment inconnus hors du Japon », a-t-elle déclaré lundi à l’AFP.

A Tokyo, le podium est souvent tout simplement la rue au quotidien, où des adolescents arborent les tenues et coiffures les plus folles.

Bien que les stylistes de Tokyo soient applaudis par les blogueurs et critiques du monde entier pour leur audace et leur raffinement, ce foisonnement de mode urbaine ne s’est toujours pas traduit par de lucratives affaires… pour les couturiers japonais du moins.

Le français Loïc Bizel a été parmi les premiers chasseurs de style à avoir tiré parti, dès 2001, du laboratoire unique des tendances qu’est la capitale nipponne. « Cette ville est tellement en avance que les courants naissent ici et des mois plus tard, parfois même un an plus tard, ils deviennent mondiaux », a-t-il affirmé à l’AFP.

Installé à Tokyo, il assure une veille qui joue un rôle essentiel dans la diffusion de ces tendances.

Pour 615 à 1.060 euros la journée, il fait faire à des clients représentants des géants de la distribution comme H&M, Nordstrom ou Zara un tour des boutiques les plus originales, blotties dans de petites rues et souvent connues des seuls initiés.

Marques non protégées

Les clients de la société de M. Bizel, Tokyo Fashion Tour, n’hésitent pas à le payer grassement pour trouver l’inspiration.

« Un jour, nous avons eu des acheteurs de chez Primark, qui ont dû emporter pour quelque 20.000 dollars (près de 17.600 euros) d’échantillons en une seule journée et acheter des valises supplémentaires pour rapatrier tout cela », raconte M. Bizel.

Trop souvent, des modèles sortis de boutiques japonaises sont adaptés ou même copiés, en particulier par des fabricants chinois pour une fraction du coût initial.

« La plupart des couturiers japonais travaillent à petite échelle, ils n’ont pas de brevets ou d’équipes de juristes pour les défendre. Il est donc facile pour les grandes marques de copier leur style et se faire beaucoup d’argent », dit M. Bizel.

Les anciens du secteurs, comme Mme Shinoda, sont conscients de la gravité de la situation et disent qu’ils encouragent les créateurs de l’archipel à protéger leur marque contre la fraude.

La Semaine a débuté par un clin d’oeil aux classiques américains du couturier Todd Snyder dont les chemises rayées, les shorts en coton et les sweatshirts ne jureraient pas sur un campus.

Costumes de lin et chaussures Richelieu étaient de sortie, de même qu’une planche de surf, manière de suggérer que l’existence selon Snyder n’est pas que travail.

De son côté, la marque japonaise Keisukeyoshida a fait défiler des jeunes filles en minijupes plissées et soquettes tandis que certains hommes de Soshi Otsuki arboraient culottes et shorts de soie par-dessus leurs pantalons.

D’une façon générale, les créateurs japonais, à l’exception notoire de grands noms comme Issey Miyake, Kenzo et Rei Kawakubo (Comme des Garçons), ont fait peu de cas des marchés étrangers.

« Pendant longtemps, le secteur de la mode au Japon est parvenu à faire suffisamment d’affaires sur le seul marché intérieur et il n’y avait nul besoin d’explorer l’étranger », résume Izumi Miyachi, spécialiste de la mode du quotidien à grand tirage Yomiuri Shimbun. Mais la chute de la natalité a provoqué un ralentissement de la consommation.

Les importations ont augmenté régulièrement ces dix dernières années et les stylistes japonais ayant des ambitions internationales préfèrent défiler à Paris qu’à Tokyo.

Mme Shinoda reste philosophe: « Nous ne pouvons pas faire concurrence à Paris, Milan ou New York. Mais ce que nous pouvons faire c’est servir de plateforme à de jeunes créateurs en début de carrière ».

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