Law Roach, Lotta Volkova, Olivier Rizzo… Les stylistes sortent de l’ombre
Zoom avant sur les stylistes, ces acteurs de la mode devenus très puissants. Avant, ils travaillaient dans l’ombre. Désormais, ils sont parfois presque plus stars que les stars qu’ils habillent ou que les créateurs avec qui ils travaillent pour les marques et les maisons de luxe. Décryptage.
C’est un métier méconnu, même s’il est sans cesse évoqué sur les tapis rouges, les réseaux sociaux, les reality-shows et dans les pages des magazines de mode. Beaucoup de fantasmes s’agrègent autour des stylistes car l’aura de glam’ qui colle aux basques de la mode rejaillit forcément aussi sur eux. Prenez le très hollywoodien Law Roach. Vous n’avez peut-être jamais entendu son nom mais vous avez vu son travail d’« habilleur de star »: c’est à lui que l’on doit la mue de Céline Dion, toute la garde-robe de Zendaya et ses apparitions sur tapis rouge ou encore le look « plume » de l’actrice Hunter Schafer signé Ann Demeulemeester au Vanity Fair’s 2023 Oscar Party.
En mars dernier, il annonçait publiquement qu’il prenait sa retraite sans renoncer pourtant à habiller Zendaya, qu’il considère comme sa « petite sœur ». Lui qui se voit plutôt comme un « architecte de l’image » demandait ainsi grâce, « pour protéger sa santé mentale et physique ». Mini-tornade médiatique, avait-on jamais autant parlé d’un styliste?
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Avec son 1,3 million de followers sur Instagram sur @luxurylaw, Law Roach pèse lourd. Et s’il est aujourd’hui dans la lumière, c’est parce que le stylisme n’est plus un job de l’ombre. L’automne-hiver qui s’annonce vient corroborer cette affirmation. Le label italien Weekend Max Mara invite en effet la styliste Kate Phelan à être « le cerveau créatif » de la nouvelle collection Signature de cet automne-hiver 23.
Et pour fêter ses 40 ans, Moschino annonce une collection anniversaire qui défilera durant la Fashion Week milanaise le 21 septembre prochain, le tout confié aux bons soins de quatre stylistes, Carlyne Cerf de Dudzeele, Katie Grand, Gabriella Karefa-Johnson et Lucia Liu, auxquelles on peut aussi coller l’adjectif « star » même si elles sont plus discrètes que Law Roach.
Il y a « styliste » et « styliste »
Dans la première catégorie donc, il y a le styliste de star. Son boulot consiste à habiller de pied en cap ladite star, à travailler son look, à veiller à ce qu’elle soit « à la mode ». Forcément, cela demande un peu de psychologie et beaucoup de métier – il s’agit de connaître les tendances, les marques, les avant-gardes, l’histoire de la mode et son écosystème.
Aujourd’hui, la puissance du styliste n’est pas un mythe. D’autant que désormais, dans les campagnes de publicité, les célebs’ sont à égalité avec les mannequins. « C’est la conséquence des réseaux sociaux, de l’impact de ces influenceurs, de ce qu’ils incarnent, de leur capacité à générer de l’engagement autour d’eux, analyse Serge Carreira, Maître de Conférence à Sciences Po Paris au sein du Master Mode et Luxe. Et tout cela n’a bien évidemment pas échappé aux maisons de mode. »
« Les stars sont potentiellement des produits, renchérit Benoît Bethume, styliste et fondateur de l’encyclopédie subjective Mémoire universelle. Une Dua Lipa, une Gigi Hadid sont prescriptrices, parce qu’elles correspondent à leur époque, qu’elles ont une grande communauté. Dès qu’elles portent un vêtement ou un accessoire, cela se traduit en ventes. Et quand on est le styliste qui habille ces gens-là, on a une influence dans la mode. » Lucien Pagès, attaché de presse du bureau parisien qui porte son nom, ne dit pas autre chose: « Les stylistes de célébrités sont puissants, car ils sont ce qui donne accès au Graal. Et le Graal, c’est la star. »
Dans la seconde catégorie, on trouve les stylistes qui œuvrent comme consultants auprès des marques et des maisons. L’essence de leur job? « Etre celui qui va alimenter le fil de la conversation créative et la narration du designer, précise Serge Carreira. Ce n’est pas son double caché, mais plutôt un véritable interlocuteur créatif, qui peut à la fois questionner, apporter des idées, contribuer à affiner le propos, à aller à l’essentiel. On ne sait jamais où les apports de l’un se terminent et où commencent ceux de l’autre…
Et cela contribue à l’expression du message, un peu comme un agent chimique qui permet à plusieurs liquides de se cristalliser: le chimiste a bien mis tous les ingrédients, c’est le créateur, et celui qui aide à cette cristallisation des idées, c’est le styliste. »
Lequel intervient à différents moments de la construction d’une saison, soit en une conversation continue soit ponctuellement. A lui d’aider le créateur à accoucher d’une collection. « Sur plusieurs points très précis, détaille Lucien Pagès: depuis le mood global aux looks, sur la façon dont on mélange les pièces et jusqu’au coiffeur et maquilleur de la séance photo et du défilé. Le studio, le designer ont travaillé pendant six mois sur la collection et le styliste aide à mettre tout cela en musique, avec un œil frais. C’est crucial à ce moment-clé où le créateur a vu et revu la collection, où il en connaît les défauts et les qualités, le styliste va l’aider à clarifier le message. »
Et cette relation privilégiée prend parfois la forme d’une amitié, telle celle vécue par les Belges Raf Simons et Olivier Rizzo, ou les contours d’une fusion, telle celle entre Nicolas Ghesquière chez Louis Vuitton et la styliste Marie-Amélie Sauvé. « C’est une espèce de couple mythique, analyse Lucien Pagès. Tout le monde est à la recherche de ce genre de relation, une relation absolue où l’on se comprend sans parler, ou l’on partage les mêmes goûts et où l’on évolue ensemble. »
Les pionniers
Ce genre de duo gagnant a déjà existé dans l’histoire. Au début des années 90, Tom Ford fraîchement nommé directeur artistique de Gucci forme un combo explosif, le premier du genre, avec Carine Roitfeld qui sera plus tard rédactrice en chef de Vogue Paris, de 2001 à 2011.
« Ils ont conçu ensemble une esthétique et une vision disruptive mais en même temps ancrée dans l’époque », constate Serge Carreira. Et si ce tandem a pu voir le jour, et marquer à ce point son temps, c’est parce qu’il y avait eu un premier basculement dans le monde de la mode: « On était alors passé de la figure un peu mythologique du créateur seul et torturé à celle d’un directeur artistique-chef d’orchestre créatif qui réunit autour de lui d’autres acteurs, dont le styliste. Cela date de ces années qui virent la montée en puissance de ces directeurs artistiques tels John Galliano, Tom Ford, Marc Jacobs, et le pionnier d’entre tous, Karl Lagerfeld. »
Dorénavant, certains stylistes sont devenus des personnalités en tant que telles, des influenceurs, qui incarnent mieux que personne un goût, une esthétique, un univers, le leur.
Lotta Volkova (1984) est de cette trempe-là. Elle est pour beaucoup dans l’histoire de la marque VETEMENTS, elle a travaillé aux côtés de Demna chez Balenciaga (lire par ailleurs) et aujourd’hui, elle est consultante pour Miu Miu, notamment. Et si elle a signé une collection avec Adidas et avec Jean Paul Gaultier, c’est parce qu’« elle est devenue une marque en elle-même, considère Benoît Béthume. Son style est très reconnaissable et parle à la Gen Z parce qu’elle est référencée Y2K et années 90. Tout le monde n’est pas capable d’avoir ce statut de muse. Naturellement, les médias et les réseaux sociaux font office de caisse de résonance, surtout pour ceux qui arrivent parfaitement à se mettre en scène, qui ont le physique et l’allure pour être leur propre modèle et devenir ainsi des icônes. »
Une expertise
Que des maisons fassent appel à des stylistes pour penser leur collection de A à Z dit évidemment quelque chose de notre époque. « Cela dit qu’on a besoin d’experts, décante Lucien Pagès. Certes, avant ils étaient un peu plus cachés, maintenant on sait qui fait quoi, grâce à notre société de l’information, cela les met forcément en lumière. Et ils peuvent être très intéressants pour faire des collections, par leur goût, leur créativité. Les stylistes sont des experts parce qu’ils savent ce qu’est un vêtement bien coupé. Ils en ont une grande connaissance, contrairement à d’autres, ils sont en contact avec la matière et avec toutes les collections. Ils triturent les vêtements pour les mettre en scène dans les séries photos ou sur les défilés et voient comment ils tombent sur les corps. »
A l’heure du tout à l’image, plus que jamais ce métier fait rêver. Une seule chose est sûre: il ne s’apprend guère à l’école mais essentiellement sur le terrain. Voici donc le seul conseil qu’Olivier Rizzo donnerait aux jeunes qui seraient tentés de s’y voir: « Soyez obsédés, obsédés par tout ce qui se passe autour de vous et par le monde dans lequel vous vivez. Ouvrez-vous littéralement à tout, à tout ce que vous pouvez penser, et encore plus à tout ce que vous ne pouvez penser. La passion doit être votre véritable moteur. »
Tom Eerebout
Il est styliste pour Lady Gaga, Kylie Minogue, Sylvie Kreusch, notamment, créateur d’une collection de bijoux pour Elliot & Ostrich et juge dans l’émission Belgium’s Next Top Model.
« Quand on travaille avec une chanteuse ou une actrice, il faut surtout être à l’écoute. Et instaurer une bonne énergie. Je suis quelqu’un de très calme, j’essaie toujours qu’il y ait des ondes positives. Cela ne sert à rien de transférer son stress aux autres. Alister Mackie et Katy England sont mes modèles. J’aime leur esthétique et leur façon de travailler – ils respectent leur équipe et les gens autour d’eux. Et j’aime aussi leur façon de ne pas se prendre au sérieux. Quand j’étais enfant, je ne savais pas ce qu’était un styliste. Et puis j’ai assisté à un concert de Kylie Minogue, à Anvers, c’était en 2008, elle portait du Jean Paul Gaultier Couture. J’ai trouvé ce spectacle fantastique. C’est là que j’ai compris que quelqu’un était chargé d’assembler tous ces vêtements et de créer des looks, je me suis dit que j’avais envie d’essayer moi aussi. Qu’ai-je appris durant toutes ces années? Que ce n’est que de la mode, ce ne sont que des vêtements et si quelque chose ne va pas, ce n’est pas la fin du monde! »
Benoît Bethume
Il est styliste pour Marine Serre, Patou, Lemaire et Ester Manas et fondateur du magazine Mémoire universelle
« J’ai été élevé avec le magazine Glamour des années 90, c’était l’époque de Carine Roitfeld, des premières séries avec le photographe Mario Testino qui n’ont pas vieilli. Et puis j’ai découvert Carlyne Cerf de Dudzeele qui travaillait pour Chanel et Moschino. C’est elle qui a rendu street et hip-hop le bourgeois d’alors. Et il a fallu que je fasse des recherches pour découvrir que c’était Manuela Pavesi qui créait ces séries photos hyper baroques pour le Vogue italien. Les stylistes n’étaient alors pas connues, c’était simplement des rédactrices et des éditrices qui faisaient leur travail pour leur magazine, sans aucune espèce de starification. »
Kate Phelan
Elle est styliste & créatrice de la collection 24 Weekend Max Mara.
« Je suis tombée amoureuse des magazines de mode toute petite. Ma mère était abonnée à Vogue. Je le lisais et j’adorais confectionner des vêtements. J’ai étudié la communication et la promotion de la mode à la St Martins School of Art (aujourd’hui Central St Martins). C’est là que j’ai eu l’occasion de faire un stage chez Vogue et dès le début, j’ai réalisé que je voulais être styliste. Je ne voulais pas créer de la mode mais des histoires, des looks et des idées. Pour cette collection Weekend Max Mara, j’ai commencé avec une envie de pièces de la garde-robe qui sont comme de vieux amis – une chemise blanche, un costume, un manteau en tweed, une veste en tweed Harris qui seraient comme un héritage. J’ai aussi été inspirée par un article que j’avais vu dans Vogue en 1982, j’avais 16 ans: un shooting réalisé par Bruce Weber et stylisé par Grace Coddington. Ces photos sont aussi fraîches aujourd’hui qu’elles l’étaient pour moi à l’époque. »
Olivier Rizzo
Il est styliste aux côtés notamment de Miuccia Prada et Raf Simons pour Prada et de John Galliano chez Maison Margiela.
« Il est vrai que comme styliste, on a un certain pouvoir. Surtout si on raconte une histoire qui correspond à l’époque dans laquelle nous vivons, une histoire dans laquelle beaucoup de gens se reconnaissent un peu ou, au contraire, dont les gens peuvent rêver. C’est ce qu’il y a de mieux dans mon métier: je peux faire rêver les gens. Qu’il s’agisse de défilés, de campagnes ou d’éditoriaux de mode dans divers magazines, tant que je sens que quelques personnes sont touchées ou, plus joliment, inspirées par mon travail, alors je suis heureux. J’ai fait mon travail! Plus vous avez de connaissances générales, mieux c’est. Plus votre monde est vaste, plus vous pouvez le partager. Plus le niveau de la mode est élevé, plus vous devez être capable de plonger dans toutes les couches de références, de la culture pop contemporaine à l’histoire et à la nostalgie, en passant par le romantisme et la poésie. Et la connaissance de l’artisanat de la couture, de la confection, des tissus, de la maroquinerie, de la joaillerie, du maquillage, de la coiffure. La communication visuelle est importante, d’où la nécessité d’avoir une culture et une affinité pour la photographie, le cinéma, la musique, l’architecture, la conception de la lumière, le graphisme… Cela va vraiment beaucoup plus loin que simplement les vêtements. »
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