Mentorat prolifique: portrait de trois duos de créateurs belges qui ont su montrer/suivre la voie

Théo Auquière et Valérie Berckmans.
Théo Auquière et Valérie Berckmans. © AARON LAPEIRRE

Un mentor, ça se croise sur les chemins de l’apprentissage. Et quand ça matche, c’est fort. Voici trois duos qui font plaisir à voir et écouter.

Valérie Berckmans (45 ans) et Théo Auquière (25 ans).

L’une tente de changer le monde avec sa marque éthique créée dans sa boutique-atelier bruxelloise baptisée simplement Valérie Berckmans. L’autre a tout appris du métier à ses côtés, à la faveur d’un long stage, avant de l’épauler officiellement et de lancer son label, Auquière Ateliers.

Il n’y a même pas trois mois, il était encore son stagiaire ; ils forment désormais un duo qui pense de concert la marque éthique et durable, pionnière, épurée et joliment minimaliste fondée par Valérie Berckmans. La créatrice a toujours ouvert grand les portes de sa maison, histoire de partager son savoir-faire, mais pas seulement.

«C’est un win-win, dit-elle. Cela fait vingt ans que je travaille et je trouve toujours intéressant de voir comment des créateurs d’une autre génération envisagent les choses. Je veux me confronter à leurs idées, me nourrir de ce qu’ils m’apportent, ne pas me figer surtout. Je choisis les stagiaires en fonction de leur motivation mais quand ils décident de postuler ici, c’est aussi parce qu’ils partagent la philosophie et les valeurs de la marque.»

C’est exactement cela qui a attiré Théo Auquière. En janvier dernier, il quittait Liège où il venait de terminer son cursus à l’HELMo Mode et découvrait Bruxelles et l’univers de Valérie Berckmans, sa boutique-atelier du centre-ville, ses engagements. «Tout chez elle me parlait: ses valeurs, la durabilité de ses vêtements, l’esthétique, le travail des matières de qualité.» Il apprend vite et bien, suit tout le processus des collections qui enquillent les saisons.

«C’est sans fard, ce n’est pas toujours rigolo mais c’est totalement connecté à la réalité», prévient la quadra. Et lui, visiblement épanoui, commente: «J’ai vu comment cela se passe avec les fournisseurs, les ateliers, le timing. J’ai découvert les difficultés et comment réagir. Et j’ai aussi appris dans la boutique, au contact des clientes: comme je connais le vêtement, ses qualités, ses atouts, son background, je sais comment il donne sur un corps, je peux conseiller beaucoup plus facilement.»

Au bout de cinq mois, à la faveur d’un changement au sein de la petite structure, la place de collaborateur est vacante, Théo répond présent. Pas de grand changement, «c’est comme si le stage se prolongeait», dit-il calmement. «De toute façon, dans tous les métiers, on apprend toute sa vie», philosophe Valérie qui a vu d’emblée «le potentiel de Théo» et reconnu leurs «points communs», une certaine idée du style et une technicité exigeante. Et lui, sobrement: «J’ai appris beaucoup plus vite que si j’avais été tout seul.» Voilà pourquoi aujourd’hui, il est prêt à lancer en parallèle son propre label, Auquière Ateliers. Et voilà aussi pourquoi il peut donner du «mentor» à Valérie. Elle en rougit presque, elle a des points de suspension dans la voix − «Je t’ai appris deux ou trois bricoles.»

valerieberckmans.be et auquiereateliers.com

Clio Goldbrenner (37 ans) et Marie Smits (30 ans).

Clio Goldbrenner et Marie Smits.
Clio Goldbrenner et Marie Smits. © AARON LAPEIRRE

La première, désormais consultante, a lancé sa marque de sacs et accessoires en cuir à son nom, en 2011 à Bruxelles, avec un succès jamais démenti. La seconde fut formée par elle et a suivi sa trace pour mieux fonder son propre label, Mardi éditions.

On dirait deux sœurs, ça tchache, ça se challenge, ça s’envoie des compliments, tout ça au jardin, à l’arrière de la boutique bruxelloise Mardi, ouverte par Marie Smits la veille du premier confinement. Entre les trentenaires Clio Goldbrenner et Marie Smits, un écart de sept ans, un même diplôme validé par l’Ichec, un stage dans le même département chez L’Oréal à quelques années d’intervalle, une même envie de bosser dans la mode et une rencontre professionnelle qui se mue en grande complicité, la preuve sous nos yeux. En 2015, Clio cherche à agrandir sa petite équipe de trois, elle a lancé sa marque de maroquinerie à son nom quatre ans plus tôt, c’est un succès. On lui parle d’une perle, le premier rendez-vous confirme le tout. «J’aimais ton look, simple et efficace, se souvient Clio, je n’ai pas eu d’hésitation.» Marie non plus, elles se sont trouvées. A posteriori, elle dit: «Je suis chanceuse d’avoir connu une telle équipe pour commencer à bosser. C’était stimulant.» Et Clio embraye: «Je savais que je pouvais lui faire confiance, elle est tellement organisée. J’accordais aussi beaucoup de valeur à son jugement. Il faut toujours s’entourer des meilleurs.»

Je trouve toujours intéressant de voir comment des créateurs d’une autre génération envisagent les choses.» – Valérie Berckmans

Marie «touche à tout», le commercial et le marketing, le site, l’e-commerce, l’Instagram, les newsletters, elle apprend le métier, sans abandonner son idée originelle. «Avant même de commencer mes études je savais que je voulais faire un truc à moi, dans la mode.» La voici donc depuis deux ans dans sa boutique bruxelloise de la rue du Page, près de la place du Châtelain, entourée des vêtements labellisés «Mardi éditions», zéro déchet, zéro plastique et coupés cousus dans un atelier portugais, elle est une enfant de son temps.

«On se ressemble sur certains points, commente Clio, on ne lâche rien. Tu es sérieuse, tu es bosseuse, quand tu veux quelque chose, tu te donnes les moyens d’y arriver. Je n’avais aucun doute, je savais que tu allais réussir à lancer ta marque et que ce n’était pas un petit hobby.» «J’ai appris avec toi que c’était tout ou rien et que c’était possible de le faire, reconnaît Marie. Je t’avais vue y parvenir. Et j’étais rôdée sur tous les sujets, cela ne m’a pas fait peur, parce que je l’avais déjà fait en vrai pour Clio.»

Au moment de poser pour la photo, elles s’amusent de leurs différences de look, l’une franchement minimaliste, l’autre qui «fait péter les couleurs» et qui dit comme on le dirait à une petite sœur: «Je suis flattée d’être ton mentor.»

@laboclio.goldbrenner et mardi-editions.com

Inge Grognard (63 ans) et Florence Teerlinck (33 ans).

Florence Teerlinck et Inge Grognard.
Florence Teerlinck et Inge Grognard. © AARON LAPEIRRE

Lorsqu’elle s’est lancée comme visagiste, la cadette de ce duo rêvait de travailler avec son aînée, make-up artist de renommée mondiale. Un shooting commun inattendu à Londres allait marquer le début d’une longue série de collaborations avec des maisons de couture et des productions internationales.

Inge Grognard se souvient encore de leur première rencontre: «J’étais à Londres pour une mission pour A Magazine, et le shooting s’est prolongé tard, alors que je devais rentrer en Belgique le soir même, raconte-t-elle. La charge de travail était considérable et nous avions besoin d’aide. Nous avons donc fait appel à Florence, dont un collègue m’avait déjà parlé en me disant qu’elle espérait travailler avec moi un jour…» La jeune femme ayant justement déménagé outre-Manche pour se créer de nouvelles opportunités, c’était l’occasion rêvée.

Tu es devenue une amie, presque une figure maternelle.» – Florence Teerlinck

«Je n’ai pas hésité une seule seconde», avoue-t-elle avant de s’adresser, sourire aux lèvres, à celle qu’elle considère aujourd’hui comme son mentor: «Nous avons eu un déclic personnel presque immédiat. Finalement, tu es restée pour tout le shooting. Cela fait maintenant environ sept ans que nous collaborons. Tu es devenue une amie, presque une figure maternelle.»

Désormais, Inge fait confiance les yeux fermés à la jeune femme et vante son sens de l’organisation, son jusqu’au-boutisme et ses idées créatives.«Elle comprend aussi parfaitement ma vision, poursuit-elle. Pouvoir compter sur quelqu’un qui sait donner corps à votre idée est très précieux pour un make-up artist. Je ne suis presque plus jamais derrière un pinceau lorsque nous préparons des événements. Nous sommes devenues très complémentaires.» Florence, elle, apprécie le style «très brut et très pur» de son aînée: «C’est parfois difficile d’expliquer cela aux nouveaux membres de l’équipe. Au cours de notre formation, nous apprenons à dessiner des lèvres parfaites, mais la technique ne suffit pas toujours lorsqu’il faut sortir des sentiers battus. Il faut pouvoir comprendre le style attendu. Ça ne s’apprend pas à l’école. S’il y a une leçon qu’Inge m’a apprise, c’est de toujours oser se démarquer.»

Lorsque les deux femmes planchent sur un nouveau projet, elles se retrouvent généralement autour d’un verre de vin dans la cuisine d’Inge. C’est à cette table que, pendant la pandémie, le tandem a déterminé les couleurs de la collection de maquillage de Dries Van Noten − «tous les pigments ont été envoyés chez Inge, où nous les avons testés» − et c’est aussi là que les deux complices prépareront bientôt le défilé de Balenciaga, qui aura lieu en octobre. «La nouvelle génération, dont Florence fait partie, aura son propre style, mais j’espère avoir donné une certaine impulsion à leur réflexion, conclut la make-up artist. Non pas que je veuille que la relève fasse la même chose que moi, au contraire: chaque artiste doit développer sa signature. J’espère juste que mon travail aura été une source d’inspiration, et je pense que c’est le cas quand je regarde autour de moi. Mais ne vous y méprenez pas: je ne pense pas encore à arrêter, loin de là!»

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content