Didier Ludot, antiquaire de la mode, vend sa collection aux enchères

Didier Ludot © Hugues Laurent
Anne-Françoise Moyson

Après cinquante ans de bons et loyaux services rendus à la patrie de la mode et de la haute couture, l’antiquaire et collectionneur Didier Ludot ferme définitivement les portes de sa boutique du Palais-Royal à Paris. Avec une ultime vente aux enchères chez Bonhams Cornette de Saint Cyr, titrée Dernier passage. Le crépuscule d’un dieu.

For ever

Je suis sentimental avec les robes. Certes, je ne les porte pas, mais à partir du moment où j’en ai eu une entre les mains, elle est à moi pour la vie. Je l’ai dans ma tête, je peux y repenser, je me souviens du tissu, de la forme, de la griffe. S’il ne fallait en sauver qu’une, ce serait la robe Mondrian d’Yves Saint Laurent. Elle résume le mieux la mode et la couture. Et elle représente toute la recherche et le hasard dans sa création – c’est parce que Saint Laurent ouvre un livre sur Mondrian que lui vient l’idée de la créer. J’en ai vu trois dans ma vie et je les ai pour toujours dans la tête et dans le cœur.

Yves Saint Laurent, Haute Couture collection, Fall-Winter 1995 Evening dress, in black silk satin with red embroidery Estimate_ €1,500 – €2,000. Copyright Bonhams Cornette de Saint Cyr

Pas de regrets

Il ne faut pas avoir de regrets. Je trouve que c’est idiot, la vie est ainsi: il y a des choses qu’on avait envie de faire et qu’on n’a pas faites. En ce qui me concerne, je ne sais d’ailleurs pas lesquelles. Je sais juste que je suis nostalgique quand je repense à tous ces gens que j’ai rencontrés, à ces grands couturiers et à ces belles actrices. C’est un moment magique quand mademoiselle Deneuve, Demi Moore, Nicole Kidman ou Stéphanie Seymour vous rendent visite… En réalité, je crois que je suis né nostalgique puisque j’aime la mode du passé. Et pour le reste, je vends mes derniers lots, toutes mes réserves sont vides, il n’y aura plus rien après. Je me considère comme un antiquaire de mode, cela résume bien la chose. Et dans ma tête, je le serai toujours, mais dorénavant on dira plus volontier que je suis un nostalgique de la haute couture.

Fendi, Ready to Wear collection, Fall-winter 2006. Copyright Bonhams Cornette de Saint Cyr

Souvenirs d’enfance

Le goût des vêtements me vient de l’enfance. Ma mère était une femme très élégante, elle avait une couturière qui lui copiait les modèles de Lanvin, Chanel, Balmain, je l’accompagnais aux essayages, je me souviens de chaque robe qu’elle s’est fait faire. Et puis, en province, dans les années 50, on gardait ses vêtements et les maisons étaient grandes. Dans celle de ma grand-mère, à 25 kilomètres de Fougères, en Bretagne, il y avait des placards pleins, avec les robes perlées des années 20 des grand-tantes et les smokings des oncles et des grands-pères. On avait le droit de jouer au théâtre avec ces trésors.

No Ugg

La mode française actuelle, ce n’est plus grand-chose. Il n’y a plus de magie, tout est devenu très commercial. Il n’y a plus l’échange culturel que j’avais avec ma clientèle auparavant, qui savait ce qu’était la haute couture et comment se glisser dans une robe. Je ne me sens plus du tout connecté. Et j’ai du mal avec les Millennials qui viennent essayer des robes du soir avec des Ugg… Cette clientèle est inculte et n’y connait rien, elle ne m’intéresse pas. Je suis définitivement plus Jacqueline de Ribes que Rihanna. Tout est basé sur le commercial, les stars, ce que les gens appellent des stars mais je ne considèrent pas que cela en soit, ce n’est plus mon truc. Au Golden Globes, Zendaya, dans une copie de Jean Dessès par Louis Vuitton, qui ne sait même pas marcher avec une telle robe, ce n’est hélas pas Grace Kelly ou Ava Gardner. Je me sens complètement déconnecté de ce monde et cela ne m’intéresse plus. Parfois on me téléphone et on me demande si j’ai des vêtements Balenciaga vintage, je réponds oui et quand la cliente arrive, en fin de compte, elle chercher un sweat-shirt avec Balenciaga écrit dessus et non une robe du soir de Cristobal.

Les débuts

J’ai été très influencé en 1971 par la collection Libération de monsieur Saint Laurent, cela m’a donné le goût des vêtements. Cela ne s’appelait pas du vintage à l’époque mais du rétro… J’ai commencé comme ça, j’allais acheter aux Puces, les brocanteurs avaient des tas de vêtements, je fouillais, je trouvais des trésors. J’étais devenu étalagiste à la compagnie de l’Orient et de la Chine, il y avait là une vingtaines de vendeuses, très influencées par cette collection Libération, je leur vendais des petites robes des années 40, des capes en renard argenté, cela m’a propulsé dans ce monde, je me suis installé au Palais Royal en 1974.  

Copyright Bonhams Cornette de Saint Cyr

« Je suis né nostalgique, j’aime la mode du passé. »


Le manteau de Julia Roberts

Un vêtement, cela doit être porté. Mon grand plaisir, quand une femme venait à la boutique, c’est quand elle me disait: «Je le garde sur moi, je repars avec», comme quand on était petit et qu’on gardait nos chaussures neuves aux pieds. Je me souviens de Julia Roberts, c’était pendant les défilés haute couture en juillet. Il faisait très froid à Paris, elle était gelée, elle cherchait un manteau, elle en a trouvé un, c’était un Balenciaga de 1967. C’était génial de la voir repartir avec ce manteau à carreaux orange et jaune qui était très beau et qui lui allait très bien.

L’humour vache

Il faut faire des bêtises. Sans ça, la vie serait trop triste. Il faut beaucoup rigoler et fréquenter des gens qui ont de l’humour, sinon, c’est d’un ennui… Et on ne peut pas être drôle si on n’est pas un petit peu méchant. J’ai vécu avec ma mère, seul, mon père est décédé quand j’avais 7 ans et demi et mes six frères étaient en pension. Elle était un peu excentrique, elle aimait non pas faire des bêtises mais déconner un peu, on s’amusait beaucoup.

Chanel, Haute Couture collection, Fall-Winter 1993. Artistic Director_ Karl Lagerfeld Turquoise, green and red tweed suit Estimate_ €1,500 – €3,000. Copyright Bonhams Cornette de Saint Cyr

Hommage

Les séries sur les créateurs sont insupportables. Celle sur Dior où le mec fait 1 mètre 90, est tout maigre et a des cheveux, c’est ridicule. Celle sur Balenciaga est pas mal, mais quand on est plongé dans cet univers-là, on voit qu’il y a plein d’erreurs. Quand je fais un petit bilan, je me dis que j’ai rendu hommage à tous ces savoir-faire, j’ai contribué à faire connaître des couturiers passés de mode, comme Jean Dessès, personne ne connaissait plus son existence ni ses plissés de mousseline et ses robes chrysalides. J’ai bien fait mon travail quand même!

Jean Desses, Haute Couture collection Fall-Winter 1952. Copyright Bonhams Cornette de Saint Cyr.

The end

On ne sait jamais quelle est la meilleure décision à prendre. Je fais mes adieux à ce métier que j’ai tant aimé. Je vends les derniers lots de ma collection, toutes mes réserves sont vides, il n’y aura plus rien après. Et je ne reviendrai sans doute jamais au Palais-Royal. Je n’ai pas été forcé d’arrêter mais on me l’a «un peu» conseillé. Il est vrai que j’ai un âge certain, j’ai 73 ans, et qu’il faut profiter de la vie. Nous avons quitté Paris, mon mari et moi, nous vivons désormais entre Saint-Rémy-de-Provence et Nice… Se réveiller le matin avec un ciel bleu et la mer devant soi, cela met de bonne humeur.

Vente aux enchères chez Bonhams Cornette de Saint Cyr à Paris, le 30 janvier. Et en ligne jusqu’au 10 février. bonhams.com

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