Peu appréciées lors des baignades, les algues ont pourtant déjà conquis le cœur des cuistots. Aujourd’hui, c’est l’univers de la mode qui s’empare de ce végétal marin pour en faire une matière première… de premier choix.
Elles vivent dans l’eau salée, poussent très rapidement, purifient l’océan et transforment le CO2 en oxygène. Elles n’ont besoin ni de terres agricoles, ni de pesticides, ni d’irrigation. Elles regorgent aussi de vitamines, de minéraux et d’antioxydants. Un végétal miracle, l’algue? Disons que cet organisme ancestral et polyvalent est en train de gagner du terrain un peu partout: on le croise déjà dans certains carburants, dans les soins cutanés ou même dans les poké bowls de la cuisine hawaïenne. Et désormais, c’est la mode qui craque pour l’algue.
Il faut dire que le secteur est plus que jamais en quête d’alternatives durables qui évitent de contribuer à l’épuisement de notre planète.
Sur papier, les algues sont l’allié parfait: elles sont renouvelables, nécessitent peu de ressources et ne laissent aucune trace toxique dans le sol. Contrairement au coton, elles n’ont pas besoin d’eau douce. Et à l’inverse du polyester, elles ne contiennent pas une seule goutte de pétrole.
On vous voit venir: vous êtes sûrement en train d’imaginer des tenues vertes et suintantes à base d’algues fraîchement sorties des eaux. Détrompez-vous. Oui, certains artistes les utilisent «telles quelles». Mais leur application commerciale – et donc à grande échelle – combine nature et technologie. Et si les expériences sont nombreuses, pour l’instant, seuls quelques pionniers ont réussi à faire atterrir sur le marché des fibres à base d’algues marines biodégradables.
Merci à… Stella McCartney
L’un de ces précurseurs est la start-up américaine Keel Labs, avec sa fibre d’algue Kelsun à base de polymères issus du varech, une espèce d’algue à croissance rapide. Le processus de production est semblable à celui d’autres fibres de cellulose, mais Kelsun est entièrement compostable et peut même être mélangé à d’autres fibres naturelles. L’an dernier, ce matériau a attiré l’attention de Stella McCartney, grande figure de la mode durable, qui a présenté des robes crochetées en Kelsun à la Fashion Week de Paris. Sa collection actuelle comprend également un haut et un pull en fil d’algues. Et son fonds SOS a déjà investi dans la start-up afin de poursuivre son développement. De son côté, la marque de surf Outerknown a également lancé une chemise en édition limitée en collaboration avec Keel Labs.
Autre grand nom dans le domaine: SeaCell, une fibre développée par l’entreprise allemande Smartfiber à partir de pulpe de bois et d’algues marines d’Islande. La récolte de ce produit est régénérative: seule une partie de l’algue est coupée afin que le reste puisse continuer à pousser. Les algues sont ensuite séchées, broyées et mélangées à de la pâte à papier, via un système en circuit fermé qui ne rejette aucune substance toxique dans l’environnement. Le résultat? Une fibre respectueuse de la peau, qui régule l’humidité, est biodégradable et certifiée Oeko-Tex. La fibre est filée et transformée en tissus, notamment par l’entreprise espagnole Pyratex. Celle-ci propose des tissu SeaCell purs ou mélangés à du Tencel ou du coton biologique. Une petite quantité d’élasthanne peut même être ajoutée pour plus d’élasticité.
Bon pour la peau
Pour Tallulah Harlech, fille d’Amanda Harlech, muse de Chanel et fondatrice de la marque Sylva, SeaCell a été une révélation. La styliste britannique souffre de psoriasis depuis petite. Elle avait du mal à trouver des tenues stylées qui n’irritaient pas sa peau. La douceur et les propriétés de SeaCell l’ont immédiatement séduite. Cette fibre hypoallergénique et antibactérienne aurait même des propriétés nourrissantes pour la peau grâce à ses acides aminés, ses minéraux et ses vitamines. On ne sait pas encore exactement quelle quantité de ces éléments reste dans le tissu. Toujours est-il qu’aujourd’hui, la collection Sylva se compose de pièces noires moulantes, élégantes… et confortables.
La marque Pangaia apprécie également les propriétés durables de SeaCell: elle y voit «un produit de très haute qualité et biodégradable». Le label espagnol Bobo Choses a intégré SeaCell dans ses tissus tricotés, explique Cecilia Guarás, responsable du développement durable. «C’est un pas dans la bonne direction pour remplacer les fibres synthétiques et non certifiées. SeaCell aide aussi à maintenir la température corporelle stable.»
D’autres marques, telles que Another Tomorrow, Musa Intimates, la griffe de haute couture Botter, la Colombienne Johanna Ortiz et MATE, certifiée B-Corp, comptent également des fibres d’algues marines dans leurs collections. Des initiatives à petite échelle, pour la plupart. Mais le mouvement est lancé.
Les applications de l’algue ne s’arrêtent pas au textile. Des start-up telles que Sway, Zerocircle et Notpla fabriquent des emballages à base d’algues marines, ce qui leur a même valu le Tom Ford Plastic Innovation Prize. Les algues offrent également des perspectives dans la recherche d’alternatives plus durables aux colorants textiles toxiques. La société néerlandaise Zeefier développe des colorants à partir d’algues locales, qui offrent une palette de couleurs naturelles.
A côté de cela, la marque danoise de sous-vêtements durables Organic Basics a lancé une collection teinte avec des colorants d’algues du fabricant Algaeing. Et la griffe novatrice Vollebak s’est associée à l’entreprise de biomatériaux Living Ink pour créer un tee-shirt teint avec un colorant noir à base d’algues.
Un matériau miracle?
Avant de considérer les algues comme la solution à tous nos problèmes, précisons que cette fibre n’est pas encore un matériau courant. Sa production reste limitée, ce qui fait grimper son prix. Le polyester et le coton continuent de dominer le marché. Mais clairement, l’intérêt est croissant. Utilisées à plus grande échelle dans les textiles, les teintures et les emballages, les algues pourraient jouer un rôle.
Matteo Ward, expert en mode durable et CEO d’Inside Out – Fashion, Textiles and Home, suit de près les développements. Et il nuance: «Les fibres d’algues et les colorants naturels sont des innovations cruciales, mais ce n’est qu’un point de départ. Nous devons évoluer vers un système dans lequel les produits offrent une valeur ajoutée économique, culturelle et écologique. Il ne s’agit pas d’une solution unique, mais d’une transition à l’échelle de la chaîne.» Personne ne sait si les algues sauveront le monde. Mais elles méritent assurément leur place sur la liste.