© Niccola Van den Heuvel

La belge Lies Mertens lance un sac à main en cuir… de mycélium

Lotte Philipsen

Pour célébrer le cinquième anniversaire de sa marque de maroquinerie, Lies Mertens lance un sac végan en cuir de mycélium. Nous nous sommes rendus à la source, dans l’usine d’acide citrique Citribel, à Tirlemont.

En entrant sur le site de Citribel à Tirlemont, la première chose que l’on remarque est l’odeur qui y règne. «Ce que vous sentez, c’est la fermentation, indique la directrice Sylvia Gilis. Vos vêtements en seront encore imprégnés ce soir», prévient-elle. Nous devons notre visite dans la ville sucrière à la créatrice d’accessoires Lies Mertens. Ces cinq dernières années, elle a mené des recherches sur des modes de fabrication durables pour ses sacs minimalistes. Car si l’essentiel de sa collection se compose de produits en cuir de qualité, cela ne l’empêche pas d’être en quête de solutions alternatives véganes.

« Tant qu’on mangera de la viande, il y aura du cuir, mais si l’élevage diminue un jour – ce qui est nécessaire pour l’environnement –, ce matériau sera moins disponible. Mon but est d’expérimenter dès à présent des alternatives qualitatives qui donnent un beau résultat ».

LIES MERTENS

En 2022, elle a sorti son sac D.B en Vegea, un cuir végan obtenu à partir de résidus de l’industrie du vin. «C’était une chouette expérience, mais pour la collaboration suivante, j’avais envie de me lancer avec un partenaire local et plus transparent», déclare-t-elle. Elle l’a trouvé en MycaNova, un projet du producteur belge d’acide citrique Citribel.

© photos: SDP

Des fongus extraordinaires

L’entreprise produit de l’acide citrique à partir de mélasse de sucre fermentée (voir aussi notre encadré). Le mycélium, qui assure la fermentation, en est un sous-produit. Au lieu d’être jeté, il est réutilisé comme fourrage ou comme base de «cuir». Le producteur tirlemontois est loin d’être le seul à mener des expériences avec les moisissures. En magasins, on trouve toutes sortes d’articles à base de fongus, des suppléments alimentaires aux produits de beauté. «Plus on en sait à son sujet, plus on le trouve intéressant, s’enthousiasme Sylvia Gilis. Par exemple, on a décelé une cinquantaine de champignons mangeurs de plastique. C’est une découverte inouïe au vu de l’énorme montagne de déchets à laquelle nous sommes confrontés. Des champignons comestibles peuvent même se développer sur du plastique.»

Le fait que le mycélium de MycaNova vient de Tirlemont est un grand atout pour Lies Mertens. «Comme c’est une entreprise belge, le feed-back et les tests sont beaucoup plus rapides. La communication est très fluide, et il n’y a pas de secrets. On peut se rendre dans l’usine et voir de ses propres yeux comment le mycélium pousse. A l’inverse, certains autres producteurs restent vagues à propos de la composition de leur matériau et laissent planer le mystère sur les solutions alternatives au cuir. Or, la transparence est une composante significative de la transition durable dans le secteur de la mode.»

Six terrains de football quotidiens

L’usine accueille souvent des visiteurs. Kristof Vrancken, responsable du département fermentation, nous guide à la façon de Willy Wonka. Bien entendu, ici, il n’est pas question de chocolat, mais nous pouvons enfoncer le doigt dans un des bacs où la mélasse se transforme en acide citrique. «Si vous aimez les bonbons acidulés, ceci va vous plaire», dit-il en riant. Après dix jours, la fermentation est terminée, et le fongus a ainsi rempli sa mission. L’acide citrique et le mycélium sont prêts à être récoltés.

Chaque jour, Citribel produit l’équivalent de six terrains de football de mycélium, une quantité unique au monde. Il arrive régulièrement que des entreprises internationales frappent à leur porte pour acheter une partie de cette production à toutes sortes de fins. Actuellement, il est essentiellement utilisé comme fourrage par des agriculteurs locaux. Le même matériau constitue la base d’une solution alternative végane. «En tant que végétarien, je suis bien entendu partisan des matériaux alternatifs au cuir», précise Kristof Vrancken. Comme la quantité de bétail ne va pas se réduire drastiquement dans l’immédiat, il est logique de nourrir les vaches avec des résidus locaux. «Elles aiment l’acide contenu dans notre mycélium, et les protéines sont une bonne source alimentaire pour elles».

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Une production à grande échelle

Le matériau MycaNova est le fruit d’une revalorisation du mycélium imaginée par Citribel. L’étape suivante du processus est le séchage et le broyage. La poudre qui en résulte est ensuite acheminée à Milan. C’est là que Carlo Borsani intervient. «Son équipe a des dizaines d’années d’expérience en matière de finition et de design», avance Sylvia Gilis. «Au cours des cinq dernières années, nous nous sommes spécialisés dans des matériaux innovants, comme les solutions alternatives au cuir, précise le product manager italien. L’intérêt pour les matériaux d’origine naturelle croît au fil des ans. Nous nous en réjouissons, car notre but est de réduire l’impact du secteur de la mode sur la planète. Nous voulons réconcilier les tendances liées à la création et à la société.» Certes, MycaNova n’est pas la seule entreprise à vouloir introduire le mycélium sur la planète fashion.

« Nous avons opté pour une approche qui est déjà applicable à grande échelle. Nous n’avons pas encore abouti au point le plus durable, mais nous continuons à innover. Je trouve qu’il est très positif que d’autres firmes se lancent aussi. Nous aspirons tous à un matériau le plus durable possible ».

Carlo Borsani

«Les concurrents prétendent parfois que leur produit est plus durable que le cuir ou que les solutions alternatives à celui-ci, mais il est difficile d’établir des comparaisons pertinentes. La durabilité a de nombreuses facettes, explique Sylvia Gilis. Nous voulons jouer la carte de l’honnêteté en ce qui concerne nos processus et les composants de notre produit. Pour chaque mètre carré de cuir synthétique, nous remplaçons actuellement vingt à soixante grammes de plastique par du mycélium. Nous travaillons autant que possible avec des composants naturels ou recyclés. Nous sommes conscients que ce résultat n’est pas encore 100% durable, mais cela nous permet de travailler avec des machines et des usines existantes. C’est un pas dans la bonne direction.» Carlo Borsani nous informe que des tests prometteurs sont en cours. La part de mycélium atteint 45%. «Le défi consiste à trouver l’équilibre entre un maximum d’ingrédients durables et une qualité et une fonctionnalité élevées, et ce, sans négliger l’aspect esthétique, bien entendu.»

Moins de déchets, plus de visibilité

Couleur, texture, forme… Tout est possible ou presque. «C’est pourquoi il nous importe de communiquer avec les créateurs. Nous voulons traduire leurs demandes en réalité», poursuit Carlo Borsani. «Le créateur est le trait d’union entre le consommateur et nous, ajoute Sylvia Gilis. Sans le feed-back de clients comme Lies Mertens, nous ne pourrions pas approcher le marché de manière aussi ciblée. Le fait qu’une créatrice reconnue se lance dans le mycélium offre une visibilité au matériau. Plus celui-ci sera connu, mieux ce sera pour l’avenir de la mode et celui de la planète. Je vois Lies comme le Steve Jobs des accessoires. Elle stimule l’innovation en réalisant des produits à partir de matériaux novateurs qui sont parfaitement utilisables.»

Carlo Borsani cite la surproduction comme un des problèmes écologiques dans le secteur de la mode. «Je ne parle pas seulement de toutes les collections qui sont commercialisées, mais aussi des prototypes que les marques réalisent avant de les produire à plus grande échelle. C’est pourquoi nous n’envoyons pas d’échantillons de plusieurs mètres à des créateurs, mais uniquement les dimensions exactes dont ils ont besoin.»

Pour Lies Mertens, c’est une approche efficace. «En tant que créatrice, on sait parfaitement ce qu’on recevra, puisque chaque rouleau de ce matériau possède les mêmes propriétés, contrairement au cuir qui est un produit naturel et qui nécessite un contrôle qualité au cas par cas. C’est toujours un casse-tête. On a beau réaliser des accessoires avec les chutes, il y a toujours des bandes de déchets. Chez MycaNova, on peut calculer à l’avance la quantité dont on a besoin, ce qui permet de faire concorder des patrons plus facilement.»

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«Les différences entre le travail avec le cuir animal et les solutions alternatives véganes résident dans les détails et dans la finition, poursuit-elle. Ils ont chacun leurs avantages et inconvénients. Dans le cas du cuir de qualité, on peut percer des petits trous sans devoir prévoir une finition spéciale et jouer sans problème avec le mélange dur et souple. Dans le cas du MycaNova, pour les finitions, on travaille avec de la teinture de tranche. C’est une bonne option, car on peut y apporter des réparations si nécessaire. Un autre atout intéressant est sa résistance aux rayures. Il reste intact très longtemps.»

Et le résultat final? «Si vous regardez de près un sac à main en MycaNova, vous ne voyez aucune différence par rapport à un exemplaire en cuir», promet Lies Mertens.

Sac Lies en cuir de mycélium, 580 euros, dès ce 20 avril. liesmertens.be

Comment passe-t-on de la betterave aux sacs à main signés Lies Mertens?

1. La raffinerie tirlemontoise transforme la betterave sucrière non génétiquement modifiée en morceaux de sucre, dont la mélasse est un sous-produit. La mélasse résultante est fermentée par Citribel pour produire de l’acide citrique. Dans les chambres de fermentation, des spores de moisissures sont soufflées dans les bacs de mélasse.

2. Le mycélium se développe et la mélasse devient de plus en plus acide. Après dix jours de fermentation, l’acide citrique est prêt. On n’a alors plus besoin du mycélium. Citribel l’utilise comme fourrage ou comme base pour du cuir.

3. Une fois broyé et séché en poudre, le mycélium est expédié à Milan. Là, la poudre est mélangée à des liants et à un matériau textile. Pour les sacs à main de Lies Mertens, une base solide de Nylon recyclé est utilisée.

4. Les rouleaux de MycaNova sont envoyés à l’atelier de Lies Mertens à Anvers. La phase de test peut alors commencer. Dès que la créatrice est satisfaite des prototypes, le matériau est expédié par le biais de son partenaire LSP, situé en Flandre-Occidentale, dans son atelier de production en Tunisie.

Vous avez dit cuir de champignons?

Le cuir de mycélium n’est pas un cuir de champignons, comme on l’appelle souvent. Mais l’assimilation n’est pas si fantaisiste, étant donné que le mycélium est la base des champignons. Ceux-ci résultent d’une moisissure, mais la plus grande partie se trouve dans le sol, sous la forme d’un réseau filamenteux: le mycélium.

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