© Michèle Bloch-Stuckens

Adriana Karembeu: “A 52 ans, je découvre la liberté!”

Fanny Bouvry
Fanny Bouvry Journaliste

Venue de Tchécoslovaquie sans rien dans ses valises ou presque, la top des années 90 Adriana Karembeu s’est forgé en trois décennies une vie de princesse. Notre entretien avec cette top de légende.

Sa voix est comme un souffle, basse et suave, quand nous nous connectons pour discuter de sa biographie, Libre. Depuis Monaco, elle nous livre ses émotions, dans un français mâtiné d’un charmant accent slave.

Un instant, elle s’arrête, émue, en repensant aux défilés qu’elle a eu la chance de faire et aux créateurs qui l’ont marquée – Thierry Mugler, Yves Saint Laurent, Hubert de Givenchy. «J’ai envie de pleurer, dit-elle. Ces trois personnes m’ont touchée, honorée. Je me suis sentie tellement fière, tellement Française.»

Adriana Karembeu pour Saint Laurent en 1994. © Getty Images

Puis, elle reprend le fil de l’interview. Posée, alors que la suite de sa journée à cent à l’heure l’attend après cet entretien: «Demain je pars pour Paris pour le travail et je sais que je vais passer une nuit blanche pour mes valises. Avant, je veux planter des graines avec ma fille. Puis, je dois me laver les cheveux, faire ma manucure.

Il faut quand même livrer un minimum de beauté, n’est-ce pas? C’est difficile d’allier sa carrière et son rôle de maman. Ce matin, j’étais en retard pour l’école. Je me suis fait engueuler… Ça fait 52 ans que je suis en retard, il faut l’accepter, c’est une maladie, ça ne va pas guérir.»

Parler sans filtre

Adriana Karembeu est comme ça, sans filtre. La top des années 90 – qui porte le nom de son ex-mari, le footballeur Christian Karembeu – est une quinqua bien dans sa peau. Maman d’une petite Nina de presque 6 ans, elle a décidé de coucher sur papier sa vie.

Ses bonheurs, mais aussi son enfance dans le Bloc de l’Est auprès d’un père violent. «Ce livre que tu liras peut-être un jour me permet de tenir au loin cet homme ignoble, adresse-t-elle à sa petite, dans la préface. C’est en l’écrivant que je trouve enfin le moyen de ‘tuer le père’.» De chaque chapitre de son parcours, depuis sa Tchécoslovaquie natale, jusqu’à sa maternité tardive, elle a tiré des leçons. Des mantras qu’elle partage avec le monde dans ce bouquin qui se lit comme un conte de fées.

Chapitre 1 : Chagrin d’enfant

On est à l’aube des années 70, à Brezno, dans l’actuelle Slovaquie. La petite Adriana Sklenarikova pousse son premier cri, ses parents ont 23 ans. Lui, est jeune ingénieur; elle, étudie la médecine et est contrainte de laisser son bébé aux grands-parents – sa Starka et son Starky comme Adriana les appelle – qui vivent à 500 km de la fac.

De ses trois premières années, la top ne retient que les bons moments: son lien fusionnel avec ses aïeux, son papa qui s’installe là-bas et lui fait des tours de magie, les animaux du jardin… Mais en 1974, c’est le choc: elle part vivre avec son père et sa mère. «Je suis arrachée au paradis», raconte Adriana. La vie familiale s’organise mais à l’arrivée de sa cadette, son papa cesse de montrer la moindre considération pour l’aînée. Peu à peu, la violence s’installe – «Si j’ai une mauvaise note, mon père me frappe. Combien de fois ai-je reçu un coup de ceinture en cuir?» Au fil des ans, «sa brutalité devient de plus en plus sournoise».

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L’ado se sent «comme une moins-que-rien». Sa mère, elle, ne bronche pas. De cette expérience, le mannequin gardera des séquelles. «Toute ma vie, je me suis comportée en victime, avoue-t-elle lors de notre entretien. Mais à l’arrivée de Nina, ce sentiment s’est transformé en haine. Etant maman, je ne pouvais plus comprendre comment il avait pu faire cela. Au début, je me suis demandé si je pouvais écrire de telles choses alors qu’il est encore vivant. Mais j’ai eu envie de dire aux personnes qui souffrent de maltraitance qu’il faut oser en parler, avoir le courage. On n’a qu’une vie. Il n’y aura pas de deuxième chance.»

«Toute ma vie, je me suis comportée en victime.»

A 18 ans, la jeune femme prend son destin en main et part à Prague étudier la médecine. Elle veut prouver à son père qu’il a tort de freiner ses ambitions. L’étudiante réussit bien et prend confiance en elle. A 350 kilomètres de là, le mur de Berlin tombe – «Tout à coup, la liberté. La vraie vie. J’ai le sentiment de sortir d’une grotte et que tout s’accélère», dit Adriana. Un an plus tard, sa Starka décède, laissant pour toujours dans son cœur «un vide abyssal».

Chapitre 2: Paris en cadeau

Le tournant de son existence arrive alors qu’elle entame sa troisième année de médecine. Un talent scout, comme on appelle ces dénicheurs de top-modèles, la repère dans une boutique pragoise et lui propose de partir à Paris. Son petit ami s’y oppose. Elle hésite… et décide de tout plaquer!

«Je ne pouvais ignorer ces opportunités. Je le sentais dans mes tripes; je fais tellement confiance à mon intuition. Et vu ce que le destin m’a offert, je ne pourrais jamais avoir de regrets. En plus, j’ai été choisie pour faire l’émission Les pouvoirs extraordinaires du corps humain (France 2) durant onze ans et je suis l’ambassadrice de la Croix-Rouge. J’ai donc pu revenir à mes premières passions. »

Son arrivée à Paris prend toutefois vite des allures de galère. Sans argent, elle partage un appartement avec une Tchèque, venue là pour les mêmes raisons. Leur salut: un pot de Nutella – «Il contient suffisamment de calories pour subsister plusieurs jours. Notre seul repas quotidien se limite à une cuillère à soupe de cette pâte à tartiner.»

Elle doit aussi tout apprendre: lorsqu’on lui demande son book, elle ne sait pas de quoi il s’agit! Elle ne parle pas un mot de français, ni d’anglais. Elle n’a pas de quoi s’habiller pour les castings. Elle enchaîne les refus. Elle se sent invisible.

«On peut avoir de la chance une fois. Ça peut être un déclencheur, mais le reste, c’est du travail.»

Mais peu à peu, le vent tourne. Son réseau se forme et elle rencontre Benjamin de Marigny, un étudiant de Sciences Po nanti. Il l’emmène vivre chez ses parents dans le XVIe arrondissement, lui offre les accessoires nécessaires pour améliorer son apparence et, surtout, lui organise un rendez-vous avec l’agence Elite. «Ma vie bascule», résume-t-elle. Chanceuse? «On peut avoir de la chance une fois certes, mais pas toute sa vie. Ça peut être un déclencheur, mais le reste, c’est du travail», répond-elle.

Chapitre 3

Reine du catwalk

Sa première mission avec Elite se passe aux Bahamas, pour le catalogue des 3 Suisses. Pendant le voyage, elle se demande si elle n’est pas tombée dans un trafic d’êtres humains! Mais elle ne rêve pas… Les séances photo s’enchaînent. Ses jambes de 1,26 mètre de long font sensation – en 2011, elles entreront dans le Guinness Book. Elle se sent enfin jolie, mais elle garde encore ce peu de confiance en elle qui la hante.

Dans la robe Chimère pour Thierry Mugler. © Getty Images

Elle découvre aussi les dessous de ce monde de paillettes: «Les commentaires des stylistes et rédactrices en chef peuvent être sans pitié. Mais leur venin ne m’atteint pas vraiment car j’ai tant enduré dans mon enfance que ma carapace est solide.»

Avec la naissance de Nina, ces comportements qu’elle avalait sans se rebeller la révoltent. «La simple idée que ma fille puisse endurer cela me met dans une rage incontrôlable», avoue celle qui a assisté impuissante au naufrage de gamines sombrant dans la drogue et les excès. «Mon passé m’a mise sur mes gardes, j’ai toujours été persuadée qu’au-delà du bonheur, le danger guette. Cette conviction m’a donné la force de tracer ma voie, loin du chant des sirènes», écrit-elle.

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Un coach américain réputé lui apprend finalement à défiler. Et son horizon s’ouvre à nouveau. Elle devient l’une des mannequins les plus en vue – «la poule aux œufs d’or d’Elite avec Karen Mulder», mais aussi le visage de Wonderbra, après Eva Herzigova.

Chapitre 4: Le grand amour

Leur rencontre a lieu par hasard, dans un avion. Adriana ne comprend pas alors qu’elle parle à une vedette du ballon rond. Quelques semaines plus tard, ils partagent leur première nuit. Christian Karembeu lui offre un Walkman – «Son cadeau m’émeut autant que si c’était un bracelet en diamants.»

Très vite sa relation avec le sportif aux dreadlocks s’emballe. Les tabloïds aussi… Mais qu’importe? «J’étais tellement amoureuse que j’aurais pu le crier sur tous les toits, nous explique-t-elle. J’en parlais sans tabou. J’étais même contente de voir des photos que je n’avais pas dans mon appareil… Il est toutefois arrivé qu’on raconte des choses fausses. On nous a annoncé séparés alors qu’il était en train de me demander en mariage. L’info est arrivée jusqu’en Slovaquie et mon grand-père l’a lu. Ça m’a fait tellement de peine.»

Avec Christian Karembeu. © Getty Images


Si la top ne doit pas sa carrière à cette rencontre, elle avoue qu’il y a eu «un avant et un après». Car en 1998, son homme entre dans l’histoire en brandissant avec les Bleus la Coupe du monde.

Aujourd’hui encore, elle se souvient de sa lente intégration dans les Wags (les Wives And Girlfriends des joueurs), de ces nuits où, malgré l’interdiction de l’entraîneur, elle rejoignait son chéri affublée d’une perruque; de cette parade en bus sur les Champs-Elysées le lendemain de la victoire; du défilé d’Yves Saint Laurent aussi qui eut lieu juste avant ce match France-Brésil. Trois cents tops, dont elle, sur la pelouse du Stade de France.

Le défilé Saint Laurent au stade de France. © Getty Images

Avec son amoureux, sa vie devient celle d’une rockstar, d’aéroport en aéroport. Elle apprécie cette instabilité. Mais en 2010, elle décide de quitter le champion alors retraité. Elle vivra un second mariage, avec Aram Ohanian, propriétaire d’un grand restaurant de Marrakech… Il sera le père de sa fille, mais après la crise du Covid cette relation s’étiolera à son tour.

Avec Aram Ohanian. © Getty Images

«Toute ma vie, j’ai été convaincue qu’il était essentiel de cultiver le bonheur au sein de mon couple en étant dévouée à l’homme que j’aime. A 52 ans, je découvre une sensation qui m’est inconnue: la liberté!», conclut celle que les tabloïds annoncent aujourd’hui en couple avec Marc Lavoine. Elle avait annoncé avoir un crush pour lui dans l’émission de TF1 50′ Inside, il y a quelques semaines. Une confession qui n’a pas échappé au chanteur…

Chapitre 5

Le plan de carrière

Sa percée dans l’audiovisuel, elle la doit à sa participation au jury de Top Model sur M6. Plus tard, on la verra au ciné, notamment dans Trois petits filles, avec Gérard Jugnot. «Pour une scène, il se trouve que je chevauche Gérard Jugnot nue. Les caméras sont derrière moi. Par pudeur, j’avais mis du scotch pour lui cacher mes seins», s’amuse-t-elle. De casting en casting, c’est dans ce milieu qu’elle vivra sa première mauvaise rencontre, avec un réalisateur qui tentera de l’embrasser de force.

Visite de la Croix-Rouge malienne . © Getty Images

«Je pensais que vu que j’étais une jolie femme, c’était normal, confie-t-elle. Aujourd’hui, je me rends compte que c’est inacceptable. Cet épisode n’a pas mené au viol, mais j’ai laissé un prédateur courir. Mon but, ce n’est pas de dire «j’ai aussi eu mon MeToo». Mais c’est de ma responsabilité d’en parler. J’aime me faire draguer, je trouve normal de se faire courtiser. C’est la base de l’existence des humains. Mais on s’est laissé trop faire, nous les femmes, par les hommes puissants.»

«Je ne suis pas un cintre! Essayez de faire du mannequinat, et vous comprendrez.»

Si Adriana est une businesswoman – elle a entre autres lancé une marque de cosmétiques, AKD –, elle entend défendre le fait qu’être belle n’est pas futile. Et c’est l’émission Rendez-vous en terre inconnue qui lui a permis d’assumer cela. Alors qu’un villageois, en Ethiopie, lui demande son métier, elle répond: «C’est d’être belle.» Ce qui la fait réfléchir.

«J’étais en train d’expliquer à des personnes vivant dans le dénuement la superficialité de notre monde occidental. Je me suis demandé quel était le sens de cette vie. J’ai alors compris que c’était mon travail, et que c’était difficile. On m’a souvent demandé ce que ça faisait d’être un cintre. Je ne suis pas un cintre! Essayez de faire du mannequinat, et vous comprendrez. On m’a déjà dit «vous n’êtes pas QUE belle».

Cela part d’une bonne intention mais ça me gêne. «Et si je n’étais QUE belle, vous me déposeriez dans une poubelle? Et puis, si je n’étais QUE belle et heureuse, c’est grave? Pourquoi faut-il se demander si une femme belle est aussi autre chose?», peste-t-elle.

Chapitre 6: La maternité tardive

Adriana ne voulait pas d’enfants. Sa relation avec Christian Karembeu lui suffisait. C’est Aram qui mettra des mots sur «cette envie latente d’être maman». Le parcours sera ardu, fait de FIV et fausses couches… Jusqu’à ce que le miracle se produise. En août 2018, à 47 ans, Adriana met au monde Nina. Et tout change.

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«J’ai longtemps ressenti le syndrome de l’imposteur. Mais depuis cette naissance, je suis en paix. Enfin, j’existe pour ma propre personne. J’ai envie de tenter des choses que je ne sais peut-être pas faire, même si je les fais moins bien. J’avais tellement peur de décevoir et que mon père ait raison. Désormais, je n’ai plus peur de rien, sauf de mourir parce que je laisserais ma fille seule», nous avoue-t-elle.

© Michèle Bloch-Stuckens

Après une pause pour prendre soin de son bébé, elle poursuit désormais sa carrière. Et accueille sereinement les premiers signes de l’âge, elle qui a renoncé au Botox pour ne plus avoir le visage gonflé «comme un ballon de football»: «La beauté est une arme puissante que je suis en train de perdre. Mais je sais que je peux être heureuse grâce à autre chose. Il faut se battre pour digérer ce phénomène neuf, après 40 ans. C’est un obstacle, mais la vie ne s’arrête pas. On apprend à vivre avec. Et puis, vieillir, ça veut dire qu’on est vivante. Donc ça va.»

Bio express

Elle voit le jour le 17 septembre 1971 à Brezno, en Tchécoslovaquie.

En 1989, elle entame des études de médecine, avant de tout quitter deux ans plus tard pour rejoindre la France dans l’espoir de devenir mannequin.

Elle sera l’épouse du footballeur français Christian Karembeu de 1998 à 2011. Elle épousera ensuite Aram Ohanian, un homme d’affaires d’origine arménienne.

Dès 2000, elle devient ambassadrice pour la Croix-Rouge.

Elle tourne Trois petites filles, avec Gérard Jugnot, en 2004; puis la comédie Adriana et moi, en 2007. L’année suivante, elle figure au casting d’Astérix aux jeux Olympiques. Elle apparaît aussi dans des épisodes de RIS police scientifique, Plus belle la vie et Nos chers voisins notamment.

De 2012 à 2023, elle anime sur France 2 Les pouvoirs extraordinaires du corps humain, ainsi que d’autres émissions de divertissement.

Le 17 août 2018, elle accouche d’une petite Nina, un tournant.

En 2024, elle signe une autobiographie, Libre. Elle en avait déjà écrit une en 2014, Je viens d’un pays qui n’existe plus.

Libre, par Adriana Karembeu, éditions Leduc, 217 pages.

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