Retour sur les Fashion Weeks printemps-été 2024, pour «tomber amoureux de la mode, encore»
Dans les capitales-phares de la mode, le printemps-été 24 a défilé. Les maisons de luxe et les jeunes créateurs n’y ont pas tenu le même discours. Les premières, prudentes, ont mis « le vêtement qui parle de lui-même » au premier plan tandis que les seconds revendiquent la créativité, pour mieux se différencier. Et si le buzz viral vient amplifier le propos, c’est encore mieux.
Elle a eu envie de parler de vêtements parce qu’elle en avait « marre des concepts ». En cheffe de file de la mode, Miuccia Prada, 74 ans, peut tout se permettre. Et Raf Simons, avec qui elle travaille main dans la main depuis février 2020, peut lui aussi simplement ajouter que « la collection parle d’elle-même ». Mais ce duo-là, basé à Milan, n’est pas le seul à dire tout haut ce que beaucoup pensent tout bas.
Parler du vêtement
A Paris, Anthony Vaccarello tient à peu près le même discours – « j’avais envie de nettoyer la silhouette, simplifier, penser une garde-robe de jour ». Idem chez Balenciaga. Demna y donne le ton avec une bande-son où Isabelle Huppert, énervée crescendo, lit La veste de tailleur homme, le guide de montage traditionnel. Et aussi chez Courrèges, où Nicolas Di Felice trouve qu’on parle de tout dans la mode et qu’on oublie parfois de parler du vêtement. Ou encore chez Peter Do, qui en guise de note d’intention de son premier show dans la Ville lumière, annonce en anglais dans le texte : « This season, we want our work to speak for itself.”
Malgré la volonté affichée de se concentrer sur l’essentiel, on n’a pourtant jamais aussi peu parlé de vêtement. Car ce qui agite Milan ou Paris, c’est Paris Hilton en front row ou Claudia Schiffer qui clôt le défilé Versace en fourreau maison inspiré de la collection couture printemps-été 95 (les archives ont du bon) ou Kim Kardashian qui n’assiste pas au défilé Balenciaga pour la simple et bonne raison qu’elle y foule le catwalk, Look 61, en 3D molded wet dress. Tandis qu’au dehors, une foule très jeune patiente à l’entrée des méga-shows des maisons de luxe pour tenter d’apercevoir les stars de la K-Pop, Jisoo en tête.
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Le parti pris de l’efficacité
Comment dès lors se faire entendre ? Comment contrer l’effet backslash de l’excès de micro-événements destinés à accéder à ce fameux quart d’heure de célébrité dont nous parlait il y si longtemps déjà Andy Warhol ? Se concentrer encore une fois sur l’essentiel : le vêtement qui, descendu des catwalks, doit séduire immédiatement les clients et finir dans la rue, et partout. Le pragmatisme est de mise, l’efficacité, un parti pris et le silent luxury, un choix délibéré – merci Gwyneth Paltrow et ses silhouettes « calmement luxueuses » arborées lors de son procès au début de cette étrange année 2023.
Pour être « efficace », chacun y va de son credo. Y ajoutant parfois une touche de romantisme dans l’intention, tel Sabato de Sarno, le nouveau directeur de la création de Gucci, dont le défilé était l’un des plus attendus de la capitale lombarde. Le discret créateur napolitain, ex de Prada et Dolce&Gabbana, revendique ainsi la possibilité de « tomber amoureux de la mode, encore ». Soit « Ancora » en italien, placardé comme un mantra dans toute la ville et sur le compte Instagram au 52, 4 millions de followers mais aux 41 publications seulement. Toutes les autres, qui dataient d’Alessandro Michele, l’homme du maximalisme et du succès fulgurant de la marque de 2015 à 2022, ont été tout bonnement supprimées.
Les communicants vous expliqueront qu’un nouveau chapitre créatif exige une page blanche. Dont acte, avec des silhouettes qu’on a envie de s’approprier là tout de suite, mais qui n’ont pas la puissance de l’imaginaire de son prédécesseur. Sabato de Sarno avait prévenu, il voulait passer plus de temps sur le design des collections, moins sur le storytelling et le packaging. Ce n’est plus l’heure du baroque flamboyant, ni de la radicalité. Un vêtement bien pensé, bien coupé, bien porté, ce n’est pas de l’ordre du déraisonnable.
C’est ce que pense Maria Grazia Chiuri depuis le début, chez Dior. Et pour doper ses collections à haute valeur commerciale (ce n’est pas une insulte), elle les emballe dans des décors à teneur féministe et hautement instragrammable. Dans une tente, dans le jardin des Tuileries, un mur d’écrans donne à voir l’installation vidéo de l’artiste italienne Elena Bellantoni, avec pubs vintage sexistes et slogans rageurs qui disent le contraire : « I’m not your doll, I’m not your game, call me by my name » (Je ne suis pas ta poupée, je ne suis pas ton jeu, appelle moi par mon nom) ou « My body is not a product, it’s not a bargaining chip » (Mon corps n’est pas un produit ni une monnaie d’échange).
Mais la raison n’empêche pas la joie. Rick Owens, plus secte que jamais, fait cracher les fumigènes roses et jaunes sur l’esplanade du Palais de Tokyo, laisse Diana Ross répéter en boucle, sans jamais reprendre son souffle, In love, I still believe et confie dans sa note d’intention : « J’ai assisté à un concert de Björk au début du mois, et son énergie intelligente et positive m’a fait honte de mon propre pessimisme d’adolescent morose (…) Considérant la joie comme une obligation morale, je propose une élégance austère, principalement en noir « queen » et en gris doux, mais aussi des moments où l’on peut se sentir à l’aise en rose tendre et rouge exultant. » En somme, les couleurs de l’été, retenez donc la palette.
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Quiet luxury versus maximalisme
A l’opposé de ce quiet luxury efficace, les jeunes designers émergents s’offrent le luxe du maximalisme, piaffent d’impatience, voudraient eux aussi avoir leur part du gâteau et choisissent la créativité comme signe distinctif.
Ainsi Kevin Germanier qui a créé sa marque à son seul nom en 2018 et rhabillé Lady Gaga, Björk ou Taylor Swift. Le jeune Suisse (31 ans) s’est lancé dans une ode aux Venimeuses et repousse les limites de la mode durable en utilisant des matériaux non conventionnels, en upcyclant les matières et en embellissant le tout de broderies, de perles, de paillettes, de cristaux Swarovski en parfait adepte de la démesure pour vu qu’elle soit éthique, éco-responsable et queer.
Ainsi Zomer, duo formé par le designer Danial Aitouganov et le styliste Imruh Asha, aux racines hollandaises comme son nom l’indique mais basé à Paris. Avec une première collection foisonnante, aux couleurs « kaleïdoscopiques », aux imprimés floraux, aux silhouette volontiers expérimentales, tout en cherchant « la balance entre l’espièglerie enfantine et la sophistication ». Sans oublier l’humour, que l’on retrouve dans leur campagne « It’s Just Kids » où l’on comprend que même les grandes stars de la mode – de Anna Wintour à Rey Kawakubo – furent des enfants.
Ainsi Marie Adam-Leenaerdt (27 ans) qui a l’honneur d’ouvrir la Fashion Week parisienne. La jeune Bruxelloise y défile pour la deuxième fois, après avoir étudié à La Cambre mode(s), fait ses premiers pas chez Givenchy et Balenciaga puis de se jeter à l’eau, même pas peur. Une collection dans la parfaite continuité de la précédente, elles s’additionnent ainsi intelligemment. Le point de départ ? Une cabine de plage portable aux rayures estivales qui se mue en robe, presque telle quelle, dans ce même tissu référentiel – une signature conceptuelle pour mieux s’inscrire dans le temps et la singularité. « Créer la surprise », dit-elle. Pari tenu, la mode aime les surprises.
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Les Belges
Sans les Belges, les Fashion Weeks milanaises et parisiennes ne seraient pas tout à fait les mêmes. Il leur manquerait un supplément d’âme. La preuve avec Glenn Martens et Dries Van Noten. Le premier, qui œuvre pour Diesel et Y/Project, y a trouvé un double terrain de jeu propice à l’exploration textile et formelle. On applaudit ses variations autour du denim qu’il ne cesse de triturer, effranger, élimer. On le remercie de démocratiser la mode en organisant un défilé-rave siglé Diesel où étaient conviées 7 000 personnes, dont 1 000 pro et le reste offerts au public et aux étudiants en mode. Et on comprend pourquoi son influence se lit autant sur les podiums que dans la rue.
Quant au second, il est toujours cet impeccable marieur d’étoffes et de genres. On lui sait gré de ne pas avoir attendu a fluidité nouvellement revendiquée pour faire du masculin-féminin. Dries voulait des vêtements que l’on puisse « porter tous les jours et mettre dans la machine à laver ». Voilà pourquoi les sequins, les plumes et autres petites choses fragiles, il les a fait migrer sur les chaussures, dans les cheveux ou au coin des paupières. L’élégance ne sera pas sacrifiée à l’efficacité.
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Le short
On n’y coupera pas, le short est la valeur sûre de l’été. De New-York à Paris, en passant par Londres et Milan, la version 2024 de la culotte courte se décline en très très short. Et en cuir Hermès de préférence.
In & out
Dans la catégorie des designers partants, Gabriela Hearst quitte Chloé après 3 ans avec un défilé qui dit son amour des fleurs, symboles «d’épanouissement et de conscience», et qui se termine en une apothéose joyeuse avec l’école brésilienne de samba Mangueira.
Chez Tod’s le créateur Walter Chiapponi offre sa meilleure collection très inspirée d’un minimalisme cher à Helmut Lang. Et chez Alexander McQueen, Sarah Burton, après 26 ans de maison, dont 13 au poste de directrice artistique, s’en va avec panache, visiblement très émue en rendant ce dernier hommage mcqueenesque. Sean McGirr, 35 ans, formé chez J.W. Anderson, est désormais chargé de donner un nouvel élan à cette maison qui se doit d’être légèrement sulfureuse pour rester fidèle à l’aura de son fondateur.
Dans la catégorie des autres nouveaux arrivés, on applaudit le travail de Louise Trotter chez Carven, un vrai vestiaire précis, raffiné, une vraie allure contemporaine. Tandis que chez Ann Demeulemeester, Stefano Gallici, qui y bossait déjà depuis 2020, signe un galop d’essai d’où la poésie est singulièrement absente, dommage.
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