Une note d’espoir dans une année pourrie: la mode poursuit sa mue, moins mais mieux
Essorée par la pandémie, la mode poursuit sa mue. Les (jeunes) créateurs, les maisons de luxe et même la fast fashion tentent d’innover en s’inscrivant chacun à sa manière dans le changement. Décroître, dit-elle.
La mode a toujours aimé les disruptions, telle est son essence. Mais elles prennent du temps, parfois, car il est malaisé de faire muer une industrie qui emploie un milliard de personnes, soit un sixième de la population mondiale, et qui a le déshonneur d’être l’un des secteurs les plus polluants et l’un des moins éthiques – le réchauffement climatique est là pour le rappeler, de même les ouvrières et les ouvriers du textile qui savent ce qu’être esclave veut dire.
Depuis l’effondrement du Rana Plaza au Bangladesh en avril 2013 – et ses milliers de morts et de blessés oeuvrant dans ces ateliers surpeuplés – elle sait qu’elle ne peut plus faire l’impasse sur le respect des êtres humains et vivants, la durabilité, la décroissance. Alors la slow fashion, la seconde main, le zéro déchet, l’anti-gaspi et le köpskam, ou « la honte de faire des achats », en suédois, ont essaimé, avec plus ou moins de vitalité.
Ce n’est pas une ru0026#xE9;volution mais une accu0026#xE9;lu0026#xE9;ration des transformations en cours
Mais il a fallu ce dernier marathon des Fashion Weeks de New York, Londres, Milan et Paris, début 2020, puis le confinement sidérant, pour accélérer brutalement la remise en question qui en taraudait plus d’un. « Ce n’est pas une révolution mais une accélération des transformations en cours, car les germes étaient présents, analyse Serge Carreira, maître de conférences à Sciences Po, Paris. Nous ne sommes pas dans un concept de décroissance stricto sensu, mais dans une démarche de construction de valeurs : « Moins mais mieux ». Et le mouvement sera plutôt favorable à ceux qui privilégient la qualité et la responsabilité à l’immédiateté et au déchet. »
> Quand les jeunes veulent changer le monde, et la mode
La fuite en avant n’étant tout bonnement plus possible, on a donc vu se fédérer, tous âges et toutes renommées confondus, des acteurs de la mode qui ont plutôt l’habitude du chacun pour soi. En mai, sous la houlette de Dries Van Noten, créateur belge enraciné à Anvers, plus de huit cents d’entre eux ont signé une lettre ouverte – une première. Leur volonté ? « Réaligner les sorties des collections avec les saisons du monde réel et repousser les soldes. » Soit vendre des manteaux en hiver et des bikinis en été, pour faire court, et supprimer les jours de démarques comme le Black Friday et le Cyber Monday, qui « aident à générer du trafic et des ventes, mais mettent à mal la rentabilité et l’équité des marques et revendeurs ».
Egalement soucieux d’une planète ravagée, ils s’engagent à une fabrication plus respectueuse de l’environnement, à réduire les chutes de tissus, les voyages dispendieux et les shows barnumesques en une tentative de rendre cette industrie « plus durable écologiquement et socialement ». Avec, chevillé au corps, le désir de « ramener la magie et la créativité qui ont fait de la mode une partie si importante de notre monde ».
Nouveaux territoires
En juillet, lors de la Semaine des défilés haute couture et en septembre, lors des Fashion Weeks, ils furent bien forcés de faire appel à la magie et à la créativité. Car comment organiser un show avec trois mille invités collés-serrés en ces temps étranges dominés par un virus nouveau ? La réponse a pris la forme et les contours du digital, voire du phygital, contraction très 2020 qui accouple ainsi le présentiel et le virtuel. « Mais la Fashion Week parisienne était déjà digitale, rappelle Serge Carreira. Les maisons, grandes, moyennes et petites, utilisaient déjà énormément les réseaux sociaux pour promouvoir leur marque, leur prise de parole. Certes, l’ambiance n’était pas à la joie et à la légèreté mais les événements ne se sont pas tenus dans une pesanteur grave. Il y avait du sérieux et un respect scrupuleux des normes avec une bienveillance et une véritable attention aux choses. La plupart des créateurs ont partagé leur message, leurs inspirations et leur univers dans des formats vidéo qui leur ont permis de trouver de nouveaux territoires d’expression. » La narration singulière, l’imagination féconde et l’inventive création, chargées de sens et de valeurs, sont plus que jamais vitales. Et quand il s’agira à nouveau d’arpenter le monde, n’oublions pas, de grâce, qu’il serait plus élégant de ne pas le faire dans ce survêtement informe qui nous servit d’uniforme confiné.
Le défi: dépasser le discours des bonnes intentions
Le challenge ? Faire que ces déclarations de tout un secteur ne soient pas seulement un discours politiquement correct et marketing, que l’industrie de la mode, tous acteurs confondus, respecte la planète et ceux qui y vivent, bannisse les vêtements et accessoires Kleenex, modifie en profondeur ses rythmes et ses valeurs, en tâchant de préserver les emplois et la filière et en n’oubliant pas d’honorer la créativité, la qualité et les savoir-faire. On sait que les volumes produits à l’échelle mondiale ont doublé depuis 2010 et que si l’on augmentait la durée d’utilisation du textile de 50 %, on éviterait d’émettre 64 millions de tonnes de CO2 par an. Il s’agit donc désormais de faire, de créer « moins mais mieux ». Et de consommer idem.
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