Quand les jeunes veulent changer le monde, et la mode

Vivienne Westwood et Malcom McLaren, impresario des Sex Pistols © HICHAM RIAD - STYLISME: CHRISTINE VAN LAER

Les jeunes ont toujours été à l’avant-garde de la contestation. Quand ils montent sur les barricades, c’est pour changer le monde. Et la mode aussi.

Qu’advient-il quand on a 24 ans, qu’on n’en pleut plus des diktats de l’élégance bourgeoise et que l’on est aux manettes d’une très respectable maison de haute couture parisienne qui entame l’année 1960? On dessine un blouson en cuir, hommage à peine caché à l’Equipée sauvage et à Marlon Brando, certes, il est en crocodile, mais le message est limpide. La collection s’appelle « Souplesse, légèreté, vie », on la doit à Yves Saint Laurent. Soudain, la rue a osé prendre d’assaut les salons feutrés où seul le bon goût avait droit de cité. C’est la première fois. Et cela se passe mal, fin de l’histoire Dior pour Saint Laurent, qui persistera, sous son nom, avec un smoking désormais icône, alors que la loi interdisait encore le port du pantalon aux femmes.

La révolution est en marche, l’explosion vestimentaire, étayée par une jeunesse qui façonne ses propres sous-cultures, lieu parfois éructant de confrontation entre l’avant- et la vieille garde. A Londres, avec une longueur d’avance, les Chelsea girls, les homosexuels, les hippies du flower power et les punks font entendre leur voix, provoquant quelques séismes dans la mode. Le mouvement du No Future porté par le prolétariat britannique, sur fond de crise économique, swinguant sur un courant musical radical, se pare de tee-shirts lacérés, de Dr. Martens, de teinture verte dans des coupes de cheveux aléatoires et d’épingles à nourrice, symboles du néant. Sur Kings Road, Malcolm McLaren et Vivienne Westwood ouvrent une boutique consacrée d’abord à la fripe des années 50, temple fourmillant de l’anti-conservatisme et de l’anti-establishment en terre anglaise. Bientôt, ils se vouent aux accessoires fétichistes, aux vêtements en latex noir et aux colliers de chiens qui disent le refus d’une société si mal fagotée. Ils la baptisent « Sex » puis « World’s End ».

Depuis, Lady Westwood a été anoblie, s’apprête à fêter ses 50 ans de mode et n’a toujours pas dit son dernier mot puisque, aujourd’hui, elle hurle à sa façon « Save The World » et, plus pugnace que jamais, entend repenser la planète fashion et l’autre aussi.

Un manifeste sur la peau

Et Vivienne Westwood n’a évidemment rien d’un loup solitaire, d’autres se sont emparé des vêtements comme support idéal à la déclaration universelle de leurs idéaux. Katharine Hamnett, sa consoeur aussi politique qu’elle, passe pour être l’inventrice du tee-shirt à slogan, de « Stop Acid Rain » à « Choose life » affiché par le groupe Wham!. Elle est pour l’éternité la reine du manifeste porté sur la peau. En 1984, quand elle rencontre Margaret Thatcher alors Première ministre, elle affiche crânement ses convictions, et celles des opposants aux armes balistiques: « 58% don’t want Pershing ».

Désormais Commandeur de l’ordre de l’Empire britannique, elle milite tant et plus. Rappelle que « l’industrie de l’habillement emploie un milliard de personnes, soit un sixième de la population mondiale », que « c’est l’un des secteurs les plus polluants: il accentue le phénomène de réchauffement climatique » et « qu’un peu partout dans le monde, des ouvriers de l’industrie textile continuent à travailler dans des conditions proches de l’esclavage ». Et joignant le geste à la parole, elle s’engage à « changer les modes de production, confectionner des vêtements respectueux de l’éthique et de l’environnement, faire perdurer les compétences traditionnelles et montrer la voie pour y parvenir ». Et dans la foulée, elle crée un nouveau tee-shirt slogan « Don’t shoot » qui a tout du soutien au mouvement Black Lives Matter.

Elle a beau avoir 73 ans, sa rébellion incandescente est la même que celle d’une génération qui dit non. Car les ados – pré et/ou post – ont le mérite de tenter de faire bouger les lignes. S’ils aiment le vintage et la seconde main, ce n’est pas seulement parce que c’est cool. Ni parce que leur budget ne leur permet pas autre chose. Et si les créateurs nés dans les années 80 piochent allègrement dans le vestiaire des années 90, c’est surtout parce que pour eux, c’est référentiel, avec relents de madeleine de Proust. Que les grandes maisons sagement établies ou les mastodontes de la fast fashion, avec parfois un certain cynisme, s’emparent de cette tectonique des plaques n’est guère étonnant, pas même scandaleux. Tant sont poreuses les frontières entre la mode et la rue – surtout quand elle s’enflamme.

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