La seconde naissance d’Hanne Gaby Odiele, top belge intersexe

Hanne Gaby Odiele Termote © Alexander Popelier
Elke Lahousse
Elke Lahousse Journaliste

Le 23 janvier dernier, la top belge brisait le silence et révélait son intersexualité, devenant de facto porte-parole de tous ceux qui sont nés avec des organes féminins et masculins. Entretien sans tabous et retour sur une année cruciale.

À 18 ans, Hanne Gaby Odiele Termote était repérée par une agence lors d’un festival, devenant très vite une incon- tournable des couvertures de magazines, des campagnes de pub et des défilés les plus prestigieux, de Chanel à Marc Jacobs. Une ascension fulgurante qui coïncide, pour elle, avec la découverte d’un secret qu’elle ne révélera qu’en janvier dernier, dans les colonnes du quotidien USA Today : la top belge est intersexuée, ce qui signifie qu’elle a une apparence féminine mais possède, en lieu et place des ovaires et de l’utérus, des testicules non descendus et des chromosomes XY. Le diagnostic officiel porte le nom de  » differences of sex development « , un terme pour qualifier les enfants nés avec d’autres chromosomes, glandes sexuelles ou organes génitaux que ceux qui sont typiquement féminins ou masculins.

Aujourd’hui encore, la trentenaire reste impressionnée par la vague de réactions qui a suivi sa révélation, témoignages de nombreux parents concernés mais aussi de personnes qui, intriguées par son histoire, ont fouillé dans la leur et mis au jour la vérité.  » Je n’imaginais pas un tel impact, avoue Hanne Gaby lorsque nous la rencontrons dans un bar branché de Paris. Je l’ai d’abord fait pour moi : ça devait sortir. Je vois ce coming out un peu comme une seconde naissance. La petite fille de Kooigem est enfin libre.  »

On peut dire que 2017 a été pour vous une année déterminante…

Le 23 janvier dernier a été, jusqu’à présent, le jour le plus important de ma vie. Pendant très longtemps, je n’ai pas pu parler ouvertement de moi. Je n’avais que deux semaines lorsqu’un test sanguin a montré que je possédais des chromosomes XY et que j’étais donc génétiquement un garçon. Mais les docteurs me l’ont caché jusqu’à mes 17 ans, prétendant que j’avais un problème urinaire ! Aujourd’hui, nous vivons à une époque où l’on réclame plus de transparence, où oser montrer sa vulnérabilité et briser les tabous n’est plus rare. Je ne pouvais plus garder le silence.

Quand avez-vous décidé qu’il était temps de parler ?

L’idée germait depuis mes 17 ans. A l’époque, j’avais lu un article dans le magazine néerlandais Fancy sur une femme sans utérus qui ne pouvait pas avoir d’enfant. Comme elle, j’avais dû, moi aussi, subir plusieurs opérations et apprendre, ado, que je n’aurais jamais mes règles. Je me reconnaissais dans ce témoignage, et ai donc interrogé mon médecin qui m’a froidement répondu :  » Oui, c’est ton cas aussi, comme ça tu le sais maintenant.  » Quelques semaines plus tard, j’ai signé un contrat en tant que mannequin. C’était la meilleure chose qui puisse m’arriver : on me proposait d’exercer l’un des métiers les plus féminins au monde… J’ai décidé que si ma carrière décollait, je partagerais un jour mon histoire.

Vous êtes désormais une activiste intersexuée. Etiez-vous préparée à ce rôle ?

J’ai été coachée par interACT, une organisation américaine qui prend en charge les jeunes comme moi. J’ai étudié mon dossier médical et la terminologie : une personne intersexuée n’est par exemple pas un transgenre qui, lui, naît homme ou femme mais ne se sent pas en phase avec son corps. J’ai aussi reçu une formation aux médias de Creager Cole Communications, expert dans la présentation des parcours liés à la communauté LGBTQI.

Comment vous sentiez-vous la veille du 23 janvier ?

J’avais choisi de donner la primeur à un quotidien plutôt qu’à un magazine de mode parce que je souhaitais toucher un maximum de monde. Je savais que mon interview serait en ligne à 4 heures du matin et je n’ai pas fermé l’oeil de la nuit. Il est très difficile pour moi de décrire ce que j’ai ressenti. Je pouvais enfin être honnête par rapport à moi-même. Ensuite, j’ai multiplié les interviews. C’était à la fois fatiguant et incroyable. J’avais enfin une voix en tant que modèle.

En juin dernier, vous avez pris la parole aux Nations Unies…

Je voulais parler de ces opérations inutiles que l’on fait subir aux enfants intersexués. J’étais très stressée parce que je me retrouvais propulsée dans un autre univers que celui des catwalks. Mais je suis heureuse d’avoir pu témoigner devant des personnes qui sont en mesure de faire bouger les choses. Actuellement, Malte est l’unique pays à interdire ce type d’opérations sur des bébés. Mais nombre de personnes ont compris les raisons de mon combat. En Belgique aussi, j’aimerais qu’une loi passe.

Votre plus grande frustration réside dans le fait que les médecins décident au nom de l’enfant intersexué…

Leur argument, c’est de lui permettre d’avoir des relations sexuelles  » normales  » plus tard. Mais si votre santé n’est pas en danger, pourquoi faudrait-il opérer ?  » Parce qu’on ne voudra jamais de vous « , m’a répondu à l’époque mon docteur. Comme s’il fallait avoir un corps parfait pour être accepté. L’amour se limite donc à la pénétration ? Je ne comprends pas pourquoi notre société voit d’un mauvais oeil ceux qui sont sexuellement différents. Selon une étude des Nations Unies, 1,7 % de la population mondiale est intersexuée. C’est autant que le nombre de roux. Plus les gens sauront ce qu’est l’intersexualité, plus la vie des personnes comme moi sera facilitée.

A quel point le soutien de votre mari (NDLR : John Swiatek, DJ, top et directeur des ventes pour le label de mode Acne) est-il important ?

Il n’a jamais considéré mon corps comme un problème. Le jour où j’ai dû lui avouer mon secret, il a bien réagi. Quand je lui ai dit que je ne pourrais jamais être enceinte, il m’a répondu :  » Je suis un enfant adopté et j’ai de bonnes relations avec mes parents adoptifs et biologiques. Plus tard, j’aimerais aussi adopter.  » Je souhaite à toutes les personnes comme moi de trouver un jour un partenaire qui les aime comme elles sont.

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