Mamadou de Roubaix, qui remit d’équerre nombre de Belges et la tante du roi Baudouin, figure romanesque à l’honneur

Vitrail représentant Mamadou de Roubaix, exposé dans la collection permanente de La Piscine à Roubaix © AFP

Au milieu des collections référencées du musée de La Piscine de Roubaix qui rouvre samedi après agrandissement, un vitrail somme toute modeste intrigue: il rend hommage à « Mamadou », véritable personnage de roman dont l’histoire épouse à sa façon celle du siècle passé.

Cette pièce multicolore de 60 cm de hauteur campe un homme noir en costume, regard fixant le lointain, un baobab fleuri, un drapeau du Sénégal et un lion qui rugit. « Au cher Mamadou qui m’a sauvé la vie. Témoignage reconnaissant. « La Marquise » », lit-on aussi en dédicace.

L’oeuvre a immédiatement interpellé Germain Hirselj, administrateur de l’association des amis de La Piscine, lorsqu’il l’a dénichée fin 2017 dans un dépôt-vente près de Lille: « j’étais avec mon père, qui a tout de suite reconnu qu’il s’agissait du Mamadou de Roubaix et s’en est porté acquéreur le lendemain ».

Mamadou N’Diaye était en effet connu de tout Roubaix. Et la redécouverte du vitrail a réveillé son histoire.

Né en 1909 dans un village du Sénégal, il s’embarque à 12 ans dans la marine française, jusqu’en 1931 où il rallie Lille, puis Roubaix, peut-être influencé par un « père blanc » missionnaire de Tourcoing.

Dans la capitale laborieuse du textile français, il vit de petits métiers, puis se bâtit une réputation à la force de ses poings, comme boxeur, affublé rapidement d’un surnom: « La panthère noire ». Dans le Nord occupé, Mamadou s’engage aussi dans la Résistance.

Mais c’est surtout à son don de chiropracteur qu’il doit sa renommée. En 1951, il s’installe dans le vibrionnant quartier du Pile. Il y redresse à la chaîne les corps cabossés, des ouvriers du textile comme de la haute société. Au total, des milliers de patients -dont le père de Germain Hirselj- passeront entre ses mains. Certains produiront des attestations favorables lorsque l’ordre des médecins le poursuivra pour exercice illégal de la médecine.

La tante du roi Baudouin

Sept procès lui sont intentés de 1956 à 1972, a décompté l’ancien huissier Jacques Geesen, auteur de « Mamadou, le guérisseur de Roubaix » (Les Lumières de Lille). Heureusement pour lui, il eut pour avocat André Diligent. La fibre sociale, celui qui deviendra maire de Roubaix fera mouche: « Mamadou a cru qu’il était de son devoir de guérir. Et guérir, est-ce discréditer la médecine ? »

Sa notoriété fut telle qu’on organisa des messes. « L’église était archi-pleine », se souvient Agnès Vigin, 81 ans. C’est elle qui, à la mort de Mamadou en 1985, acquiert le fameux vitrail dans une vente aux enchères. Il avait rétabli par deux fois son mari, d’un vilain tour de rein puis d’une entorse à la cheville, « après quoi il s’est tenu droit comme un cardon toute sa vie ! »

De cette époque, Achiel De Vuyst garde également une mémoire très fraîche. Sans réponse face à la douleur de son fils depuis sa naissance, cet ex-instituteur de Gand le conduit finalement chez Mamadou un jour de 1972. Petit miracle: Mamadou débloque partiellement sa 5e lombaire et le petit garçon ne pleure plus. En remerciement, Achiel se met au service de Mamadou, notamment comme traducteur. « Car chaque mercredi, un bus de patients partait des environs de Gand pour Roubaix. Devant son cabinet, il y avait foule de voitures venant de Belgique », garées à côté de sa limousine américaine rose bonbon…

C’est cet homme-là qui connaît aujourd’hui les honneurs posthumes de La Piscine. Son conservateur Bruno Gaudichon a rapidement saisi l’intérêt du vitrail: ce « personnage romanesque » illustrera ainsi « l’immigration dans cette ville ».

La municipalité elle-même est « persuadée » qu’elle « tient-là un sujet qu’on va travailler pendant des années », affirme Frédéric Minard, adjoint à la Culture, avec notamment en 2019 une thématique sur « l’histoire du monde ». Et d’imaginer au passage une reproduction « street art » du fameux vitrail. Dont Achiel de Vuyst avait déjà percé le mystère: la « marquise » commanditaire n’était autre que la tante par alliance du roi des Belges Baudouin, remise d’équerre par Mamadou…

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