On a rencontré le dessinateur d’intimité Simon Frankart alias Petites Luxures

De son trait fin, sensuel mais jamais vulgaire, ce «dessinateur d’intimité» fait souffler un vent de liberté sur le monde de l’illustration. Suivi par plus d’1,2 million de personnes sur Instagram, il illustre Cult.tivez Vous, une encyclopédie de l’intime écrite par Edwige Fleury et publiée aux éditions Albin Michel.
Une question de respect
Ma devise est «l’intime plutôt que l’érotisme». Je m’interdis tout ce qui est un peu cru en essayant de jouer sur les mots. Je préfère prendre des métaphores et des chemins détournés pour parler de choses explicites afin d’éviter que cela ne devienne grivois ou vulgaire. Le corps n’est pas toujours sexué: il devient un objet de fantasmes selon les situations. Ce n’est pas la nudité qui fait l’érotisme, mais la mise en scène. Et il est important de ne pas érotiser tous les corps, sinon on finit avec des pervers qui se frottent aux autres. Dans l’art, c’est une question de regard, et dans la vraie vie, de respect et de connaissance des autres.
Trouver l’équilibre
Le succès s’accompagne aussi de contraintes. J’ai lancé le projet Petites Luxures il y a dix ans, et ça fait cinq ans que j’en vis complètement. Cette longévité est réjouissante, mais complexe, car pour ne pas lasser les gens, il faut continuer à leur proposer des nouveautés. Et en même temps, c’est difficile pour moi de me renouveler sans perdre mon public. C’est un exercice périlleux qui est propre à toutes les professions artistiques, et qui est plus compliqué quand on a bâti sa carrière sur un projet personnel. Quand on finit par en vivre, on doit se demander si un dessin sera payant ou non, et plus juste écouter ses envies. Alors que ce que les gens cherchent dans l’art, c’est la sincérité. Si ça se voit que ça a été fait de manière commerciale et calculée, ça ne fonctionnera pas.
Oser réinventer son couple
Pour durer, un couple doit pouvoir se renouveler. Je connais ma compagne depuis plus de vingt ans, ça fait dix-neuf ans qu’on est mariés. Ce n’est pas la même énergie qu’aux débuts, mais ça n’empêche pas de s’amuser quoi qu’il arrive. J’ai la chance de partager ma vie avec une femme un peu fofolle. On ne s’ennuie jamais. Il faut pouvoir réussir à construire ensemble quelque chose d’assez fort pour résister aux aléas de la vie, et oser réinventer son couple en permanence. Il y a parfois des caps difficiles à passer, mais il faut s’accrocher, et l’équilibre entre bons et mauvais moments se lisse sur la durée.
Vous pouvez modifier vos choix à tout moment en cliquant sur « Paramètres des cookies » en bas du site.
La subtilité avant tout
Les femmes ont un regard que j’admire sur la sexualité. Les premières années de Petites Luxures, j’ai volontairement cultivé l’anonymat afin que les gens puissent se projeter dans mes dessins. Personne ne savait qui j’étais, et quand j’ai dû dévoiler mon identité parce que pas mal de gens se faisaient passer pour moi, j’ai entendu beaucoup de variations autour de «on croyait que tu étais une femme». Qu’on me dise que je porte un regard féminin sur le corps des femmes, pour moi, c’est le plus beau compliment. Je trouve qu’elles ont une manière moins conquérante et plus subtile d’aborder le corps et la sexualité, avec plus de bienveillance.
‘Les femmes ont une manière beaucoup plus subtile d’aborder le corps et la sexualité.’
L’impact de l’intelligence artificielle
Mise dans les mauvaises mains, l’IA n’est pas un outil mais une entrave. J’adore les évolutions technologiques, elles apportent une nouvelle créativité à l’art. Mais ce n’est pas le cas de l’IA, qui se substitue au cerveau et retire le cœur même de la création. Niveau économique, c’est la mort de tout un secteur, et si cette technologie a plein de côtés intéressants, elle pille surtout ce que l’humain a créé. On ne paie plus de créateurs parce qu’elle est moins chère. D’ici quelques années, elle ne fera plus que s’autodigérer parce qu’elle n’aura plus de contenus humains à piller. En tant que créateur, je trouve que cette technologie a certains mérites, mais en tant qu’artiste, je pense qu’elle signe la mort de la création.
Belgophile
La Belgique a ce qui manque à la France. En France, il y a une tension sociale à tous les niveaux. C’est triste, parce que ça crée une forme de méfiance envers les personnes qu’on ne connaît pas. En Belgique, je retrouve la chaleur sociale qui me plaît tant en Italie: c’est plus facile de se faire des amis, tout le monde se sourit. J’ai du mal à être optimiste au sujet de la France en ce moment, et ce que je voudrais y trouver, c’est en Belgique ou en Italie que je le trouve.
Le paradoxe du succès
Les artistes qui ont la plus grande longévité sont avant tout des entrepreneurs. C’est antinomique, et on peut le regretter, mais c’est comme ça. Il suffit de regarder Jeff Koons: on ne réussit pas à enchaîner trente ans de carrière en se concentrant uniquement sur la création. C’est compliqué de donner une valeur à son travail. Heureusement, les galeries sont là pour ça, parce que si on veut pouvoir continuer à créer, il faut aussi pouvoir vivre de son art. Pour les artistes, le succès professionnel est toujours une forme de paradoxe.
Cul.tivez-vous, par Simon Frankart et Edwige Fleury, Albin Michel.
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici