Peut-on courir sans autre objectif que prendre du plaisir? Ode aux vertus de bouger sans but
Notre journaliste Lotte Philipsen est peut-être la seule Millenial citadine belge à ne pas s’entraîner pour un marathon. Comment résiste-t-elle à la pression sociale? « J’ai compris le secret: c’est okay de courir de manière vraiment bof. Sus au perfectionnisme, et vive le jogging sans but, sans discipline et sans statistiques ».
Dimanche soir, 20h15. Chaussures de course enfilées, clés et téléphone portable en main et c’est parti. Pas pour m’entraîner pour les 20 kilomètres de Bruxelles, pas pour me muscler et même pas non plus pour me vanter via Strava. Pire encore? Je n’ai pas la moindre application de suivi sur mon téléphone et je préfère mourir plutôt que d’enfiler une montre qui comptabilise aussi mes performances physiques. Et si tout ceci me semble normal, pour mon entourage, cela va à l’encontre de tout ce qui régit la pratique de la course aujourd’hui.
Par le passé, j’ai bien essayé de suivre des applications d’initiation à la course ou encore de mesurer ma vitesse, mais j’ai depuis complètement abandonné cette pratique. Le seul selfie de course que j’envoie? Un cliché avec de la crotte d’oiseau sur ma tête et ma tenue suite à une séance de jogging au le parc, « quand Sporty Spice rencontre Blanche-Neige ».
La discipline est surfaite
Alors que collègues et amis échangent en masse des conseils sur la façon de courir encore plus loin et plus vite, je reste un peu à l’écart. Mais avant même de s’en rendre compte, on finit toujours bien par se laisser entraîner dans la conversation et par s’attirer des regards bizarres. « Combien de kilomètres cours-tu? » C’est la question qui suit toujours l’aveu qu’il m’arrive aussi d’aller au parc chaussures de course au pied. Réponse : « Aucune idée, très peu ». Viennent alors les mots d’encouragement : « Tiens bon, tu vas arriver à ces cinq kilomètres ». « Quel est ton programme d’entraînement ? Tu devrais peut-être y aller plus souvent ».
Incroyable mais vrai: il ne semble envisageable pour aucun de mes interlocuteurs que je ne m’entraîne pas à courir cinq kilomètres d’affilée. Et pourtant, c’est le cas. Je cours sans discipline, sans objectif physique.
C’est qu’il y a suffisamment de raisons pour courir, même si aucune compétition de course à pied n’est prévue. S’asseoir est le nouveau tabagisme, faire de l’exercice est sain pour le corps et l’esprit, et la course à pied est l’un des sports les plus accessibles. Par conséquent, une personne ayant un travail sédentaire a tout intérêt à bouger et le jogging est idéal pour cela, car il peut être pratiqué pratiquement n’importe où et n’importe quand.
Stop ou encore?
Dans cette course à la performance que l’on appelle la société, le sport est devenu l’une des nombreuses cases à cocher. Courir des marathons vient s’ajouter à la liste des autres sports à la mode qui envahissent les réseaux sociaux. Devenir hyper souple lors d’une retraite de yoga, être couronnée reine du padel, escalader le mur de Geeraardsbergen le dimanche sur sa monture d’acier, poster une photo avant-après de ses abdominaux après quelques mois de Pilates Reformer, et ainsi de suite. Le moindre effort physique semble devoir être récompensé par un corps affûté, une médaille ou à tout le moins des félicitations sur Strava.
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Et la recherche de ces récompenses est soit une source de motivation, soit une source de découragement, au point que certaines personnes finissent par laisser leurs vêtements de sport au placard. Si vous ne pouvez pas exceller, cela vaut-il la peine d’essayer ?
La réponse est simple : oui.
No pain, no gain ? Ce slogan ressemble à un mensonge perpétué par une grande partie de la société : il faut souffrir pour bien faire de l’exercice. Les endorphines se répandent dans votre corps après une séance de sport intense. Vous ne vous serez jamais senti aussi bien. Vous vous sentirez invincible. Et si vous vous entraînez pour une course à pied et que vous atteignez votre objectif, vous serez aux anges. Ou vous le posterez quand même sur Instagram, avec une photo de votre tête en sueur et une médaille autour du cou.
Ça pourrait être bien, mais je me connais et faire du jogging en colonne dans le tunnel Kennedy pendant que de la musique pop à tue-tête retentit : ça ne déclenche pas de joie chez moi, pour citer Marie Kondo, qui en connaît un rayon niveau stimulations superflues à éviter.
Go with the flow
Alors bon, je cours à ma façon. Avec ou sans musique ou podcast dans les oreilles, je me mets en route et je vois ce que la sortie a en stock pour moi. Dès que l’envie de courir se fait sentir, j’y cède. C’est bien. Vous avez déjà tant d’obligations à remplir dans la vie. Pendant mon temps libre, je veux me laisser aller à mes impulsions.
Parfois, cela se passe bien et j’enchaîne les tours, d’autres fois, je regarde plutôt les couleurs de l’automne à la vitesse d’un escargot, mais c’est okay. Grâce à cette approche, je bouge beaucoup plus souvent, car je ne sors pas en tenue de sport uniquement lorsque je suis vraiment parée à enchaîner les kilomètres à toute vitesse.
Longue vie à la pédale de frein!
Il s’avère que cette régularité présente un avantage supplémentaire : elle fait travailler le nerf vague, ce nerf vagabond qui joue un rôle essentiel dans l’apaisement du système nerveux.
Dans un article de nos consoeurs Aylin Koksal et Fien Van Liedekerke sur les effets de l’exercice sur le bien-être mental, Marie-Anne Vanderhasselt, professeur à l’université de Gand, relate une expérience fascinante sur le sport et les idées noires : « On ne s’y attendrait pas, mais chez les poulets qui ne font de l’exercice qu’occasionnellement, beaucoup plus d’idées négatives persistent après la séance de sport », explique-t-elle.
Les poules stressées ont donc tout intérêt à faire de l’exercice régulièrement, et l’explication réside dans notre système intégré d’accélérateur et de frein. Lorsque vous faites de l’exercice, vous activez votre système de stress : vous respirez plus vite, vous commencez à transpirer, votre cœur bat aussi plus vite. En fait, vous appuyez sur l’« accélérateur » proverbial. Une fois l’exercice terminé, vous vous détendez et appuyez sur la « pédale de frein ». C’est à cela que sert le nerf vague : il s’agit d’un long nerf qui parcourt tout le corps et qui relie le cerveau au reste du corps. Les personnes qui font régulièrement de l’exercice ont un nerf vague entraîné et peuvent appuyer sur la pédale de frein plus rapidement que celles qui ne font pas d’exercice aussi souvent.
De l’exercice plutôt que du sport
Le but est donc de m’étirer fréquemment les jambes et de me propulser, que ce soit à un rythme rapide ou non. Tous les avantages, physiques ou mentaux, sont agréables. Il n’est pas nécessaire de les analyser grâce à une app’.
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Il peut également être utile de parler d’exercice plutôt que de sport. Bien sûr, on peut considérer la course à pied comme un sport, mais c’est une astuce qui permet de se sentir moins dégoûté. Un peu comme un enfant qui joue (dehors) uniquement pour s’amuser. En ce qui me concerne, ne sais pas ce que pensent les jeunes enfants lorsqu’ils jouent à voyager autour du monde, mais j’espère que cela n’a rien à voir avec l’optimisation de leurs muscles ou l’obtention des meilleurs scores.
Courir sans objectif, mais avec plaisir
En général, je cours toujours au même endroit, un coin de verdure dans une région autrement urbanisée, mais cette approche fonctionne aussi parfaitement en déplacement. En vacances, ou même dans votre propre ville, c’est le moyen idéal de découvrir un peu plus de la région sans passer par la case vélo, tram ou bus.
Dans une liste d’itinéraires de course à pied, j’ai lu qu’un sentier de trois kilomètres traversait le parc de sculptures de Middelheim Park et qu’il y avait de l’art de rue à découvrir dans mon propre quartier. Comme je n’ai rien à prouver et que je n’ai pas de nombre précis de kilomètres à inscrire à mon compteur, je peux admirer les oeuvres d’art en toute tranquilité durant ma course. Je peux même m’arrêter un instant pour admirer l’art de plus près, sans mettre en pause une application de suivi.
Le plus important : chaque pas que vous faites est un bon pas. Vous n’êtes ni paresseux ni un raté si vous n’êtes pas parmi les meilleurs. Sur les plus de huit milliards d’habitants de la planète, je suis sûr qu’il y aura toujours des compagnons d’infortune qui ne voudront pas user de leur persévérance pour devenir un champion dans une discipline sportive. À mon humble avis, ce n’est pas du tout nécessaire.
Vous avez envie de vous entraîner pour un marathon ? Allez-y. Vous avez envie de courir sans objectif ? C’est tout aussi bien. La marche est l’antidote parfait à l’agitation de l’existence moderne.
Conseil: attention à votre posture
Rien ne doit, tout va : c’est merveilleux. La seule chose à laquelle je dois faire attention, c’est de ne pas aggraver le sort de mon tendon d’Achille ou de mon dos avec des séances de jogging amateur. En effet, enchaîner les blessures n’est pas très propice à la joie de courir, avec ou sans objectif. C’est pourquoi, grâce aux conseils de physiothérapeutes et d’un entraîneur en course à pied, j’essaie d’automatiser une bonne posture de course. Les conseils sont faciles à suivre et ne nécessitent pas une concentration constante : idéal pour ma philosophie de la course à pied.
Êtes-vous en proie à d’étranges douleurs fulgurantes lorsque vous marchez ? Dans ce cas, demandez l’aide d’un professionnel. Après tout, marcher ne devrait pas faire mal. Précisez à votre prestataire de soins qu’il n’a pas à faire de vous un athlète de haut niveau. Un équipement sportif coûteux n’est pas nécessaire, mais des chaussures de course décentes sont indispensables. Même pour les petites courses d’agrément.
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