Qui et pourquoi la vidéo « Choper une fille en 3 questions » fait-elle rire?

© Reuters

La vidéo de Guillaume Pley est symptomatique d’un genre très vivace sur la toile. Plus gênante que drôle pour certains, d’autres s’en amusent et en sont très friands. Marylène Lieber, sociologue, analyse ce phénomène, les raisons de son succès et ce que ses adeptes y trouvent.

La vidéo ne laisse pas indifférent. Guillaume Pley, animateur sur la radio NRJ, s’est mis en scène dans « Choper une fille en 3 questions », où il force certaines passantes à l’embrasser. Ce genre de vidéos, qui se veulent humoristiques, fleurissent sur Youtube. Des chaînes de la plateforme s’en sont même faites les spécialistes. Qu’elles fassent rire ou qu’elles choquent, Marylène Lieber, sociologue spécialisée dans les questions de genre à l’Université de Genève (Suisse), revient sur le phénomène.

Comment expliquez-vous que cette vidéo puisse faire rire?

Le comique de cette vidéo résiderait dans la succession des situations. Le présentateur accostant une femme après l’autre donnerait l’image d’un grand séducteur qui les ferait toutes tomber. Or on assiste là plutôt à un rituel de réaffirmation de la virilité. Il ne s’adresse pas à ces femmes en tant que personnes, au charme desquelles il serait sensible. Au contraire, ces femmes sont, dans ce cas, tout à fait interchangeables et servent de support à la réaffirmation d’une sexualité masculine active et conquérante, face à une sexualité féminine présentée comme passive. Ce qui renvoie à une image ancrée profondément dans nos sociétés: les femmes ne seraient que le réceptacle du désir masculin. D’ailleurs le montage des séquences contribue à renforcer le trait: il se termine sur deux scènes où les baisers sont échangés avec des femmes qui ne le repoussent pas. On assiste ainsi à une gradation dramatique, après de multiples refus, les femmes abordées se laisseraient (enfin !) séduire.

Mais qui cela va-t-il faire rire?

J’ai tendance à penser que le public qui va trouver cette vidéo humoristique est majoritairement masculin. On peut rire de cela quand on ne sait pas ce que cela veut dire d’être régulièrement importunée, interpelée, évaluée dans la rue, en fonction de la taille de ses fesses, de la longueur de ses jambes, de la couleur de ses yeux, etc. Les hommes n’ont pas expérimenté le harcèlement de rue, contrairement aux femmes. Parce que vous êtes une femme, certaines personnes s’autorisent à vous aborder quand bien même vous ne les connaissez pas et vous n’avez pas montré de signes ostensibles d’ouverture à une rencontre avec un inconnu.

Les hommes, dans leur grande majorité, ne savent pas ce que les femmes ressentent quand une personne inconnue leur met la main aux fesses, les enlace, les embrasse. En parallèle, les femmes ont également intériorisé qu’il serait valorisant d’être évaluées en fonction de leur apparence. Elles prennent peut-être pour un compliment le fait de se faire aborder de cette manière dans la rue, quand en fait, c’est surtout une modalité de réaffirmation des normes de genre -qui valorisent davantage le masculin. D’ailleurs, un refus de leur part apporte une forme de déni concernant le corps des femmes. Une seule femme refuse de se faire embrasser dans le film -il y en avait sans doute d’autres. L’animateur l’appelle « Miss Monde », comme s’il s’agissait d’une insulte et lui réponds : « Pour qui te prends-tu », comme le souligne le site MademoiZelle.

Les vidéos de ce type sont de plus en plus fréquentes. Comment cela se fait-il?

Ces phénomènes ont toujours existé. Il y a toujours eu cette forme de socialisation masculine où des hommes en groupe abordent les femmes et tentent ainsi de réaffirmer leur masculinité en dénigrant la féminité dans un rituel de drague et de cours. Or, aujourd’hui, nous sommes dans une génération où la diffusion sur internet est devenue un mode de communication tout à fait banal et normal. Ces hommes utilisent donc simplement ce nouveau moyen pour continuer d’affirmer leur masculinité au grand jour.

Pourquoi cette vidéo a-t-elle choqué, alors, si ce phénomène est banalisé ?

Je pense qu’on assiste à une ré-émergence des revendications féministes contre l’appropriation du corps des femmes dans la rue. Je pense aux « slutwalks« , au mouvement Hollaback! sur internet, ou même à des films comme celui de Sophie Peters à Bruxelles. Des voix apparaissent dans l’espace public pour dénoncer la banalisation des violences à l’encontre des femmes dans les rues. Du coup, cette affirmation machiste comme quoi un homme pourrait se faire toutes les filles dont il aurait envie va à contre courant de ces normes qui valorisent l’autonomie et la libre sexualité des femmes.

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