Elle s’expose au Hangar à Bruxelles: rencontre avec la photographe Charlotte Abramow

charlotte abramow exposition photo
© Laetitia Bica

Charlotte Abramow (32 ans) dévoile son exposition Maurice, Tristesse et Rigolade, à Bruxelles. Une narration visuelle et poétique, tirée de son livre éponyme sorti en 2018. Dans un torrent d’amour et d’émotions, elle y retrace le combat contre la maladie de son père Maurice, décédé il y a sept ans, et qu’elle a porté jusqu’au bout.

Ma passion pour la photographie a débuté lors de l’été 2006. J’avais 13 ans et je m’ennuyais durant les vacances. À l’époque, les réseaux sociaux n’existaient pas, c’était la belle vie. On pouvait encore s’ennuyer et passer du temps à imaginer. Mais la photo ne m’était pas étrangère, ma mère a toujours eu le sens du cadre et de la lumière. Je pensais que tout le monde avait de belles photos de famille comme chez nous, mais ce n’était pas le même résultat chez mes copines. Ma mère est très douée. Donc, je pense que ça a forcément infusé inconsciemment en moi.

Paolo Roversi et le pouvoir de sa gentillesse poussent à avoir confiance

Je suis allée au Festival de la photographie d’Arles à 16 ans, et j’y ai rencontré ce photographe que j’admirais et que j’admire toujours. Un lien s’est immédiatement créé. L’année d’après, je suis retournée à Arles, j’ai à nouveau passé une journée avec lui et il m’avait fait la surprise d’écrire un article sur mon travail dans Polka Magazine. C’était le plus beau cadeau que je puisse recevoir. Bien mieux qu’un piston ou un contact.

L’inspiration se travaille tout au long de sa vie

Mais à 19 ans, j’ai ressenti le besoin d’acquérir de la technique et de recevoir des conseils. Je me suis dirigée vers les Gobelins, une école de l’image à Paris, sans trop me poser de question, pour une formation de deux ans. Savoir éclairer un studio, par exemple, ça s’apprend. Cette technicité est indispensable pour progresser dans la photographie.

La France est un pays sublime, Paris aussi

Mais Bruxelles est une ville à taille humaine. Je vis à Paris depuis douze ans, mais je m’y sens parfois oppressée. Il y a un truc assez hostile chez les habitants. À Bruxelles, le contact est plus fluide, on respire, il y a une décontraction naturelle qu’on ne retrouve pas ailleurs. J’ai toujours habité dans le Brabant wallon et je venais à Bruxelles pour l’école. Plus jeune, mon père était malade donc je n’ai jamais eu une vie étudiante dans notre capitale, je la découvre seulement aujourd’hui, en tant qu’adulte, et j’adore.

Le prix Nadar m’a échappé d’une voix

Il récompense chaque année un livre lié à la photo. C’est un prix très prestigieux et j’étais sélectionnée pour mon bouquin Maurice, Tristesse et Rigolade. Je ne l’ai pas gagné, mais savoir que ça aurait pu être le cas, à un cheveu près, j’en étais très honorée.

‘Ça devient difficile de réaliser des images qui accrochent l’œil.’

L’œil des gens est en train de changer

On est plus que jamais dans une société de l’image. Même les émojis sont des images, on parle tout le temps en photos, en vidéos… Je pense que si vous mettez un pavé de texte sur un mur sans image, les gens n’y prêteront pas attention. Pourtant, ça devient de plus en plus difficile de réaliser des images qui accrochent l’œil. Elles nous coulent dessus, on le voit avec les vidéos du génocide, par exemple. L’époque est paradoxale car on est envahis d’images, elles ne nous font plus grand effet, et en même temps, les gens vivent pour leur image.

Je suis inquiète pour la photographie

Car le temps n’est plus aux images fixes. Un cliché immobile, à l’heure actuelle, paraît presque dépassé. En tant que photographe, bien sûr, cela me fait peur. Si on prend l’exemple du clip musical (NDLR: Charlotte Abramow a réalisé des clips pour Angèle), on remarque qu’on en réalise de moins en moins, car il dure plus de 3 minutes et ça ennuie les gens. Avec TikTok, la vidéo doit directement être catchy et attrayante. Cela m’effraie de me dire qu’aujourd’hui, on a ce niveau, très bas, d’attention.

Un livre et sept ans après, une exposition

J’ai réalisé que cette année, mon père était décédé depuis sept ans. Et que, dès lors, cette exposition, c’était maintenant ou jamais. Je souhaitais faire perdurer mon père et son histoire. Même si pour moi, c’était mon passé, je me suis dit que c’était le présent de plein de gens, d’être au cœur de la maladie ou aidant.

Ce travail m’a aidée dans mon processus de deuil. Transformer ce livre m’a apaisée et m’a rendue moins triste. J’ai été surprise de voir que j’arrivais à apprivoiser le deuil comme j’avais su apprivoiser le cancer de mon père à l’époque. Il y a une partie de mon inconscient qui croit qu’il est revenu. Et c’est un peu le cas, car on parle à nouveau de lui.

Maurice, Tristesse et Rigolade, au Hangar, 18 place du Châtelain, à 1050 Bruxelles. Jusqu’au 21 décembre.

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