Tikhanovskaïa, cette « femme ordinaire » devenue égérie du Bélarus
Cette jeune femme de 37 ans n’avait pas l’ambition de diriger cette ex-république soviétique. Elle qui avait renoncé à sa carrière pour se consacrer à son fils aîné, né malentendant, s’est lancée dans la course par amour.
« Nous avons vaincu la peur », lançait Svetlana Tikhanovskaïa après avoir défié à la présidentielle au Bélarus l’autoritaire et vieillissant Alexandre Loukachenko. Cette « femme ordinaire », qui s’est muée en phénomène populaire, revendique désormais une victoire dans les urnes volée selon elle par son adversaire.
En quelques semaines, cette professeur d’anglais de formation est sortie de l’anonymat pour devenir la rivale numéro 1 de celui qui dirige le pays depuis 26 ans, sans jamais avoir laissé émerger la moindre force d’opposition.
Malgré la victoire écrasante du président sortant annoncée par les autorités, Svetlana Tikhanovskaïa en est persuadée : c’est elle qui l’a emporté. Après avoir félicité ses concitoyens pour avoir « vaincu leur peur, leur apathie, leur indifférence », elle appelle désormais le régime à « réfléchir comment (lui) céder le pouvoir ».
Avant même l’élection, suivie par des heurts entre policiers et manifestants et des arrestations massives, Mme Tikhanovskaïa disait à l’AFP s’attendre à des « fraudes éhontées », « sans espoir » d’un vote juste.
La jeune femme de 37 ans n’avait pourtant pas l’ambition de diriger cette ex-république soviétique de 9,5 millions d’habitants, elle qui a renoncé à sa carrière pour se consacrer à son fils aîné, né malentendant.
Si elle est entrée dans la course, c’est que son mari Sergueï, un vidéo-blogueur en vue, a été emprisonné en mai après avoir fait acte de candidature, lui qui promettait d’écraser « le cafard » Alexandre Loukachenko.
Mme Tikhanovskaïa décide alors de reprendre le flambeau « par amour » pour son « coup de foudre » rencontré il y a 16 ans alors qu’elle était étudiante et lui patron d’une boîte de nuit.
Elle réunit les dizaines de milliers de parrainages nécessaires et la Commission électorale valide sa candidature à la surprise générale, quand celles de deux opposants, jugés plus sérieux, sont rejetées.
– « Fatiguée d’avoir peur » –
Mme Tikhanovskaïa se présente comme « une femme ordinaire, une mère, une épouse », qui mène la bataille par devoir malgré les menaces qui l’ont conduite à envoyer à l’étranger sa fille de 5 ans et son fils de 10 ans.
« J’abandonne ma vie tranquille pour (Sergueï), pour nous tous. Je suis fatiguée de tout devoir supporter, je suis fatiguée de me taire, je suis fatiguée d’avoir peur. Et vous ? », demande-t-elle à Minsk sous les vivats d’une foule de dizaines de milliers de personnes le 30 juillet.
Son mari, poursuivi pour des accusations qualifiées de fantaisistes par ses partisans, est toujours incarcéré. Il est désormais accusé d’avoir voulu fomenter des émeutes avec des mercenaires russes.
Sur son programme, Svetlana Tikhanovskaïa est restée vague. Elle a surtout promis la libération des prisonniers politiques, un référendum constitutionnel et l’organisation de nouvelles élections libres.
La relation avec la Russie notamment, grand allié du Bélarus mais dont les relations avec M. Loukachenko se sont considérablement tendues, est un sujet sur lequel elle ne veut pas s’étendre.
Pour ses partisans, « Sveta » est en tout cas devenue une égérie. The Village, un site d’information bélarusse, la qualifie de « Jeanne d’Arc accidentelle ».
D’abord hésitante dans ses apparitions publiques, la jeune femme a gagné en prestance et en assurance, impressionnant avec ses deux interventions télévisées autorisées lors desquelles elle a dénoncé les dérives et mensonges du régime bélarusse.
– Poing, Coeur, Victoire –
Elle critique aujourd’hui sans hésiter les « moyens disproportionnés » avec lesquels les forces de l’ordre ont dispersé les manifestations.
Son style simple, direct, trouve un écho chez nombre de Bélarusses, et se situe aux antipodes de l’attitude bouillonnante de son mari qui s’illustrait par des vidéos coup de poing dénonçant la corruption du régime de M. Loukachenko.
Svetlana Tikhanovskaïa a cultivé cette image de force tranquille avec l’aide de deux autres jeunes femmes, avec qui elle forme un trio rafraîchissant face au style macho du président moustachu de 65 ans.
Celles-ci sont Maria Kolesnikova, l’ex-directrice de campagne d’un opposant incarcéré, l’ancien banquier Viktor Babaryko, et Veronika Tsepkalo, épouse d’un troisième détracteur du régime qui s’est exilé cet été avec leurs enfants à Moscou.
Chacune a adopté un geste: le poing levé pour Mme Tikhanovskaïa, les mains en coeur de Mme Kolesnikova et le doigts en « V » de la victoire de Mme Tsepkalo. Trois symboles qui sont devenus l’affiche de cette élection hors du commun.
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