Une vente aux enchères exceptionnelle de Martin Margiela se prépare, et sa commissaire-priseur nous en a livré les secrets
Martin Margiela passe sous le marteau. Le 27 janvier prochain, la maison Maurice Auction, en partenariat avec l’experte en mode, l’anglaise Kerry Taylor, organise une vente exceptionnelle de 276 lots qui remontent aux débuts du créateur belge. Une rareté. Interview de Salomé Pirson, commissaire-priseur et co-fondatrice de Maurice Auction.
Pourquoi cette vente aux enchères est-elle historique ?
Parce qu’avec ses 276 lots, et plus de 300 pièces, c’est la vente la plus importante jamais réalisée autour de Martin Margiela. Tous les lots appartiennent aux sœurs Angela et Elena Picozzi, elles les ont rassemblés au fil des décennies, en suivant les traces de leur mère Gabriella Picozzi.
Qui sont ces collectionneuses ?
Gabriella Picozzi était une cheffe d’entreprise, une figure clé de l’industrie de la mode italienne qui a soutenu Martin Margiela dès ses débuts, alors que personne ne le connaissait. Elle a eu le nez fin, elle était visionnaire. En Italie, il existe beaucoup de familles pareilles, qu’on ne connaît pas forcément et qui sont aussi le cœur du business. Car dans la mode, le créateur n’est pas seul, il y a toute une chaîne de production derrière et les Italiens ont des usines de fabrication d’excellence, qui font partie des meilleures manufactures. Gabriella Picozzi a désormais passé la main à ses filles. Et les deux sœurs ont à cœur de mettre le travail de leur maman en valeur, pas spécialement vendre, c’était simple pour elles, mais surtout faire appel à une maison de ventes qui est capable d’organiser un vrai événement autour de la collection. Elles voulaient que la vente ait lieu à Paris et soit organisée par Maurice Auction, parce que Paris possède une identité couture, plus que Londres et elles voulaient une curatrice. Elles sont très impliquées, ce n’est pas une vente habituelle où les clients nous donnent les lots et ne sont pas actifs dans l’organisation. Elles désirent vraiment rendre hommage à leur maman, elles ont à cœur de faire en sorte qu’il y ait du monde à l’exposition et que ce soit plus qu’une vente, un événement public.
Leur collection est unique parce qu’elles ont archivé les toutes premières créations de Martin Margiela, de 1988 à 1994 …
Oui, c’est un véritable condensé de ses tout débuts. Nous avons même des pièces de la collection « ! », qui se dit Punto esclamativo, développée en Italie, dans la manufacture de Gabriella Picozzi, en 1988, alors que Martin Margiela venait de quitter Jean-Paul Gaultier. Cela ne s’est jamais vu ! Cette vente est également unique et rare et exceptionnelle parce que tout vient du même endroit, fut conservé dans les même conditions et n’a pas eu plusieurs propriétaires, ce qui rend cette collection très cohérente et d’une grande homogénéité. Elle permet de comprendre l’histoire de la famille Picozzi et de comprendre l’éducation des deux sœurs, qui ont aujourd’hui toujours leur entreprise et sont dans le partage et la volonté de mise en valeur de la mode et de ce patrimoine. Elles ont vécu tous les défilés, elles ont une culture générale du vêtement qui est invraisemblable.
Ces pièces n’ont pratiquement pas été portées, ça aussi c’est rare.
Oui, et si elles l’ont été, ce n’est que très occasionnellement pour un défilé, ou dans le show-room. Depuis très jeunes, les sœurs Picozzi ont collectionné et systématiquement gardé une ou deux pièces des collections qu’elles produisaient alors, ainsi que des prototypes et des modèles qui n’ont jamais été commercialisés à l’époque. Elles les ont conservés un peu comme des archivistes, souvent dans leur emballage d’origine. C’est en cela que la vente est exceptionnelle.
Dans les lots, on trouve également des patrons qui sont autant de trésors…
Oui, c’est très rare que l’on en vende. On a deux lots avec des patrons annotés de la main de Martin Margiela, c’est assez atypique. C’est carrément de l’archive. Ces patrons que l’on présente sont intéressants pour comprendre son schéma de pensée. Ses dessins, ses carnets avec les fac-similés contiennent vraiment son esprit, et j’aime cette idée d’avoir autre chose de plus conceptuel qu’un vêtement. C’est d’autant plus intéressant que Martin Margiela est désormais artiste.
Qu’avez-vous ressenti en découvrant toutes ces pièces ?
Comme j’ai grandi avec une maman fan de Margiela et que dans ma famille, on l’aimait, ce créateur, j’étais très contente de découvrir cette collection. Elle m’a permis de me replonger dans son travail, avec plus de 300 pièces, cela nous permet de le comprendre d’avantage et mieux. Et aussi de réaliser à quel point il y a un retour aux années 90 , si on regarde la plupart de silhouettes que proposent les grandes marques. Il y a également un côté intemporel qui m’a sauté aux yeux. Quand on a commencé à habiller les mannequins, je me suis dit que c’est dingue comme il a inspiré tout le monde. Martin Margiela est minimaliste et subversif, une véritable source d’inspiration.
À qui s’adresse cette vente ?
Comme on a des pièces qui vont de 200 euros à plusieurs milliers d’euros, on a des clients très variés, avec un pouvoir d’achat très varié également. On s’adresse autant à des musées, à des institutions internationales très connues dans le domaine de la mode, à des collectionneurs renommés qu’à des jeunes qui sont fans de Martin Margiela, qui veulent s’acheter une pièce d’histoire, et pas spécialement pour la porter d’autant que les vêtements ne seront pas forcément dans leur taille. Je précise que Martin Margiela est très connu en Asie et notamment au Japon et en Corée, sur cette vente, on aura sans doute la chance d’avoir une clientèle japonaise et coréenne plus importante que d’habitude.
Vous attendez-vous à des batailles de surenchère ?
Il y aura beaucoup d’intérêt parce que cette vente reste accessible, contrairement à la précédente de Jean-Paul Gaultier où la plupart des pièces sont partie à plus de 10 000 euros – cela limite la clientèle… Si on veut se faire plaisir, on peut y participer, puisque certaines sont à 200 euros et qu’en plus, il y a beaucoup de looks et même parfois des doublons.
Quel est la pièce-phare de cette vente ? Quelle est la plus emblématique de l’esthétique de Martin Margiela ?
Difficile de répondre à cette question… Les ensembles avec les sacs sacoches sont pour moi très emblématiques. Cela allie tout l’esprit qu’on retrouve à la fois dans les vêtements traditionnels de travailleur mais aussi dans les vêtements modernes streetwear. Ils sont novateurs et ont un côté intemporel. Et ils sont représentatifs de l’ensemble de ce que la vente propose.
Constatez-vous un engouement pour les ventes aux enchères de mode ?
La mode est devenue un domaine de collection, avec de nouveaux entrants sur chaque vente. La mode entre également dans les plus grands musées, le Louvre organise une exposition autour de la mode fin janvier. C’est le sujet qui fait quasi le plus d’entrées de visiteurs dans les musées. La mode est clairement en plein développement, il y a un engouement certain et pour nous, à chaque vente, nous battons de nouveaux records et nous sommes réellement surprises par tous ces nouveaux entrants, qu’on ne connaissait pas avant et qui n’avaient jamais acheté dans les ventes aux enchères.
L’exposition des lots se fera dans la veine des défilés de Margiela, dans un bâtiment désaffecté du boulevard Voltaire. Un parti-pris ?
Cela ne nous semblait pas cohérent de louer un white cube nickel pour cette vente Martin Margiela, c’est l’antithèse même de son esprit. On a donc essayé de correspondre à cet ADN en exposant dans ce bâtiment abandonné. Et on essaie de s’approcher et de respecter les vêtements du mieux qu’on peut un peu comme dans un musée, mais à deux grandes différences près : l’exposition est gratuite, ouverte au public et les vêtements peuvent être touchés et même essayés, et surtout achetés à la fin !
Pourquoi l’Histoire retient-elle une vente? Parce qu’elle a battu des records du monde aux enchères ?
Une vente marque l’histoire du commissaire-priseur qui la tient à partir du moment où elle lui tient à cœur. Et je pense aussi qu’elle marque l’Histoire lorsque les gens s’en souviennent, simplement parce que l’expo était bien pensée, bien orchestrée, qu’un prix a été fulgurant mais surtout parce qu’elle a marqué les esprits.
Martin Margiela viendra-t-il à la vente le 30 janvier ?
S’il vient je ne crois pas être capable de le reconnaître.
Martin Margiela – The early years 1988 – 1994, vente aux enchères publique par Maurice Auction, en partenariat avec l’experte anglaise en mode Kerry Taylor Auctions lundi 27 janvier 2025, 81, boulevard Voltaire Paris, 75011 France, retransmise en live sur drouot.com et invaluable.com
Exposition ouverte au public au 81, boulevard Voltaire, Paris 75011 France, le samedi 25 janvier et le dimanche 26 janvier de 11 h à 18h
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