A deux pas des temples d’Angkor, la Corée du Nord ouvre un musée en toute discrétion

Entrée d'Angkor Panorama © AFP

A deux pas des temples d’Angkor au Cambodge, un musée vient de sortir de terre, construit par la Corée du Nord qui s’est lancée dans une discrète et lucrative offensive de charme par l’art à travers le monde.

« Quand les gens viennent ici, ils n’en croient pas leurs yeux. Ils ont vraiment l’impression d’être revenus au temps d’Angkor », assure Yit Chandaroat, responsable du musée « Angkor Panorama », ouvert depuis quelques mois après une construction menée dans le plus grand secret.

Angkor Panorama
Angkor Panorama© AFP

Pièce maîtresse du musée, une fresque monumentale offre une vision à 360° de scènes de batailles hyperréalistes du temps où l’empire khmer était à son apogée, entre les XIe et XIIIe siècle, époque de la construction d’Angkor. Elle occupe une surface supérieure à huit courts de tennis et, pour la réaliser, il a fallu mobiliser pendant plus d’un an 63 peintres nord-coréens du Mansudae Art Studio.

Grâce à la qualité de ses armadas de peintres, rares détenteurs d’un savoir-faire hyperréaliste à rebours d’un art contemporain émancipé des techniques classiques, le Mansudae Art Studio décroche des contrats à l’étranger. Comme à Francfort, où les artistes du Mansudae Studio ont réussi à recréer une fontaine dans le style art déco des années 1910.

Ce savoir-faire est utilisé par la Corée du Nord dans le cadre de sa politique méconnue de grands projets culturels à travers le monde, qui détonne avec son habituel discours belliqueux et ses menaces d’utiliser l’arme nucléaire en réaction à la récente résolution de l’ONU aggravant les sanctions contre Pyongyang.

Grandiloquence et réalisme socialiste

Dans le musée récemment ouvert au Cambodge, on retrouve la touche de grandiloquence et de réalisme socialiste propres aux peintres officiels nord-coréens. Mais aucun portrait du leader nord-coréen Kim Jong-Un dans la fresque et seules de discrètes mentions rappellent que la Corée du Nord a construit le musée. Le message de Pyongyang, qui a dépensé 22 millions d’euros dans ce projet, passe plus subtilement par l’hommage rendu au glorieux passé de la civilisation khmère, qui a dominé l’histoire de l’Asie du Sud-Est.

Vue intérieure de l'Angkor Panorama
Vue intérieure de l’Angkor Panorama© AFP

Outre le parallèle avec la Corée du Nord que le spectateur est laissé libre de faire, Pyongyang utilise, ici comme ailleurs, les musées comme une façon de souligner ses liens avec ses « alliés ». Le Cambodge est ainsi un partenaire de longue date de la Corée du Nord. Quand le roi Norodom Sihanouk, décédé en 2012 à Pékin, avait été renversé en 1970, Kim Jong-Il, le père de Kim Jong-Un, lui avait naturellement offert l’asile. Et même de retour au Cambodge, après la chute du régime des Khmers rouges, le roi Sihanouk a toujours eu des gardes du corps nord-coréens.

Le musée « Angkor Panorama » a été conçu comme la vitrine rappelant les liens avec Pyongyang. Il s’inscrit dans une tendance plus générale de l’institut Mansudae, fort de plus de 1.000 peintres, à ouvrir des musées à travers le monde.

Nombreux musées en Afrique

La majorité de ceux-ci sont en Afrique: Angola, Botswana, Namibie… Le plus célèbre, au Sénégal, est le Monument de la Renaissance africaine, consacré à l’histoire de l’Afrique et de ses leaders, surmonté d’une statue monumentale d’un homme aux muscles saillants, dans le plus pur style du réalisme socialiste.

Koen de Ceuster, expert de l’art nord-coréen de l’université de Leiden, aux Pays-Bas, voit dans cette soif de rayonnement « une entreprise commerciale », très lucrative mais pas seulement. « La Corée du Nord a découvert le « soft power », la diplomatie culturelle… Ils essayent ainsi de faire évoluer l’image » du pays sur la scène internationale, explique-t-il à l’AFP.

Au Cambodge, une vingtaine d’employés du musée sont nord-coréens, membres d’une extrême minorité de Nord-Coréens autorisés à sortir du pays. A la boutique de souvenirs du musée, des Nord-Coréennes vendent des tableaux de l’école Mansudae entre 100 et 2.000 euros. « Cela fait six mois que je suis ici. Pour l’instant, il n’y a pas encore beaucoup de visiteurs, mais nous venons tout juste d’ouvrir », explique l’une d’elles, dans un anglais parfait appris à Pyongyang. Elle se refuse néanmoins à une interview vidéo et à de plus amples confidences.

Pour les autorités cambodgiennes, la construction de ce musée présente tous les avantages: au bout de 20 ans, le musée sera propriété de l’Etat cambodgien.

Le directeur adjoint du musée, Yit Chandaroat, balaye les scrupules que certains touristes pourraient avoir à subventionner le régime de Pyongyang en achetant leur ticket d’entrée. « Nous ne sommes pas concernés » par les querelles politiques, tranche ce partisan de la diplomatie par l’art.

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