A Paris, la zizanie du business des vélos-taxis

© AFP

Guerre de territoire entre Bulgares, Français et Roumains, jeu du chat et de la souris avec la police, réglementation imprécise, tensions avec les taxis… A Paris, le business des vélos-taxis ne tourne pas rond.

Place de la Concorde, Katya Dobrava a garé son vélo-taxi jaune et bleu à une cinquantaine de mètres de la sortie du Jardin des Tuileries. Loin du regard des touristes, mais aussi de celui de la police. « Papiers, papiers! », imite-t-elle.

De 10h00 à 20h00, « tous les jours » depuis trois ans, cette Bulgare de 49 ans est sur son « tricycle ». Elle gagne jusqu’à 100 euros par jour en conduisant les touristes, deux à la fois, installés sur la banquette arrière, d’un haut-lieu parisien à l’autre.

Pour pouvoir travailler elle a besoin d’un statut d’auto-entrepreneur et d’une assurance responsabilité civile. Elle assure être en règle, mais déguerpit à l’arrivée de la police. Car si les près de 300 vélos-taxis qui exercent à Paris ont le droit de circuler, ils ne peuvent pas stationner devant les monuments touristiques.

« On a besoin de l’Etat pour réguler », justifie Jean-François Martins, adjoint à la maire de Paris en charge du tourisme, qui admet que si l’idée des vélos-taxis est « très séduisante », le développement d’un marché « informel » et la question de la sécurité, de la qualité des vélos et de l’encombrement de la chaussée posent problème.

Les vélos-taxis existent dans de nombreuses grandes villes touristiques d’Europe, de Londres à Berlin en passant par Rome, Bruxelles ou Genève. Et un peu partout, pour permettre à ce transport prisé des touristes de se développer, il a fallu adapter les règles d’immatriculation et de circulation.

Territoires bien définis

A Paris, le flou de la situation exaspère les vélos-taxis, bien obligés de s’arrêter devant les monuments touristiques pour récupérer des clients, quitte à récolter une grosse amende. « 135 euros » pour stationnement très gênant, se plaignent-ils. « C’est n’importe quoi », résume Katya Dobrava.

Comme les autres conducteurs bulgares -une quarantaine selon leurs propres estimations-, elle est « basée » à la Concorde, ou en haut des Champs-Elysées, car dans le centre touristique de Paris, les différents « clans » de vélo-taxis ne se mélangent pas.

Il y a « les Bulgares », dont beaucoup comme Katya sont arrivés à Paris pour suivre les traces de Todor Pasev, l’homme qui, jurent-ils, a importé le « premier » vélo-taxi à Paris.

Il y a « les Français », majoritairement des jeunes dont c’est le petit boulot, qui représentent une flotte d’une cinquantaine de vélos. Eux sont surtout devant la cathédrale Notre-Dame et au Louvre.

Les rapports entre Bulgares et Français sont cordiaux, mais ils ont un ennemi commun, disent-ils: « les Roumains », qui seraient près de 150 et sont les derniers arrivés sur le marché parisien, il y a environ trois ans. Basés au pied de la tour Eiffel, ces Roumains sont accusés par les autres conducteurs de travailler avec des vélos « qui ne tiennent pas la route » et d’arnaquer les touristes.

« L’arnaque », ils la racontent tous: on annonce un prix de course -25 euros pour aller de la tour Eiffel à Notre-Dame par exemple- qui sera finalement multiplié par le nombre de passagers à la fin du trajet.

‘Ils sont jaloux’

Farid, 28 ans, qui pédale pour le compte d’une société française, dit ne pas gagner plus de 40 euros par jour depuis l’arrivée de ceux qui ont « sali » la réputation des vélos-taxis.

Perché sur son vélo devant la tour Eiffel, Marius, un conducteur roumain de 19 ans, indique pourtant aux curieux les prix des trajets par personne. Il montre l’assurance de son vélo et les amendes qu’il assure payer comme tout le monde.

Face aux critiques de la concurrence, sa compatriote Andrea, 24 ans, hausse les épaules: « On travaille beaucoup, ils sont jaloux », dit-elle.

Comme eux, ils sont une dizaine de vélos-taxis à haranguer les touristes sur le quai Branly, en brandissant une pancarte publicitaire indiquant les prix du trajet vers les monuments touristiques.

« Ca me fout la haine », soupire en secouant la tête David Bressac, qui connaît bien ces panneaux: ce sont ceux de son agence de location de vélos-taxis, Cyclopolitain, que ses loueurs revendent aux vélo-taxis indépendants, affirme-t-il.

– ‘Au point mort’ –

Cyclopolitain s’est installé à Paris en 2008. Mais entre la concurrence « pas déclarée » selon lui, et le flou sur le statut des vélos-taxis, David Bressac a du mal à rester optimiste. « On est au point mort », lâche-t-il. Il se bat auprès de la mairie et de la préfecture de police pour obtenir une vraie réglementation: des vélos avec un numéro de licence, une charte et des places pour stationner.

La mairie de Paris assure que la « discussion » est ouverte pour développer ce nouveau mode de transports « dans de bonnes conditions », mais aucun délai n’est encore fixé.

A la préfecture de police, on « réfléchit » à un dispositif pour « valoriser les entreprises vertueuses », garantir la sécurité des utilisateurs et assurer une « coexistence pacifique » des différents moyens de déplacement.

Une référence aux chauffeurs de taxis, peut-être: en juin, l’un d’entre eux a été interpellé par la police après s’être énervé contre des vélos garés sur leurs places sur les Champs-Elysées.

« C’est l’anarchie totale », s’énerve un chauffeur de taxi, Rabah Baouche: les vélos-taxis « se garent n’importe comment, ils roulent n’importe où ».

« On en arrive à l’accrochage… Il va falloir réglementer un peu. C’est n’importe quoi », complète un de ses collègues.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content