Birmanie: le patrimoine colonial britannique sur le point de renaître

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Ravagé par des décennies de négligence sous la junte, l’élégant café de la famille d’Aung Thu à Rangoun a été rénové dans le respect de l’architecture coloniale britannique. Des travaux d’avant-garde en Birmanie.

Néons, bétonnage, enseignes ou peintures criardes: les bâtiments du Vieux-Rangoun construit par les Anglais avant l’indépendance de 1948 sont malmenés par un développement urbain anarchique. Mais le café d’Aung Thu, connu sous sa simple adresse, « 491-501 Merchant street », a pu bénéficier d’un programme de rénovation pilote financé par l’aide internationale, dont les concepteurs espèrent qu’il pourrait faire boule de neige.

Aung Thu a été d’abord sceptique quand une restauration gratuite lui a été offerte, dans ce pays qui était isolé du reste du monde jusqu’à l’autodissolution de la junte en 2011. « Nous n’avions jamais assisté à une telle rénovation par le passé. Si un bâtiment est vieux, normalement il est détruit et on en construit un nouveau », explique-t-il.

Façade noircie par les pluies de mousson, toit jamais vraiment réparé depuis le passage du cyclone Nargis en 2008… le chantier était conséquent.

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Après dix semaines de rénovation, la façade jaune aux fenêtres encadrées de vert a retrouvé son lustre d’antan, donnant à cette portion de trottoir un air de carte postale.

Car Merchant street est au coeur du Vieux-Rangoun, où chaque pas révèle un bâtiment de l’époque coloniale, habituellement rénové sans art, avec ajout de grilles métalliques ou de fenêtres en plastique, quand il n’est pas tout simplement laissé à l’abandon.

Le « 491-501 » est aujourd’hui un édifice populaire plein de vie, avec cafés, échoppe de soupe de nouilles, librairie, local où l’on recycle les vieux journaux ou encore un coiffeur pour hommes.

Parmi ses quelque 80 résidents, Shan Kumar, un commerçant hindou de 43 ans qui habite au rez-de-chaussée, se dit heureux que l’immeuble « connaisse une nouvelle naissance ».

« Les habitants sont contents du bâtiment, il est beau. Cela attire l’attention des gens, ce qui est un aspect clef de ce projet test: que les gens réfléchissent à leur héritage », explique Harry Wardill, de l’ONG Turquoise Mountain, qui a supervisé les travaux de rénovation, d’un coût de plus de 300.000 euros.

Le fond birman Heritage, partenaire du projet avec Turquoise Mountain, met en garde contre les démolitions en cours à travers Rangoun, « menées à un rythme alarmant ».

Restaurations irréversibles

Car au-delà des enjeux de façade, la préservation du patrimoine architectural touche à des questions de société bien plus profondes, souligne Thant Myint-U, historien à la tête de Heritage.

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Dans cette capitale économique birmane en plein boom immobilier, « la préservation du patrimoine architectural fait partie d’un ensemble » et touche à « la question des logements abordables ou des transports », explique-t-il.

Cela fait partie des défis qui attendent le gouvernement de la Prix Nobel de la paix Aung San Suu Kyi, au pouvoir depuis quelques mois.

Tout comme la reconstruction des hôpitaux et des routes, des secteurs négligés pendant les décennies de junte.

Rangoun, première ville du pays, compte 189 sites relevant des monuments historiques, selon la municipalité, dépourvue de tout service de préservation des bâtiments historiques.

Les risques liés à des rénovations non encadrées sont réels, dans un contexte où les propriétaires du Vieux-Rangoun ont de plus en plus conscience de la plus-value qu’ils peuvent tirer de travaux tape-à-l’oeil.

Le cafetier Aung Thu pense lui-même à moderniser son petit café, afin d’attirer une clientèle plus haut de gamme, riches Birmans ou touristes de plus en plus nombreux à visiter la Birmanie. « Le bâtiment est parfait désormais, alors je vais bientôt développer mon café. Mon rêve va se réaliser », confie-t-il.

Contre-exemple à éviter pour les amoureux du patrimoine historique: le site de Bagan, dans le centre de la Birmanie, objet d’une rénovation débridée.

Ce complexe de milliers de pagodes, dont certaines ont près de mille ans, reste une destination privilégiée des touristes, mais il fait partie des centaines de monuments qui ont été rénovés à la hâte ces dernières années, en utilisant des matériaux modernes.

Les experts craignent que les dommages de ces restaurations rapides ne soient irréversibles et qu’ils n’entament les chances de Bagan d’être classé un jour par l’Unesco au patrimoine mondial de l’humanité.

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