La facette existentialiste de Louise Bourgeois exposée à Washington

Fillette (Sweet version), oeuvre de Louise Bourgeois © Reuters

Qualifier Louise Bourgeois de surréaliste hérissait la sculptrice. Une exposition intimiste à Washington présente la genèse de son oeuvre sous sa facette existentialiste, principalement des dessins et gravures qui brassaient déjà ses thèmes favoris: souffrance, sexe, obsession pour la mère.

De l’artiste franco-américaine, morte en 2010 à New York, figure incontournable de l’art moderne, mondialement connue pour ses araignées géantes qui ont tissé leurs toiles aux quatre coins du globe, la National Gallery of Art (NGA) de Washington a décidé de ne présenter que quatre sculptures.

Le musée a préféré mettre en avant d’autres réalisations de Louise Bourgeois, qui a connu une reconnaissance tardive, dans son exposition Louise Bourgeois: Huis clos, qui sera ouverte au public à partir de dimanche et pendant six mois, jusqu’au 15 mai 2016. Le titre fait explicitement référence à l’ouvrage éponyme de l’écrivain français Jean-Paul Sartre. La sculptrice, qui s’est éteinte à 98 ans, citait à l’envi le pape de l’existentialisme dans ses interviews.

Et la configuration de la petite et étroite pièce sans issue consacrée à l’exposition à la NGA, située sur l’immense artère au coeur de la capitale américaine, n’est pas sans faire écho à la situation des personnages du philosophe. « Il s’agit absolument d’un choix », explique à l’AFP Judith Brodie, conservatrice de l’exposition. Même si la pièce « ne se distingue pas par sa taille », reconnaît-elle, « la qualité des éléments présentés est très élevée ».

Lorsqu’on la qualifiait de surréaliste, poursuit Mme Brodie, « Bourgeois se hérissait » et « insistait pour être qualifiée d’existentialiste ». « Donc explorer son côté existentialiste est vraiment ce qui a inspiré cette exposition ». Selon elle, la revendication de Louise Bourgeois de l’appartenance à ce mouvement « est née de ce travail très tôt », dans lequel on « la voit se débattre dans un monde bouleversé et différent » et où elle ne trouve pas sa place.

Evidemment sexuelle

Dans les 21 pièces exposées, principalement des dessins et des gravures « marqués par la sensibilité de l’après-guerre », Louise Bourgeois puisait déjà dans son histoire personnelle pour faire de l’intime une oeuvre universelle.

Dans une série de neuf gravures exposées, tirées de son livre He disappeared into complete silence, paru en 1947 et dont il n’existe que de rares exemplaires, ressort son « côté sombre », analyse Mme Brodie.

On y voit des personnages, toujours représentés sous formes de grandes structures inhumaines, tantôt allégories de l’indifférence du monde, tantôt de l’absence de communication. L’une d’elles représente une guillotine, tandis que sur une autre, on voit plusieurs échelles qui n’offrent aucun échappatoire.

Louise Bourgeois « analyse, intériorise les thèmes existentialistes, mais il faut se rappeler que l’existentialisme de Sartre n’était pas négatif », nuance Andrew Robison, conservateur en chef de l’exposition. « Il n’est pas que question de perte de pouvoir, mais aussi de libre-arbitre, l’idée de créer sa propre vie, de choisir », explique-t-il, tout en rappelant la dimension « évidemment sexuelle » de certaines pièces – notamment une petite sculpture phallique – qui évoquent également « le corps, l’espace ».

Comme avec ses fameuses araignées, plus tard, la genèse de ses oeuvres est également empreinte de la figure maternelle, omniprésente. L’artiste n’a jamais nié avoir projeté sur ses réalisations la souffrance héritée d’une enfance marquée par un père notoirement volage et une mère adulée et protectrice.

Mother de Louise Bourgeois, devant le musée Guggenheim de Bilbao
Mother de Louise Bourgeois, devant le musée Guggenheim de Bilbao© Reuters

A cet égard, souligne Judith Brodie, le dessin M is for mother(M comme maman), avec la lettre en rouge réalisée d’un tracé qui rappelle la coiffure féminine à la mode aux Etats-Unis dans les années 1960, sonne comme « un écho évident » aux araignées, elles-même surnommées « Maman » – un exemplaire se trouve dans le jardin du musée.

Au fond de la courte salle sont posées, sur une petite estrade, trois sculptures tout en hauteur, qualifiées de « personnages » par l’artiste.

« Je pense que c’est un clin d’oeil très subtil » aux trois personnages de Sartre dans Huis clos, qui sont enfermés dans une salle après leur mort, sourit la conservatrice. Dans le huis clos reconfiguré à la NGA, Louise Bourgeois sera jugée, à l’instar des personnages sartriens, sur son oeuvre.

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