A fleur de peau
(*) » Avant, après. Les Visages de la beauté « , éd. Balland.
C e n’est pas qu’il râle, non. Il est surtout découragé. Car dans le vivier frétillant des starlettes hollywoodiennes, le cinéaste Martin Scorsese ne parvient plus désormais à dénicher la perle rare, celle dont le visage pourra encore exprimer un soupçon d’émotion. C’est que le botox est passé par là.
Le botox. Véritable matière première du marché de l’apparence, vrai-faux élixir de jouvence censé effacer les rides et redoper le capital beauté. Du Nord au Sud, en passant par les nouveaux riches d’Asie, des pays de l’Est, sans oublier l’opulente Amérique et la » vieille Europe « , il s’est infiltré un peu partout, gagnant chaque jour des candidats étonnamment motivés et tout prêts à se faire piquer. Jeune, toujours plus jeune, beau, toujours plus beau.
Le constat est sans appel : aujourd’hui, les devoirs impératifs physiques ont bel et bien chassé les devoirs impératifs moraux. Bonté, charité, générosité, modestie affichées au xixe siècle se sont effacées devant les pressions sociales du IIIe millénaire : bronzage, éclat du teint, fermeté des chairs… Un travail tout aussi éprouvant et qui exige une vigilance de tous les instants. Avec pour corollaire la toute-puissance du sujet sur ses apparences.
A fleur de peau. Le prêt-à-porter de la beauté cutanée et corporelle est bien en marche. Comme le souligne dans une étude percutante l’ethnologue Anne de Marnhac (*), la beauté est devenue une valeur qui doit être rentabilisée sans cesse. Montrer le corps de plus en plus près, le morceler, le découper en autant de pièces à remodeler, segmenter les visages, cibler chaque zone : yeux, nez, menton, décolleté… » Comme en couture, on se concentre sur des carrés non d’étoffe, mais de peau ; on les pique, on les coupe, on les nettoie, on les lisse, on les repasse « , note-t-elle. Autant de surfaces à réduire, affiner, sculpter, inciser ou drainer.
Mal dans sa peau. Qui aujourd’hui est à l’abri ? Avec, pour toile de fond, cet étrange paradoxe : je veux mon épanouissement perso, mais je veux aussi ressembler aux autres. Les autres ? Deux clans bientôt. A ma gauche, les » reliftés « , » botoxés « , » décrispés » et autres recousus (avec pour modèles des êtres irréels portés par les médias et retouchés par la chirurgie esthétique et la chirurgie numérique), et à ma droite, les fripés, les ridés, ceux qui, faute de moyens, portent tous les faux plis de l’âge. Un monde à deux faces, inévitablement face-à-face. Mais au sein duquel on peut encore se faufiler. En acceptant la féminité comme apprentissage du temps qui passe et de ses limites, par exemple. En se souvenant, aussi, comme le rappelle Anne de Marnhac, que la peau, » c’est le cerveau du dehors « . Rougir, pâlir… c’est bien elle qui capte les émotions. Ne mérite-t-elle donc pas tous les égards ? Une question à méditer quand nous aveugle l’éclat de l’aiguille ou du bistouri.
Christine Laurent
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