Allô papa bobo

Christine Laurent
Christine Laurent Rédactrice en chef du Vif/L'Express

(*)  » Les Papas du dimanche « , éd. Anne Carrière.

C’est un papa comme bien d’autres. Un papa qui a du chagrin. Un papa  » qui rame, qui rit, qui pleure « . Un papa du dimanche.

Un quadra occidental de catégorie socioprofessionnelle supérieure, divorcé, en bonne santé. Pas de quoi vraiment se lamenter. N’y a-t-il pas plus malheureux ? Que dire des sans-boulot, des sans-abri, des malades… Et pourtant, ce papa-là, il est triste. Même s’il est déjà revenu de sa descente aux enfers, des calmants, qu’il s’est vidé de ses larmes jusqu’à la dernière goutte. Les jeunes et jolies femmes croisées depuis n’ont pu toutefois le distraire. Dans le rôle du  » chevalier voyou « , du  » gentleman garnement « , il reste in-con-so-lable. D’avoir été privé, un beau jour, de ses trois enfants par leur mère (partie avec le meilleur ami, la routine, et la couvée). Le voilà donc désormais papa du dimanche, une semaine sur deux, du samedi au dimanche soir dans ses  » 53 mètres carrés plus que carrés « .

Ce n’est pas un lamento, encore moins des jérémiades, voire même des larmoiements que nous livre ici François d’Epenoux (*). Non, c’est juste un témoignage subtil, vrai, caustique parfois, aux pointes d’humour acerbes, souvent teinté d’ironie, et empreint d’une extraordinaire tendresse. Un roman qui nous fait partager un dimanche ordinaire de garde d’enfants, une journée qui démarre tôt, à 4 h 06, avec une insomnie pour se terminer 124 pages plus loin à 21 h 45 avec le retour du héros dans sa  » boîte bien clean « , jonchée de vêtements et de jouets oubliés, après avoir déposé les petits chez leur mère. L’heure de se glisser à nouveau, le c£ur gros, dans la peau d’un papa solo. Il s’en sera passé des choses sur cette journée. Des petits et moins petits événements. Avec pour toile de fond cet irrésistible besoin qu’ont les papas du dimanche d’en rajouter dans la pédagogie accélérée pour pallier leur absence le reste du temps.  » Deux jours de rattrapage, on serre les vis… « . Garder son rôle oui, gâcher la fête, non. Et puis savourer chaque minute de la présence des enfants, ne pas craquer devant leurs maladresses, ne pas s’emporter, ne pas s’énerver quand ils se chamaillent. Ne pas laisser brûler les surgelés dans la poêle… La liste est longue. Dur, dur, d’être un papa modèle, présent, assidu. Sans reproche. Et pas question de critiquer  » l’autre « , celle qui est partie. Le  » pédopsy  » est formel, il faut tourner la page, oublier la ranc£ur, avancer dans la vie. Ne pas dénigrer pour ne pas faire de mal à la plus précieuse des progénitures.

Vaste programme. Combien sont-ils à vivre cette situation délicate, douloureuse ? De plus en plus nombreux si l’on en croit les statistiques. Trois divorces pour quatre mariages dans notre pays, plus de divorces que de mariages dans la région bruxelloise en 2003. Autant de situations bien complexes à assumer. Pour les hommes comme pour les femmes, bien sûr. Mais celles-ci bénéficient de tribunes plus nombreuses pour exprimer leurs états d’âme. Sans oublier le réseau dense des copines. Rien de tel pour les hommes, plus pudiques souvent aussi. Alors la petite voix de François d’Epenoux, entre rires et larmes, touche. Un homme qui est à l’écoute de ses sentiments et qui le dit. Même si, avec le temps, le cuir durcira, la délectation morose s’évanouira. Mais, entre-temps, il en faudra encore sans doute des gestes placebos. Pour faire face crânement au dimanche soir des papas du dimanche,  » des poches de temps trouées qu’on fouille désespérément à la recherche d’un temps révolu « .

Christine Laurent

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