Caviar et chocolat
Il faut le lire deux fois pour le croire. Quoi ? La carotte et la violette subtilement associées peuvent fusionner pour un plat délicieusement inédit ? Et que dire du mariage de l’ananas et de la Fourme d’Ambert, de la mangue et de l’extrait de sapin, ou bien encore du potiron et de la mayonnaise de foie gras accompagnés de gelée au thé de jasmin ? Une ré-vo-lu-tion. Un chamboulement à la hauteur vertigineuse d’un tsunami gustatif. Et que l’on doit à l’imagination et à la créativité de l’un des plus doués de nos chefs belges, Sang-Hoon Degeimbre (*). Un » toqué » (une étoile + au Michelin) que Weekend Le Vif/L’Express suit et soutient depuis ses tout débuts. Et qui réussit, à chaque fois, à nous épater.
Le voilà aujourd’hui qui s’ acoquine (pour le meilleur) avec un scientifique, un bio-ingénieur, pour être plus précis, Bernard Lahousse, pour un projet ludique, original et explosif, le food pairing. Le duo a réalisé, en effet, l’analyse de pas moins de cinq cents ingrédients qui, dûment disséqués, livrent en toute liberté leurs molécules aromatiques. Objectif : rapprocher, mêler l’improbable, l’impossible, l’inattendu, le stupéfiant. C’est parce que carotte et violette ont en commun la molécule baptisée ionone, que Degeimbre a eu l’idée de les unir. Pareil pour le plat kiwi et huître, qui partagent pas moins de quatorze molécules aromatiques, et qu’il s’est empressé de mettre à sa carte. Autant d’associations audacieuses pour de nouvelles sensations gourmandes dignes du IIIe millénaire (lire pages 32 à 34).
De Noville-sur-Mehaigne à New York, il n’y a qu’un petit saut que notre spécialiste, Jean-Pierre Gabriel, n’a pas hésité à faire. Changement de décor mais pas de philosophie. Car l’univers de Wylie Dufresne est tout aussi déconcertant ( lire pages 16 à 20). Sa cuisine ? Rien moins qu’un labo de chimie ou de pharmacie dans lequel il joue avec maestria avec une multitude de gélifiants et d’émulsifiants. Au menu, un étonnant £uf sur le plat. Réalisé non pas avec un £uf ordinaire, trop facile, à la portée de la première ménagère venue (quoique un bon £uf…). Non, non, reconstitué avec brio avec du lait de coco et du jus de carottes… Tout un programme ! Et qui exige la patte d’un pro, d’un vrai.
Ainsi, la révolution culinaire imaginée il y a quelques années par l’Espagnol Ferran Adrià n’en serait qu’à ses débuts. Entre-temps, le Britannique Heston Blumenthal (à qui nous avons déjà consacré de nombreux reportages) a pris le relais avec un surprenant cannelloni au chocolat blanc farci de caviar et bien d’autres de ces » sortes de choses « . Où s’arrêtera donc l’imagination futuriste de ces créateurs gastronomiques ? Provoc ? Véritable aspiration au changement ? Curiosité de visionnaires ? Nul doute, en tous les cas, qu’ils ont mis les bouchées doubles pour titiller nos papilles, bousculer nos habitudes, déstabiliser notre ordinaire. Il n’empêche. Malgré toute l’admiration que nous leur portons, si on se mitonnait, en catimini, vite fait, bien fait, un bon poulet-frites ?
(*) Restaurant L’Air du Temps , à Noville-sur-Mehaigne.
Christine Laurent
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