Cher grand bleu

Christine Laurent
Christine Laurent Rédactrice en chef du Vif/L'Express

www.levif.be/weekend

B rut lavé,  » stone « ,  » stone used « ,  » destroy « ,  » bleached « , il se décline sur tous les tons. Des nuances subtiles qui n’échappent pas à l’£il avisé de la fashion victim. Car pas question d’enfiler n’importe quel modèle ! Au risque de passer pour un plouc. Désormais, il doit mouler les fesses sans boudiner, être chic tout en affichant une fausse désinvolture, classe mais sans ostentation. Tout se niche dans la coupe, le détail, le sigle, voire une couture ou une texture. Malgré plus d’un siècle de manipulations créatrices, le jeans est loin d’être usé jusqu’à la corde. Au contraire, de 7 à plus de 77 ans, c’est la vague bleue. Personne ne lui résiste, il s’infiltre partout.

Ils s’y sont tous mis. Fini le monopole de Levi’s Strauss ! Armani, Versace, Dior, Chanel, Vuitton, les plus grands, les gardiens même du temple de l’élégance l’ont consacré comme  » must « . Un destin étonnant, inattendu pour un grand bleu ordinaire créé pour des fermiers dans le fin fond de l’Ouest américain, devenu, bien malgré lui sans doute, le symbole dans les années 1960 de la  » lutte  » contre le conformisme bourgeois et les codes vestimentaires guindés. Histoire de briser les barrières sociales, ouvriers, étudiants, même combat ! Qui passe par une véritable standardisation des apparences, une volonté d’effacer les styles, le jeans consacrant définitivement l’égalité de tous.

Tous frères désormais ? Pas si sûr ! Car en ce tout début de IIIe millénaire, l’ex-modeste habit de travail pourrait bien avoir définitivement quitté son statut de prolétaire pour devenir, comme disent les spécialistes, un  » status buy « , une référence modeuse. Et si, il y a quelques années à peine, on pouvait trouver un denim prétendument branché pour quelque 70 euros, aujourd’hui, c’est fi-ni. Car même si le bobo n’achète qu' » un  » jeans, il le rêve et le veut unique. Toujours aussi futés pour coller à la demande, si farfelue soit-elle, les fabricants multiplient les arguments techniques : nouvelles matières extensibles, trempages spéciaux, délavages exceptionnels… Une formidable opportunité pour les marques de créer de la différence et relancer la consommation. Résultat : des prix qui grimpent, grimpent, grimpent pour atteindre bientôt, nous dit-on, pas loin de 1 000 euros pour un modèle spécial, griffé of course !

Mais attention, la pièce convoitée, véritable deuxième peau, devra gommer parfaitement les imperfections, tout en cultivant subtilement l’art du détail, consacrant ainsi une véritable affirmation du moi. Une simplicité trompe-l’£il bien éloignée du look nonchalant du poor lonesome cow-boy. Bien sûr, on connaît la rengaine : l’habit ne fait pas le moine. On ajoutera encore moins le rebelle ! Enterré désormais, le jeans libertaire, place au jeans marketing ! Moins romantique certes, mais plus sexy et surtout si tentant pour le business.

Christine Laurent

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