Devoir non conjugal

Christine Laurent
Christine Laurent Rédactrice en chef du Vif/L'Express

Dans ce livre-là, les gens ne font pas l’amour. Ou alors très peu. Par choix ou par contrainte. En même temps, le désir accompagne leurs pensées, guide leurs pas. La sexualité demeure. Mais ces  » égarés  » en hibernation refusent une société qui impose  » le grand jouir  » comme condition du bonheur sur Terre. C’est tout simple, ils ont choisi de dire non au  » bien-baisant « .

L’écrivain-journaliste Jean-Philippe de Tonnac a voulu aller à la rencontre de ces affranchis (*). Parce qu’il a toujours eu de la sympathie pour les personnes qui se trouvent volontairement en marge ou exclues de l’idéologie ambiante. Celles qui résistent. Parce qu’il était las aussi, voire éc£uré, devant  » une société du spectacle qui préfère montrer l’acrobatie, la performance, le rendement, la transgression, le scandale « .

Dans sa quête, il a rencontré bien des personnages passionnants. Prenez les asexuels par nature, regroupés autour du site Aven lancé par un jeune Américain, David Jay, en 2001. Ni moralistes, ni refoulés, ni prudes, les  » A  » refusent la société de consommation, la dictature de la pornographie, privilégiant l’abstinence, l’amour courtois. Une  » A-Pride attitude  » avec des histoires d’amour qui se déroulent essentiellement sur Internet, le corps lui-même flirtant avec le virtuel. Par peur du sexe, affirmeront certains. Pas sûr. Mais par rébellion, sûrement.

Sur la planète asexuelle, on croise, aussi, des couples unis désormais par la seule tendresse, des célibataires en exil du corps de l’autre. Provisoirement ou non. En quête du bon partenaire ou qui prennent le temps de faire le deuil d’une histoire passée. Fuyant les plaisirs rapides, les sensations fausses qui les éloignent d’eux-mêmes. Des dissidents qui ont besoin d’apprivoisement. Ni frustrés, ni aigris. Des hommes et des femmes qui, face à une société toujours donneuse de leçons, y compris dans une matière aussi intime que le sexe, réfutent le  » devoir conjugal  » et une  » normalité  » imposée.

Une véritable cohorte d’inconnus, de moins en moins silencieux, formant volontairement un anti-ordre au service d’une contre-expérience dérangeante aux yeux du plus grand nombre. Mais qui assument.  » Des conversations que j’ai engagées avec eux, la sexualité est sortie à mes yeux réparée, grandie « , souligne de Tonnac. C’est que le désir a ses raisons que ces résistants ne veulent pas transformer en besoins. In fine, le constat de l’enquêteur est sans appel : quand sexualité rime avec liberté, quand elle est voie de connaissance de l’autre et de soi, la chair est loin d’être triste. L’abstinence est bien la faim d’autre chose.

(*)  » La Révolution asexuelle « , éd. Albin Michel.

Christine Laurent

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