Et la lumière – du Nord – fut.

Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

Pendant l’été, Le Vif Weekend zoome sur ceux qui ont choisi la Belgique. Épisode 6/7 : Carlos da Ponte. Artiste visuel, ce Lisboète arrivé à Bruxelles en 1971 pour échapper à un Portugal alors aux prises avec la dictature de Salazar, y a trouvé l’inspiration d’une vie de chic bohème conscientisée. Et la lumière.

Sur son iPhone, Carlos montre le portrait d’un éphèbe pasolinien : gueule de bellâtre méditerranéen, clope menaçante, dégaine de cuir sexuel.  » Un beau brun à la Pierre Clémenti.  » C’est juste lui au tout début des années 70, alors qu’il débarque à Bruxelles. Il a 19 ans.  » J’étais fonctionnaire, dessinateur industriel, dans un régime extraordinairement répressif. Je faisais du théâtre, constamment censuré, et j’ai pris la décision de partir alors que les rumeurs d’arrestation s’intensifiaient. J’ai dû passer un dernier interrogatoire à la sécurité militaire – on aurait dit du Costa-Gavras – où on m’a prévenu : si tu ne reviens pas de l’étranger, ton père ira en prison. « 

da Ponte arrive donc à Bruxelles pour passer – officiellement – un test d’entrée chez Béjart.  » Je n’avais jamais dansé de ma vie mais, avant de quitter le Portugal, j’avais acheté ces très beaux collants couleur chair, et on me demandait maintenant de faire une diagonale avec une pirouette entre deux danseurs, bien réels, eux.  » Il rit en repensant à son jeté-improvisé face au jury dubitatif.  » Après la performance, quelqu’un est venu me demander ce que je voulais vraiment faire. « 

Hasard cosmique, ce fils de famille ouvrière de Lisbonne se retrouve à suivre les cours de théâtre à l’IAD (l’Institut des Arts de Diffusion). Il a fui le Portugal – son père n’ira pas en prison – et, d’une scène à l’autre, finit embauché dans la troupe du Plan K, un théâtre visuel qui gratte la colonne vertébrale du corps en extase. Avec Frédéric Flamand, son fondateur-chorégraphe, il se lance dans trente-cinq ans de voyages et de créations : acteur dans les performances transgressives du Plan K mais aussi scénographe, metteur en images, vidéaste-chercheur.

La Raffinerie, ancienne usine à cassonade de Molenbeek, devenue un centre d’arts géré par le Plan K, se profile à l’avant-garde culturelle des années 70-80. Bruxelles devient le centre de sa vie :  » J’arrivais du sud de l’Europe où tout était interdit, sous-entendu, et ici, tout semblait libre et ouvert. Les gens étaient sympathiques et le Belge, accueillant. J’avais l’habitude de vivre au soleil mais je découvrais une autre sorte de lumière, le rythme des saisonsà Bruxelles était superbe, un peu décadente mais pas folle. Bruxelles, c’est l’Éden où il pleut. « 

Il faut dire que Carlos prend vite ses quartiers dans un endroit étoilé : les Galeries royales Saint-Hubert, merveille architecturale du centre-ville inaugurée en 1847, constituent son refuge chic depuis 1975. En 1981, l’artiste emménage dans l’appartement qu’il occupe toujours à l’entrée de la Galerie de la Reine, côté Grand-Place, enfilade de vastes pièces au blanc crémeux. Un lieu de vie et de travail, même s’il possède une escouade d’écrans et d’ordis dans un bureau de la rue Royale.

da Ponte conjugue l’image, la tord, la dédouble, joue avec la dualité de photographies et d’installations vidéo qui traquent le baroque (www.carlosdaponte.net).  » Derrière ces images, j’entretiens un discours, notamment sur l’état de la planète, explique-t-ilà en mentionnant un (autre) grand Belge illuminé. Magritte me fascine par son travail sur la lumière, ses ombres en mouvement. La lumière du nord, grise et sombre puis parfois éclatante en fin de journée, n’a rien à voir avec celle du Portugal où tout est plat, écrasé sous un ciel bleu. Ici, les extrêmes se côtoient et j’aime ça.  » Le citoyen belge depuis 1986, continue à cruiser dans Bruxelles, aime le canal du côté de Laeken, fréquente éternellement le Mokafé de la Galerie du Roi. Et quand il rentre de l’étranger, Monsieur da Ponte, 58 ans, pense simplement que  » c’est bon d’être chez soi « .

Philippe Cornet

Ici, les extrêmes se côtoient et j’aime ça.

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