Généreusement égoïste
(*) » Libération « , édition du 6 septembre 2004.
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N i bandes, ni clans, encore moins chapelles. Seulement trois tribus qui, si l’on en croit un récent sondage réalisé en France auprès de pas moins de 400 managers (*), s’affronteraient à fleurets mouchetés au sein même des entreprises. Pas de vraie guerre, de fronde, de conflit ouvert, de barricade ou de rébellion pour autant. Non, juste des crispations, des frustrations, voire même une certaine lassitude. En cause, la difficile mobilité interne, la quasi impossible promotion, la stagnation. A tous les âges désormais, ça crise.
Prenons les trentenaires. » Sous-estimés « , ils sont plus de deux tiers à avouer ne plus adhérer aux valeurs de leur entreprise faute de pouvoir grimper les échelons, tout bloqués qu’ils sont par leurs aînés peu disposés à laisser leur place. Résultat : ils privilégient avant tout l’épanouissement personnel, ce qui ne fait pas nécessairement l’affaire de leur employeur. Les quadras ne sont pas mieux lotis. Eux, ils s’avouent même carrément désabusés. Rien moins qu’une génération » sacrifiée » faute de moyens suffisants pour s’imposer. Un peu les dindons de la farce, en somme. Victimes de promesses non tenues pour cause de crise, ils se sentent d’autant plus floués qu’ils ont, contrairement à leurs cadets, beaucoup sacrifié de leur vie personnelle pour réussir. Reste les quinquas… tout requinqués, eux. Alors qu’ils s’imaginaient trottinant déjà sur le chemin de la retraite, voilà qu’on les rattrape pour les remettre au boulot. Nouveau souffle, nouvelles ambitions, on les dit prêts à relever le gant, à tenter l’aventure.
Conjoncture maussade aidant, on se bouscule donc nombreux autour du même marigot. Autant de chats et de souris qui se frotteront difficilement sans, finalement, se croquer. On ne compte plus, d’ailleurs, les coups de patte qui malencontreusement s’égarent.
Dommage, dommage. Car au lieu de se raidir mentalement, chacun n’aurait-il pas intérêt à faire le gros dos ? Toutes griffes rentrées, à réaliser quelques petits arrangements avec son ego ? A se montrer peut-être parfois moins chatouilleux, plus patient (pour les plus jeunes), généreusement égoïste (pour les plus âgés). Sans perdre de vue son petit job, certes, ne faudrait-il pas essayer de dégager de l’espace pour l’autre ? Penser complémentarité plutôt que division, solidarité pour compétition. Un exercice drôlement compliqué bien sûr et qui exige qu’on abandonne définitivement ses peurs au vestiaire. Qu’on lâche prise. Un vrai défi, mais un bon et juste combat aussi ! Un » win to win » qui, à terme, ne compte que des gagnants.
Christine Laurent
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