Homo consumericus

Christine Laurent
Christine Laurent Rédactrice en chef du Vif/L'Express

Paradis ou enfer ? On se dit heureux et pourtant la morosité pointe son nez à chaque instant. Certains sont de plus en plus riches, alors que d’autres s’enfoncent dangereusement dans la précarité. Notre société se veut hédoniste, tout en affichant des normes hygiéniques renforcées, sans parler de la médicalisation superstar. Bref, nous nous noyons dans de vraies contradictions. Sans toujours bien comprendre ce qui nous arrive.

Pour nous aider à y voir plus clair, un philosophe redoutable : Gilles Lipovetsky. Depuis plus de vingt ans, ce fin limier, doublé d’un observateur-né, traque les moindres modifications de nos modes de vie. Rien ne lui échappe. Et après nous avoir retournés dans tous les sens, il nous livre sa dernière analyse (*). Epoustouflante ! Sur la table de dissection, l’homo consumericus, un drôle d’animal qui revendique sans cesse un mieux-vivre devenu passion de masse et but suprême de la démocratie.

Un personnage qui s’inscrit pile-poil dans la ligne du capitalisme d’aujourd’hui, soucieux d’exciter la stimulation perpétuelle de la demande. Tout, tout de suite, tel est le nouveau credo que le business entend satisfaire. Une économie de la variété et de la réactivité, qui met le consommateur au c£ur des préoccupations. Un consommateur du 3e type, un turbo consommateur décalé, mobile, flexible, affranchi des anciennes cultures de classe et toujours à l’affût d’expériences émotionnelles inédites. Même le bonheur intérieur devient objet de marketing. Pour preuve, les pharmacies du marché de l’âme qui prolifèrent.

Une hypermodernité nourrie d’un hyperindividualisme pour une hyperconsommation. Et dont les fashion victims et les obèses seraient aujourd’hui, selon Lipovetsky, les figures les plus visibles. Un mouvement qui n’en serait qu’à ses balbutiements. L’hyperconsommation devrait, en effet, s’étendre à l’échelle planétaire, engendrant ainsi une nouvelle hiérarchie des biens et des valeurs. Une perspective qui donne plutôt le tournis. Sauf si l’homo consumericus, dans un vrai sursaut de lucidité, choisit, in fine, la régulation et la modération, histoire de nourrir un développement économique durable.

Alors, d’accord. Oui, la croissance est indispensable. Oui, à plus de consommation pour lutter contre la pauvreté, développer la santé, servir des idéaux comme la justice, l’altruisme. Oui, à plus de consommation quand il s’agit d’ouvrir, et non pas de fermer, les portes d’un certain mieux-vivre. Mais elle ne pourra jamais susciter les joies qui nous enrichissent vraiment. Là, définitivement, on ne peut compter que sur soi.

(*)  » Le Bonheur paradoxal « , par Gilles Lipovetsky, Gallimard.

Christine Laurent

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