La vie en rose
(1) » Weekend Le Vif/ L’Express « , édition du 6 septembre 2002, » Bizz « , édition de décembre 2003 – janvier 2004.
Ils s’en sont donné à c£ur joie. Nos créateurs ont teinté l’hiver de vert émeraude, de turquoise, d’orange brûlée, de rouge, de safran… Rien à voir avec une cacophonie chromatique, non. Juste un feu d’artifice, un joyeux charivari. Tout est possible, tout est permis. En toute innocence ? Pas si sûr.
Car vivre colorissimo ou en noir et blanc, ce n’est pas du tout la même chose. Qui sait que derrière le polychrome, le chamarré, le bigarré, se niche une vraie aspiration au bonheur ? Tandis que le noir, le gris souris, les tons sourds masquent un autre indicateur éloquent de nos états d’âme, l’angoisse inconsciente. C’est le très respectable professeur gantois Helmut Gaus qui l’affirme (1), lui qui, avec la plus grande rigueur, s’est penché pendant de longues années sur la couleur et la longueur de nos jupons. Avec toute son équipe, il a plongé dans un nombre impressionnant de magazines féminins et épinglé pas moins de 40 caractéristiques sur quelque 4 000 robes…
Mais ce qui intéresse cet éminent spécialiste de science politique et sociale, c’est moins de mettre son nez dans notre garde-robe que de dessiner des courbes, de détecter, de mesurer les orientations futures de la croissance. Or, après plusieurs dizaines d’années d’analyses froufroutantes, il est formel : la couleur des jupes est un très bon baromètre de l’économie. Car nous ne choisissons pas nos vêtements sur la base des diktats des stylistes et autres tendanceurs, comme on pourrait être tenté de le croire. Mais bien en fonction de nos sentiments du moment. Pas de rationnel, que de l’émotionnel.
Ainsi, quand le moral lorgne vers le haut, nous portons de plus en plus de jaune, d’orange et de rouge. La taille et le décolleté, en revanche, s’estompent, et les ourlets raccourcissent. Nous nous inscrivons, alors, dans une vraie courbe du bonheur. Tout le contraire de la courbe de l’angoisse, une phase de déprime en fait, qui voit le noir et le gris s’imposer, nos décolletés plonger, nos tailles se cintrer et nos ourlets dégringoler.
Véritable Galliano intello, le professeur Gaus a tout vérifié, tout scanné. Et c’est sans l’ombre d’un doute qu’il nous prédit l’arrivée toute proche, et pour au moins deux décennies, d’une vraie période de confiance en soi, doublée d’une nouvelle vague de féminisme. Notre » fashionisto » se risque plus loin encore : il croit en un véritable retour aux sixties optimistes, le golden age du xxe siècle.
La couleur au top, et voilà la croissance qui décolle. Place donc à la consommation. Mais pas anarchique ou écervelée. Troisième millénaire oblige, une consommation maîtrisée, réfléchie, qui respecte un subtil équilibre entre passion et raison. On ne se met pas au vert, on ne voit pas rouge, on ne rit pas jaune, on voit juste la vie en rose !
Christine Laurent
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