Les (dé)culottées de la chanson
Camille, Anaïs, Marie Warnant et Claire Diterzi partagent une langue gourmande, des frissons d’indépendance et une » chanson française » organique et frondeuse. Elles vivent en scène : la preuve tout prochainement aux Nuits Botanique, à Bruxelles.
Elles n’ont pas de prose ou de style communs. Pas la même silhouette. Pas les mêmes obsessions… Mais le désir d’individualiser à fond leur univers de femme, entre belle et rebelle. Portée par une vague dont l’écume pourrait s’appeler Camille, cette nouvelle génération dit subtilement la condition de fille affranchie, ni farouche ni pétasse, déclinant amour comme humour. Bienvenue chez les (dé)culottées.
Les acrobaties de Camille
Devant les chiffres castards – plus de 350 000 exemplaires vendus de son second album (EMI) – , il est tentant de couler Camille, 28 ans, dans un bronze d’admiration. Mais cette Victoire de la Musique-là est d’un bois qui résiste à toutes les intempéries, d’un parfum qui dilate ses chansons, et botte aux fesses la vieille idée de » chanson française « . » Camille a quelque chose d’incroyable, elle « groove », sa musique fait bouger le corps « , dixit Claire Diterzi, qui s’y connaît en body langage ( lire plus loin). Camille est le genre de fille qui commence sa chanson » Janine » en susurrant » salope « , petite crudité venant ponctuer des phrases absurdes comme » Pourquoi tu m’appelles ovule alors que je m’appelle ovaire ? » Grande question que la mangeuse de mots réattaque par un autre versant dans » Les Ex » : une compote de mots alignant allitérations et accélérations.
» Il est vrai que je me sens plus proche d’un humour anglais à la Monty Python ou à la Little Britain que de son pendant français, cette façon de traiter la réalité sous l’angle du psychédélisme, explique Camille à la veille de partir en tournée en Amérique latine. Même si le public francophone, en particulier français, est amateur de langage, la chanson appelle aussi à appréhender les mots comme véhicules de sens ET de musique. Quand j’ai joué ailleurs, en Israël, Allemagne, Palestine ou Japon, je n’ai pas senti de baisse de l’écoute. Ils comprenaient sans doute moins le sens des mots mais les imaginaient davantage. Le mystère n’en était que plus grand ! »
Même si les tours de magie vocale de Camille peuvent parfois donner un coup de nausée à l’oreille, sa prestidigitation sonore est étonnante. » Sur scène, les mots sont mes jouets, poursuit-elle, mais l’espace, le son, le public, les éclairages, également. Quand je compose, je ne m’impose ni règles, ni recettes, j’essaie puis j’élague ! Le moteur de tout cela est le plaisir, c’est ce qui m’épanouit. Et le partage m’intéresse beaucoup plus que l’hystérie. Je ne défends pas à proprement parler de « valeurs » et je ne crois pas à l’accomplissement, mais plutôt à la nécessité d’être tout le temps en suspens avec d’autres envies. » La lucidité de cette fille est salutaire : dans une époque gavée de marketing et de pseudo-confessions télévisées, Camille veut bien faire Drucker (deux fois quand même) mais ne répondra pas aux interrogatoires d’Ardisson (dommage, c’est plus drôle). Pas plus qu’elle ne livrera à la vente un concert filmé qui ne la satisfait point. » Oui, il y a eu captation de mes prestations au Trianon (où a été enregistré le CD live) mais en voyant les images, je me suis dit qu’il ne s’y passait rien, qu’il n’y avait pas de poétique, pas d’odeur… L’image oubliait l’épaisseur du moment. » Chanteuse caoutchouc, Camille ne pousse pas l’élasticité jusqu’à permettre l’intrusion dans sa vie privée : » Mon échelle de valeur, dit-elle, c’est le concert, le quotidien du travail, mon désir de communiquer, pas de passer mon temps à lire les lettres de fans. Il y a des choses que je ne peux pas donner, ni au public, ni aux médias. »
Les douceurs de Marie
» Un moment, j’étais sur le point de me marier, on avait acheté une maison, et puis, je ne me suis pas vue là-dedans alors qu’il y a encore tout à faire avec la chanson. J’ai renoncé à une certaine sécurité de vie. Parmi les copines de mon âge, beaucoup sont déjà mariées, avec des enfants « . Marie Warnant, la Belge et jeunesse du lot (elle est née le 31 août 1979, à Namur) a des yeux bleu laser et une chevelure flamboyante. Devant une photo d’elle, qui évoque (de loin) la célèbre hurleuse canadienne Isabelle Boulay, elle ne fait montre d’aucune ambiguïté : » Je ne voudrais pas qu’on la publie parce qu’elle donnerait une fausse image de ce que je fais. » Avec » De un à dix » (Viva Music), Marie montre que sa chanson a des airs electro, des caresses de rock et des mots chauds. » » La mélancolie, c’est le bonheur d’être triste je pense que ma musique amène d’autres émotions, touchantes, sans formatage ni hyperagressivité. »
Concocté avec Vincent Liben du groupe Mud Flow, le disque de Marie s’ouvre par » La vie est belle « , trois minutes d’hypnose ouvertes aux » petits moments du quotidien « , le tout sous missive douce et poétique d’une sensualité très nature. » Je tiens beaucoup à l’idée d’être auteur-compositeur, de ne pas être qu’interprète, je crois en mon projet même si j’ai un peu de mal à me vendre, d’ailleurs je n’ai rien « à vendre » ( rires). Il faut que les gens viennent me voir en concert. » Contexte propice aux confessions réelles, la scène est aussi l’espace du plaisir partagé : souvent Marie y croise la route de ses copines bruxelloises, Karin Clercq ou Charline Rose. » C’est assez gai de trouver des nanas dans ce milieu très mec : il n’y a aucune jalousie ou compétition entre nous, plutôt un sens aigu du partage. »
Sous ce premier disque soigné qui commence à trouver son public (2 000 copies vendues, pas mal pour un petit label indépendant belge), une » lenteur » qui arrange Marie dans » cette époque où le doré est une couleur, où avec aucun talent, on peut prétendre à être « star » « . » Je n’ai aucune envie de brûler les étapes, si ce premier disque doit rester en Belgique, le second ira en France. » Elle aura peut-être alors la chance de croiser la route de Thomas Dutronc, son prototype de » mec » : » Avec mes musiciens, on en rigole : j’aime me fixer des objectifs ambitieux » ( rires).
Les délires d’Anaïs
En entendant » Même si la vie c’pas du foie gras » ( sic), on jurerait un inédit de Linda Lemay. Tout y est : l’accent, québécois à en mourir, les paroles de » femme » et la conviction de » chanter d’tout’son corps « . Un peu plus loin sur le disque ou dans le show, » La plus belle chose au monde » raconte la naissance du point de vue de l’enfant avec la voix cramée de… Metallica. Et puis, il y a aussi le faux Francis C. ( » Je t’aime à en crever « ), l’imposture hip-hop ( » Rap collectif « ), l’usurpation des Celtes ( » Pendant ce temps-là en Ecosse « ) et d’autres délires sur un premier disque enregistré en live ( » The Cheap Show « , V2 Records). Derrière ce travestissement drôle et électrique, une seule fille, voix et guitares (avec moult pédales d’effets) : Anaïs Croze, née en 1976 à Grenoble et éduquée à Aix-en-Provence ! » Oui, pendant très longtemps, je commençais avec la chanson de Linda Molay ( sic) et les gens pensaient que j’étais québécoise ! Je suis très contente d’avoir fait la maligne, de m’être lancée avec des textes crus et de m’être lâchée ! L’histoire de l’accouchement, c’est un peu la façon de rendre aux femmes ce que tout le monde s’approprie, mais toujours avec tendresse. »
Déjà phénomène scénique, Anaïs est en passe de faire un malheur discographique : deux passages télé remarqués (chez Ruquier et aux Victoires de la Musique) ont fait passer les ventes de 35 000 à plus de 150 000 copies ! » Je crois que les gens viennent parce que je dédramatise la vie, j’avais des envies simples, épurées, avec une attitude musicale un peu « punk », mais si je fais de la sociologie, c’est involontaire ( rires) ! En tout cas, ils viennent curieux et, souvent, repartent avec des étoiles dans les yeux « . Et les mamours dans tout cela ? Anaïs les fusille de la parole dans » Mon c£ur mon amour » au texte parodique et pleurnichard : » C’est un épais coulis, ça me laisse le cul par terre/Autant de mièvrerie, nappée de crème patissière « . Si Anaïs ne se voit pas dans une nouvelle génération de chanteuses, elle reconnaît chez Camille ou d’autres, le même désir de » faire sonner la langue française en dépassant le cadre de la chanson « . Et chez elle, cette sonnerie ouvre sur de sacrées portes…
Les désirs de Claire
Dans le genre frontal, Claire Diterzi, mérite tous les attributs vocaux de la » brune piquante « , ne retournant pas sept fois sa langue avant de la remettre dans la poche de ses chansons. » Oui, je suis coquine, oui, j’aime la crudité, mais non, je ne fais pas des chansons de salope ( rires) ! Cela étant posé, je trouverais plus élégant que mon mari me quitte pour un homme plutôt que pour une femme. » Actrice d’un premier album justement titré » Boucle » (Pias), cette Tourangelle de 35 ans, mère de deux enfants, déboule avec ses titres agrippés à la langue des corps. » Oui, le sexe constitue encore un peu un tabou dans cette vague consensuelle des auteurs quotidiennistes ( sic) qui, « ne cassent pas trois pattes à un canard » alors que moi, j’aime bien parler des gens qui restent ensemble pour les mauvaises raisons. »
Un grain de mauvaise foi, une larme de vinaigre dissolvant le trop-plein de bonnes intentions, Claire fait partie des filles qui pratiquent le » Charlie « . Pas un rébus de Kamasutra mais un simple morceau (de son album) où le mari » reste avec sa femme parce qu’elle cuisine bien! « , » A genoux a été la position de ma mère face aux hommes de sa vie : c’est une image (…) pour dire qu’elle a toujours beaucoup subi les hommes qui se barraient régulièrement. Dont mon père qui s’est tiré quand j’avais 5 ans. » On aime donc le monde de cette jeune femme sans politesse superfétatoire ! » Me nourrir de mes histoires, c’est simplement mon métier. J’ai dégotté une pneumonie, donc en scène demain soir ma voix voilée sera mon passeport. Pour moi, la voix est la transmission la plus immédiate de la sensualité, elle irrigue les chansons et constitue le vecteur d’émotions qui coulent, qui remuent (Claire reprend sa respiration). Finalement, je ne sais écrire que des choses sur l’amour. Avoir travaillé pendant deux ans avec les danseurs de la troupe de Decouflé fait que je suis remplie de ces gestes de scène-là, qu’il m’en reste sans doute quelque chose d’organique, de voluptueux. »
Là où d’autres comme Camille, laissent soigneusement leur vie privée de côté, Claire Diterzi attribue à l’incorporation de celle-ci dans la zone musicale, une vertu bienfaitrice : » Mon mari, metteur en scène de théâtre, n’a pas hésité à écrire une pièce sur une crise que l’on a vécue. Mes filles, qui ont 13 et 5 ans, ont été élevées avec cela. » Lorsqu’on voit la pochette du disque où elle apparaît telle une centurione de la guitare – torse nu barré de la sangle (déchirée) d’une guitare – on lui pose illico la question : se sent-elle » rebelle » ? » Bien sûr et ce mot me fait d’ailleurs penser à un autre, présent, dans mon imaginaire : « amazone ». Les amazones n’hésitaient pas à se faire couper le sein pour pouvoir tirer à l’arc, je pense que je pourrais faire la même chose si je devais jouer à la guitare. Pour moi, la musique est un vrai engagement ! »
En concert aux Nuits Botanique : Claire Diterzi (3 mai), Anaïs (5 mai), Camille (6 mai, complet), Marie Warnant (7 mai). Internet : www.botanique.be ; Marie Warnant est en tournée un peu partout en Belgique, y compris le 22 juillet aux Francofolies de Spa. Internet : www.mariewarnant.com
Philippe Cornet
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